Elle est belle, mais ça, tout le monde le sait. Il faudrait maintenant reconnaître son potentiel d’actrice à sa juste valeur. Lauriane Gilliéron a certes multiplié les petits rôles durant ses années californiennes. Et on fait appel à elle, depuis son retour en Suisse, dans des séries de télévision (notamment dans 24 épisodes de «Plus belle la vie» et dans «Quartier des banques») ainsi que dans des productions destinées aux plateformes numériques. Mais cela ne lui suffit pas.
La Prillérane a donc créé sa propre maison de production afin de s’offrir une plus grande marge de manœuvre. Car elle est révolue, l’époque de son titre de Miss Suisse et de sa troisième place au concours Miss Univers. La jeune quadragénaire (elle vient de fêter ses 41 ans le 25 juillet) est une actrice à part entière, avec une gueule et du talent. Il ne manque encore que le vrai bon rôle dans un bon film pour passer le cap décisif qui la sépare d’une carrière à la hauteur de sa passion du cinéma.
Lauriane Gilliéron, vous voici soudain productrice, coauteure et actrice dans un court métrage, intitulé «1 degré de séparation», que vous destinez à la programmation des festivals de cinéma. Expliquez-nous cette démarche.
C’est une manière de prendre en partie mon destin en main face à la rareté des propositions que je reçois. Ce court métrage me servira, je l’espère, de carte de visite en tant qu’actrice mais aussi à faire connaître cette toute jeune maison de production, 5 pm Productions, que j’ai fondée il y a deux ans. Ma passion du cinéma m’a aussi encouragée à écrire un scénario. J’ai eu un plaisir énorme à me confronter à ce type d’écriture très spécifique en collaboration avec la scénariste Tiziana Giammarino, ma partenaire de production. J’ai pu vérifier que le travail de scénariste est très exigeant, qu’il est difficile de coucher sur le papier ce qu’on a dans le cœur et dans la tête. Cela nous a pris sept mois pour parvenir à quelque chose de satisfaisant avant de passer ensuite à la réalisation.
D’où vous est venu le thème de ce film, le mariage posthume?
En regardant une émission sur le sujet, qui faisait le portrait d’une femme qui avait perdu tragiquement son compagnon et qui tenait absolument à se marier. J’ignorais que le concept de mariage posthume existait. J’ai été très touchée par ce témoignage. Peut-être parce que je veux croire que le monde ne s’arrête pas à ce que nous voyons et que l’amour survit à la mort. Quand un proche n’est plus là physiquement, il continue d’exister autrement.
Le résultat est sincèrement impeccable et professionnel. Or, même un court métrage, quand on veut atteindre cette qualité de production, cela coûte cher et le cinéma suisse n’est pas un eldorado. Où avez-vous trouvé les financements?
Avant de penser à l’argent, il a fallu monter une équipe, à commencer par une réalisatrice ou un réalisateur. Je connaissais déjà Sonia Rossier et je lui ai soumis le scénario. L’idée et le thème lui ont plu. Ensuite, pour le nerf de la guerre, j’ai eu la chance incroyable de pouvoir compter sur deux discrets «anges gardiens» de la région qui m’ont aidée pour le financement. Et sans aucune attente de retour sur investissement. L’un des deux, c’est un entrepreneur, une très belle personne qui nous a soutenus non seulement financièrement mais aussi logistiquement, en nous mettant à disposition des camions notamment. Le second, c’est quelqu’un qui soutient souvent la culture et le développement de la région. Tous les deux préfèrent rester anonymes.
Et le tournage? Tout s’est bien passé?
C’était stressant, avec beaucoup de hauts et de bas. Mais voir quelque chose qu’on a imaginé sur le papier prendre vie à l’écran, c’est tout à fait magique. On a tourné pendant quatre jours avant de pouvoir passer au montage. Trois jours de tournage dans une maison à Blonay, louée comme décor, et un jour sur la commune de Prilly.
