Alex Glanzmann, 55 ans, travaille depuis plus de 20 ans pour La Poste. Après le départ de Roberto Cirillo, l'économiste bernois est devenu chef du géant jaune par intérim. Avec l'arrivée de Pascal Grieder début novembre, il retrouvera son ancienne fonction de chef des finances. Blick l'a rencontré au siège principal de Berne.
Alex Glanzmann, avez-vous déjà essayé les nouveaux robotaxis que CarPostal a présentés cette semaine?
Non, je n'y ai pas encore fait de trajets moi-même! Il y a quelques années, nous avions déjà fait un essai à Sion avec des bus autoguidés. C'étaient les prémices.
Les nouveaux taxis autonomes chinois sont-ils meilleurs que les Smart Shuttles, qui avaient fait un sacré flop à l'époque?
Il faut noter qu'entre-temps, la technologie a évolué de manière fulgurante. La réglementation des voitures autopilotées a aussi évolué. Nous sommes leaders sur le marché des transports publics routiers. Il est donc important de réfléchir aux développements et innovations dans le domaine.
Avez-vous l'accord du ministre des Transports, Albert Rösti?
Pour le projet robotaxi, nous travaillons avec toutes les autorités fédérales compétentes en la matière, soit l'Office fédéral des transports et l'Office fédéral des routes, mais aussi les cantons et le TCS.
Mais donc, vous n'avez pas obtenu l'accord du conseiller fédéral en personne?
Ses offices sont impliqués et soutiennent le projet.
Albert Rösti semble réfractaire à l'idée que La Poste s'aventure dans des domaines où elle fait concurrence à des entreprises privées. Si vous vous lancez dans le secteur des taxis, c'est exactement ce que vous faites...
Nous ne considérons pas cela comme une concurrence aux entreprises de taxis, mais comme une offre qui fait partie des transports publics. Dans les régions rurales, nous créons ainsi des offres supplémentaires.
Pourquoi La Poste a-t-elle tant de mal à se concentrer sur son activité principale?
Si nous nous concentrons uniquement sur notre activité principale traditionnelle, La Poste ne pourra plus exister. Après la scission des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT) en Swisscom et en Poste, la législation postale a été modifiée: elle précisait que nous devions travailler dans le cadre de l'objectif de l'entreprise, tout en pouvant intervenir dans des activités en dehors du service universel. Cela dans le but de cofinancer les coûts du service universel.
Le courrier est en recul, nous sommes tous d'accord sur ce point. Mais les colis postaux connaissent un énorme boom. Pourquoi ne pouvez-vous pas bâtir une entreprise viable sur cette base?
Nous avons déjà fait le calcul il y a des années. Nous avions lancé une discussion stratégique, en nous mettant d'accord de nous concentrer exclusivement sur notre activité principale et d'anticiper l'évolution des volumes. Nous avons constaté qu'en suivant cette lignée, nous nous retrouverions rapidement dans le rouge. En fait, le déclin de l'activité courrier ne peut pas être compensé par les petits paquets. Ce n'est pas comparable: aujourd'hui, 1,6 milliard de lettres sont envoyées, contre seulement 180 millions de colis. La situation des marges est également totalement différente. Si nous nous limitons uniquement sur notre activité principale, nous ne serions plus rentables. Surtout que nous ne sommes plus autofinancés et dépendons donc des subventions.
Mais est-ce si grave si La Poste rétrécit? Pourquoi tentez-vous désespérément de compenser la perte de chiffre d'affaires dans le secteur du courrier en vous lançant sur d'autres marchés?
Il y a deux réponses à cette question. Tout d'abord, nous venons d'être élus pour la neuvième fois meilleure poste du monde. Nous en sommes très fiers. Je pense que nous sommes donc un partenaire extrêmement important pour les services d'infrastructure. Mais les besoins de la société évoluent. Ils s'éloignent de plus en plus du monde physique pour aller vers un monde hybride. Il faut donc penser des solutions mixtes, entre physique et numérique.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Prenons un exemple: la lettre hybride. L'objectif est de numériser la boîte aux lettres et de donner au client le choix entre une livraison physique ou numérique de ses lettres.
Et le deuxième point?
Depuis la scission des PTT, nous avons aligné les succès. Nous avons rempli tous nos objectifs, avons versé des dividendes à la Confédération et financé tous les investissements de façon autonome. Si l'on veut continuer sur cette lancée, nous ne pouvons pas rester la même Poste. Ne rien changer nous transformerait en musée Ballenberg bis. C'est pourquoi nous considérons que le projet de la Commission de l’économie et des redevances (CER), qui veut nous limiter, est dangereux.
