Un contrat social «attaqué»
«Il faut se rappeler sur quoi la Suisse s’est construite. Faute de matières premières et de débouché maritime, elle s’est construite sur le travail. Nos cerveaux et notre capacité de travail sont notre richesse et notre culture. C’est une valeur première pour les gens. C’est presque un contrat social. Les gens travaillent dur – nous avons le temps de travail le plus élevé d’Europe! – et, en contrepartie, ils doivent pouvoir vivre confortablement de leurs efforts, ce qui est encore en partie le cas. Mais je constate que, depuis une ou deux décennies, il n’y a pas un affaiblissement, mais carrément une attaque contre ce contrat social. Oui, le pouvoir d’achat stagne. Cela se ressent particulièrement depuis la période d’inflation qui a suivi la pandémie.
Sur les dix dernières années, les salaires corrigés de l’inflation sont restés les mêmes, malgré une meilleure productivité qui se vérifie d’ailleurs dans les chiffres de la croissance économique. Et pourtant, la part qui revient aux travailleuses et travailleurs est restée la même. On vit aujourd’hui de la même manière qu’il y a dix ans, en somme, au lieu de voir notre situation s’améliorer. Et nous ne parlons que des salaires corrigés de l’inflation officielle, mais pas des primes maladies par exemple, qui ne sont pas dans le panier de l’inflation officielle, mais qui ont plus que doublé ces vingt dernières années. Et si l’augmentation des loyers est en partie prise en compte dans ces statistiques, ils ont aussi doublé en moyenne pendant la même période.»
Travailler plus pour ne pas gagner moins
«Que font les gens, notamment les couples qui travaillent, face à cet effet d’écrasement? Ils augmentent leur taux de travail. Il faut aujourd’hui deux revenus pour faire tourner une famille. Cela induit de nouvelles dépenses, comme la garderie. Ce phénomène touche toutes les classes moyennes, inférieures et supérieures, c’est-à-dire les gens qui n’ont pas d’autre revenu que celui de leur travail. Ces classes moyennes sont prises en étau entre des salaires qui ont de la peine à augmenter et des charges qui augmentent. La réalité, quand on regarde le baromètre des soucis des Suisses, c’est: est-ce que j’aurai assez de retraite? Est-ce que je vais réussir à payer mes primes? Comment je vais faire face à ce loyer? Et ces inquiétudes, à mon sens, on doit les rendre davantage présentes dans la politique fédérale.»
Le salaire médian, c’est le salaire qui se situe exactement entre celui de la moitié la moins bien payée des salariés et celui de la moitié la mieux payée des salariés. En 2024 en Suisse, le salaire médian mensuel brut pour un emploi à temps plein se montait, selon une récente estimation de l’OFS, à 6791 francs. Le salaire médian varie en fait considérablement selon différents critères, comme celui de la région. A Genève, le médian est de 7275 francs, contre 6690 dans le canton de Vaud ou 6256 à Berne. Dans la riche (mais onéreuse) région zurichoise, le salaire médian est 30% supérieur à celui du Tessin (7229 contre 5590). Cet indice permet aussi d’évaluer les disparités salariales entre les femmes et les hommes. En 2024, le salaire médian masculin s’élevait à 90'000 francs par année, soit 10'000 francs de plus que le salaire médian des femmes.
Le salaire médian, c’est le salaire qui se situe exactement entre celui de la moitié la moins bien payée des salariés et celui de la moitié la mieux payée des salariés. En 2024 en Suisse, le salaire médian mensuel brut pour un emploi à temps plein se montait, selon une récente estimation de l’OFS, à 6791 francs. Le salaire médian varie en fait considérablement selon différents critères, comme celui de la région. A Genève, le médian est de 7275 francs, contre 6690 dans le canton de Vaud ou 6256 à Berne. Dans la riche (mais onéreuse) région zurichoise, le salaire médian est 30% supérieur à celui du Tessin (7229 contre 5590). Cet indice permet aussi d’évaluer les disparités salariales entre les femmes et les hommes. En 2024, le salaire médian masculin s’élevait à 90'000 francs par année, soit 10'000 francs de plus que le salaire médian des femmes.
Quelles solutions pour les loyers?
«En politique, on doit agir plutôt sur les dépenses contraintes. Le loyer par exemple. Avec l’Asloca, nous récoltons des signatures pour un projet consistant à maîtriser l’explosion des loyers, pour les faire baisser en Suisse. Parce que, en fait, on a une loi, le droit du bail, qui n’est pas si mal conçue. Le droit du bail dit que le loyer ne doit pas être dicté par le marché, par l’offre et la demande. Parce que sur le marché, c’est toujours le locataire qui se fait écraser, parce que c’est lui l’acteur le plus faible. Le loyer doit être fixé par les coûts, par les vrais coûts du logement et par ce qui s’appelle un rendement raisonnable.