Reste que les courts métrages sont limités par la quasi-absence de circuit de distribution en salle.
En effet, il n’y a pas de sortie publique prévue. Les courts métrages sont avant tout destinés à être soumis aux festivals, en Suisse et à l’étranger, et aux rares chaînes de télévision qui les programment encore, comme Arte ou TV5 Monde. Mais c’est un excellent moyen de mieux se faire connaître dans le milieu du cinéma. Et quand on se lance dans la production, c’est aussi le meilleur des exercices avant de passer à des projets plus ambitieux.
Malgré les difficultés, votre objectif reste le même: vivre pleinement de et pour ce métier d’actrice?
Absolument. Si, à 20 ans, je rêvais de paillettes et d’Oscars, ma vision de ce métier a changé. Heureusement, d’ailleurs. J’ai simplement l’ambition de pouvoir en vivre à 100%. Actuellement, je travaille à 60% dans une étude d’avocats pour gagner ma vie. Mais c’est bien, ça m’ouvre à d’autres horizons, je rencontre beaucoup de gens. Et je bosse le reste du temps, week-end compris, sur mes projets de cinéma. J’ai appris à bosser à l’américaine, c’est-à-dire sans compter les heures et les efforts.
Mais en Suisse, le cinéma n’a pas la part belle dans les politiques culturelles.
C’est vrai, hélas. C’est clairement compliqué de vivre de cet art dans notre pays. C’est déjà difficile ailleurs, mais ici c’est encore plus ardu. Mais je m’obstine à y croire. Quand je suis revenue de Los Angeles, c’était soit j’arrêtais complètement pour faire autre chose, soit je persévérais. La plupart des actrices et des acteurs sont confrontés aux rejets. Mais il y a pire: la frustration de ne pas recevoir suffisamment de propositions, d’attendre vainement un casting. On m’a souvent suggéré de produire mes films. Mais l’écueil du financement m’a longtemps dissuadée de me lancer. Et j’ai finalement franchi le pas avec ce premier projet. Et le suivant s’annonce déjà bien!
Vous avez des contacts avec le milieu du cinéma suisse, qui, dit-on, fonctionne un peu en vase clos?
Oui et non. C’est en effet un milieu très fermé. J’ai eu quelques engagements et je connais un peu les boîtes de production. Mais je parle seulement du milieu suisse romand, parce que dans cet art le Röstigraben est inévitablement très fort. Et je ne parle pas bien l’allemand. Ma maîtrise de l’anglais m’ouvrirait peut-être des portes, mais pour des rôles d’Américaine en Suisse alémanique ou d’Anglaise en France...
Et vous souffrez de votre CV artistique, qui commence par un titre de Miss Suisse?
Oui, très clairement! Il y a comme un blocage chez certains, qui ne parviennent pas à me voir dans des rôles autres que l’ancienne Miss Suisse, la mannequin, la «femme trophée». Je suis contente de me trouver encore bien conservée à 40 ans, mais bon, j’aimerais faire autre chose que de la figuration, faire autre chose que jouer sur mon seul physique.
La Suisse romande est un véritable vivier du cinéma documentaire, mais un quasi-désert pour le cinéma de fiction, alors que d’autres «petits» pays, comme le Danemark, jouent dans la cour des grands. Ce n’est pas ça le problème?
Oui, c’est ça. Et quand une série est lancée, on organise un casting avant tout pour des acteurs français et belges, et les actrices et acteurs romands se partagent les miettes. C’est parfois frustrant. Mais au lieu de me morfondre, je préfère faire quelque chose. J’ai ma place, je ne l’ai pas encore trouvée, mais je suis en train de me la faire. Mon objectif, c’est aussi de faire des films qui sortent un peu des frontières de la Romandie.
Vous avez essayé, en revenant des Etats-Unis, de faire carrière à Paris. Mais cette tentative a fait long feu. Pourquoi?