En tant qu'entreprise employant 45'000 personnes, détruire des entreprises privées ne vous dérange pas?
Aujourd'hui, 85% de notre chiffre d'affaires proviennent déjà de la libre concurrence. Seuls 15% environ sont issus d'un secteur monopolistique. Si nous ne pouvions plus intervenir dans la concurrence, où nous sommes pourtant soumis aux mêmes règles que tous les autres, notre activité serait difficile et nous deviendrions une organisation à coûts réduits.
Le problème ne vient pas de la concurrence sur les colis postaux, mais des prétendus services numériques dans lesquels vous investissez beaucoup sans générer de revenus. En quatre ans, vous avez accumulé 291 millions de francs de pertes, ce qui n'est pas viable.
Si l'on y regarde de plus près, les pertes proviennent principalement de domaines relevant du mandat de service numérique de base, comme le dossier électronique du patient ou le vote électronique, où les conditions cadres réglementaires et légales évoluent lentement. Là aussi, nous attendons un engagement politique. Mais si nous voyons qu'un domaine ne peut pas être développé de manière judicieuse, nous prendrons les mesures nécessaires.
Cela implique de fermer les entreprises?
Oui, à les démanteler.
La Poste pourra-t-elle réaliser un bénéfice en 2025?
Oui, mais il sera certainement nettement inférieur à celui de l'année dernière. Nous tablons sur un montant à trois chiffres en millions.
PostFinance, jusqu'ici source fiable de bénéfices, devient de plus en plus une source de préoccupation. Les taux d'intérêt bas pèsent désormais sur les affaires. Comment y faire face?
Les taux d'intérêt bas représentent naturellement un défi pour PostFinance, mais la situation s'avère plus stable que prévu. Nous pouvons aujourd'hui refinancer à de meilleures conditions les obligations arrivant à échéance, conclues lors de la dernière période de taux bas, ce qui permet de maintenir la stabilité du résultat d’intérêts. Parallèlement, nous investissons dans d'autres secteurs d'activité pour réduire notre dépendance aux taux d'intérêt et renforcer nos liens avec les clients.
Vous demandez à ce que PostFinance puisse octroyer des crédits aux PME. Pourquoi?
Ce n'est pas tant une demande, mais nous reconnaissons simplement que l'accès au crédit est un défi pour les PME et le secteur de l'artisanat sur le marché suisse. Comme environ 25 milliards de francs des fonds de nos clients sont aujourd'hui investis à l'étranger, nous préférerions mettre ce capital à la disposition de l'économie suisse, surtout après la disparition du Credit Suisse. Nous pourrions ainsi contribuer à désengorger le marché du crédit. C'est désormais au monde politique de décider si cette idée est politiquement souhaitable.
Le réseau de succursales de La Poste ne cesse de s'amincir. Comment va-t-il évoluer?
Aujourd'hui, nous exploitons encore 770 succursales, et d'ici fin 2028, elles seront réduites à 600. Cela n'implique pas moins de proximité avec les clients, mais des structures plus efficaces. De nombreuses communes recherchent elles-mêmes activement des solutions de partenariat, car les heures d'ouverture plus longues et la combinaison avec des magasins sont appréciées.
La distribution quotidienne du courrier est-elle maintenue?
Tant que le volume est suffisant, oui. La Suisse reste un pays attaché aux lettres et nous valorisons cette tradition. Mais si les volumes continuent de baisser fortement, les politiques devront réfléchir à des solutions, comme des modèles de distribution alternatifs ou des solutions hybrides.
Vous êtes CEO du géant jaune par intérim depuis avril. Quelles sont vos priorités ?
Je tenais à ce que La Poste conserve sa capacité d'action dans cette phase de transition. Nous avons validé des projets tels que la conduite autonome, mis en œuvre des adaptations organisationnelles, préparé des mesures tarifaires et mis l'accent sur la clientèle. Nous avons également poursuivi l'assainissement du portefeuille et réduit les activités déficitaires.
Comment s'est passé votre transition de chef des finances à CEO?
Ce fut une expérience passionnante. En tant que CEO, les échanges avec la politique et le public se sont intensifiés. J'étais souvent au Palais fédéral et davantage impliqué dans les discussions stratégiques. C'était stimulant et cela m'a permis d'élargir mes perspectives.
Vous allez bientôt passer le flambeau à Pascal Grieder. Vous regrettez de partir?
Non, c'était prévu dès le départ. J'ai accepté cette tâche avec conviction, afin de garantir la stabilité. Et cela m'a fait plaisir. C'est normal qu'un nouveau CEO prenne désormais le relais. Je reste chef des finances, et j'emporte avec moi de précieuses expériences.