Mais le problème actuel, c’est que, pour faire respecter vos droits de locataires, vous devez aller vous battre individuellement, prendre votre petite feuille verte de notification de loyer ou votre bail et aller à la Commission de conciliation. Et si vous n’avez pas gain de cause, vous devez aller au tribunal, mais toujours individuellement, avec la peur de subir des représailles. Sans parler des coûts et du temps que cela exige. Notre initiative consiste à conserver les bons principes du droit du bail, c’est-à-dire à encadrer la marge du propriétaire, en faisant vérifier les loyers, par exemple, par une instance d’expertise afin d’éviter que la démarche repose sur le locataire. Car il y a trop peu de locataires qui osent se battre, même si, la plupart du temps, ceux qui le font obtiennent des jolies baisses de loyer. C’est la preuve que, quand on applique la loi, les loyers sont bel et bien moins chers que ce qu’ils sont aujourd’hui. Mais comme seule une infime minorité défend ses droits, les loyers explosent.»
Et l’assurance maladie?
«Il faut bien sûr s’attaquer à nouveau à ces primes qui augmentent de manière insupportable, en particulier pour les classes moyennes qui n’ont pas droit à des subsides. Avec le PS, nous lancerons d’ici à la fin de l’année une initiative pour réduire les primes des classes moyennes. Les gens qui ont des revenus qui se rapprochent du salaire médian, ou légèrement au-dessus, ont le droit aussi de se dire: «Mais est-ce que c’est juste que moi, si j’ai trois enfants, je paie 1200, 1300 francs par mois pour l’assurance maladie? Une partie des dépenses d’assurance maladie doit être plus correctement répartie par rapport aux revenus. En Suisse, il y a des personnes qui ont des très hauts revenus, je parle des 5 à 10% des revenus les plus élevés, qui peuvent faire un petit effort supplémentaire, sans pour autant qu’on passe dans un système strictement proportionnel.»
Pourquoi l’école est «gratuite» et pas les garderies?
«Et il y a un troisième facteur de coût – et un troisième projet politique – pour soulager cette classe sociale sous pression: les garderies. Est-il normal que, pour pouvoir payer un loyer très élevé, les gens travaillent et doivent payer 500 francs, 800 francs, 1000 francs de garde. C’est du délire! Nous voterons l’année prochaine sur une initiative pour les garderies. Cette initiative dit que le coût des crèches doit aussi être plafonné d’une manière ou d’une autre. On a su le faire avec l’école. Pourquoi admettons-nous que l’école est payée par les impôts, mais pas la garde des enfants dont les parents travaillent? On discute en boucle aujourd’hui des enfants, que c’est compliqué, qu’il y a les écrans, les problèmes de comportement…La solution: pouvoir compter sur cet accueil qui peut avoir un rôle socio-éducatif. Je signale qu’il y a aussi un contre-projet au Parlement proposant un soutien financier direct aux parents qui font garder leurs enfants.»
Et le meilleur pour la fin: les salaires!
«Il faut bien constater et déplorer une nouvelle dureté des employeurs. On vit depuis une douzaine d’années, hormis la parenthèse du covid qui a été très dure pour certaines branches, une période de bonne conjoncture en Suisse. Je donne juste un chiffre publié récemment par Raiffeisen: en 2024, en Suisse, la distribution de dividendes a battu un record historique avec 3% de plus que l’année d’avant. Bien sûr, cela concerne les grandes firmes et je suis conscient qu’il y a des petites entreprises qui souffrent. Mais quand on a des dividendes à un niveau historique, cela veut dire quoi?
Cela veut dire que le niveau des profits est sans précédent dans l’histoire de la Suisse. Et durant la même douzaine d’années, nos salaires réels ont stagné. Il y a certes eu quelques heureux contre-exemples, comme la restauration qui a été contrainte, face à la difficulté de trouver de la main-d’œuvre après la crise sanitaire, de faire quelques efforts sur les salaires. Mais c’est presque l’exception. Je reviens à mon concept de contrat social. Le travail des gens en Suisse donne lieu à de bonnes exportations, de bons produits que les gens achètent. On est, si j’ose dire, chaque année meilleur. Chaque année, on produit davantage et il y a des gens pour acheter ces produits. Et pourtant, partager avec les gens qui ont construit cette valeur-là, c’est de moins en moins évident. Je trouve cela désolant.
Quand on voit les hauts cris que pousse l’UBS – que nous avons, rappelons-le, sauvée tous ensemble avec notre petit argent en 2008 et à laquelle on a offert Credit Suisse à un prix d’ami grâce à la garantie que nous avons là encore tous payé –, je trouve scandaleux que ce géant bancaire ne veuille pas mettre un peu de ses profits pour augmenter ses fonds propres afin que le risque collectif baisse un petit peu. Et je suis également fâché de constater que des géants comme Migros ne veulent pas tendre la main pour des négociations en vue d’une convention collective de toute la branche de la vente. Cette dureté, cela suscite la peur du déclassement. Et cette peur favorise le succès des extrémismes dans plusieurs pays.»
Cet article a été publié initialement dans le n°29 de «L'illustré», paru en kiosque le 17 juillet 2025
Cet article a été publié initialement dans le n°29 de «L'illustré», paru en kiosque le 17 juillet 2025