Quand je suis rentrée des Etats-Unis, je me disais que Paris, la Mecque du cinéma francophone, c’était l’option logique. J’ai détesté l’état d’esprit et l’agressivité ambiants. Je n’ai pas eu de chance non plus, en débarquant deux jours avant les «gilets jaunes» et onze mois de blocage du pays à cause de ce mouvement de revendication. En plus, je tournais à cette époque dans la deuxième saison de «Quartier des banques» à Genève et je devais faire les trajets. Alors j’ai renoncé à Paris. Autant Los Angeles me convenait absolument, était en accord avec ma personnalité, autant me faire hurler dessus dans un métro pour des raisons absurdes m’a vite été insupportable. Plus jamais Paris, sauf si on vient me chercher pour y tourner, évidemment!
Que retenez-vous de vos années américaines aujourd’hui?
J’ai ramené dans mes valises l’audace américaine, une audace assez rare ici. On a peur, on nous dit d’avoir peur, on nous dit que ce n’est pas possible. Les Américains sont au contraire audacieux, ils y vont. On leur dit: «Non», ils répondent: «OK, je vais te montrer que je peux le faire.» Ce n’est pas une philosophie de vie que j’adopte pour tout, mais dans le milieu artistique ça m’a aidée et ça m’aide encore à garder la tête haute. Et puis si je me plante, je me plante. Ceux qui en rient, ils n’ont pas essayé, donc ils peuvent bien rire.
A 40 ans, quel serait votre rôle idéal pour démontrer plus clairement que vous êtes une bonne actrice et pas seulement une belle femme?
Je précise d’abord que mon passé de Miss et de modèle, je n’en ai absolument pas honte. Je ne regrette rien de mon parcours. Je l’ai fait avec le cœur, et puis ça m’est tombé dessus. C’est juste que c’est bon maintenant, on peut passer à autre chose. Cela fera vingt ans en septembre. Quant au rôle de mes rêves, difficile de le décrire précisément. Disons que je suis passionnée par l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Tous les films avec cette ambiance-là m’intéressent. Un de mes films cultes, l’un des plus beaux que j’aie jamais vus, c’est d’ailleurs Cold War, un film polonais. Une magnifique histoire d’amour dans un climat de guerre.
Et si on vous proposait d’interpréter Eva Braun, par exemple?
Pourquoi pas. Ou bien une résistante. C’est un des aspects fascinants du métier d’actrice: incarner des personnages que tout peut opposer. C’est d’ailleurs une des premières choses qu’on apprend à l’école de cinéma: ne jamais juger son personnage. Il faut plutôt le décrypter pour pouvoir le jouer de manière aussi juste que possible. Je serais en tout cas ravie de jouer un rôle où on ne m’attend pas. Une mère de famille à bout, par exemple. J’ai 40 ans, je pourrais avoir deux ou trois enfants. Et pourtant je n’ai jamais ressenti le besoin de fonder une famille. Et puis autant j’aime soigner mon apparence dans la vie, autant je suis prête à ce qu’on me rase le crâne s’il le faut pour un rôle au cinéma.
Quels sont les films qui vous ont fait tomber amoureuse du cinéma?
Un coup de cœur fondateur de ma passion du cinéma, le déclic, c’est «Dirty Dancing». Ce n’est pas du tout un chef-d’œuvre cinématographique, mais pour moi qui étais danseuse à l’époque, mêler l’art, la danse, le cinéma, ce film a été un enchantement. Après l’avoir vu, je me suis dit: «Je vais faire ça, je vais pouvoir danser, vivre ces émotions à travers des personnages.» Il y a eu aussi Léon avec Jean Reno et Natalie Portman, qui m’a vraiment marquée. Et «Le patient anglais» m’a bouleversée ainsi que «Thelma et Louise».
Tous nos remerciements à la Cinémathèque suisse et à l’équipe du Capitole à Lausanne pour avoir mis à disposition leurs locaux pour la séance photo.