La fièvre de l'IA fait suer Wall Street
Votre caisse de pension peut-elle survivre à un krach boursier?

La bulle de l’intelligence artificielle inquiète. Et ces craintes sont fondées, prévient Matthias Geissbühler, chef des investissements chez Raiffeisen. Pour Blick, il analyse la fiabilité de nos caisses de pension et rappelle les leçons à tirer de l'histoire.
Publié: 05:43 heures
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Dernière mise à jour: 06:42 heures
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Archives de la crise de 2007/2008: des employés de Lehman Brothers quittent le siège de la banque en faillite.
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Nicola Imfeld

Wall Street est en état d'alerte. En cause: la bulle spéculative liée à l’intelligence artificielle. Elle représente aujourd’hui le plus grand danger pour les marchés financiers, davantage que l’inflation, les droits de douane de Donald Trump ou même d’éventuels conflits armés. C’est la conclusion d’une enquête menée mi-octobre par la Bank of America auprès des plus grands gestionnaires de fonds spéculatifs au monde. La peur ancestrale d’un krach boursier n’est pas nouvelle, mais elle n’avait plus été aussi forte depuis longtemps.

Même des figures comme Jeff Bezos s’en inquiètent. Le fondateur d’Amazon estime que les investisseurs ne font plus la différence entre bonnes et mauvaises idées. Et ce type de déclarations alarmistes se multiplient, à l’image de celle de l’analyste britannique Julien Garrane.

Ce dernier l'assure: nous faisons face à «la plus grande et la plus dangereuse bulle de tous les temps». Selon ses calculs, le volume des mauvais investissements serait 17 fois supérieur à celui observé lors de l’explosion de la bulle Internet dans les années 1990, et quatre fois plus important que lors de la crise immobilière américaine de 2008.

La bulle de l’IA est-elle sur le point d’éclater?

En Suisse aussi, de nombreux avertissements se font entendre. «Oui, si l’on se fie aux valorisations, nous sommes bien dans une bulle de l’IA», confie à Blick Matthias Geissbühler, directeur des investissements de Raiffeisen Suisse. «Les valorisations de certaines entreprises surmédiatisées dépassent parfois celles observées au plus fort de la bulle Internet.»

L’exemple de Nvidia est particulièrement frappant. Le fabricant américain de puces électroniques est aujourd'hui l’entreprise la plus valorisée au monde, avec une capitalisation boursière de plus de 4,4 billions de dollars, soit autant que l’ensemble des sociétés suisses cotées et toutes les entreprises françaises du CAC 40 réunies.

Pour Matthias Geissbühler, l'heure est à la prudence: «Une grande part de spéculation est déjà intégrée dans les cours des entreprises liées à l’IA. Il reste à voir si les énormes investissements dans les infrastructures liées à l'intelligence artificielle pourront se traduire, à court terme, par des bénéfices concrets.» Ce qui est essentiel, selon lui, c'est de savoir à quel stade de la bulle nous nous trouvons: au début, au milieu, ou déjà à la fin.

Quel impact pour la prévoyance en Suisse?

La question n’est pas seulement de savoir quand la bulle de l’IA éclatera, mais il s'agit aussi d'en identifier les potentielles conséquences. Une correction – c'est-à-dire une baisse temporaire des cours après une forte hausse – ferait partie du cycle normal et serait même jugée «saine» par de nombreux experts si elle s'établissait autour de 10 ou 20%.

Mais au-delà, les effets pourraient se faire sentir bien plus largement. Y compris pour une partie de la population suisse, dont les avoirs de prévoyance, via les caisses de pension et les fonds du pilier 3a, sont eux aussi investis sur les marchés américains.

Matthias Geissbühler se veut toutefois rassurant: «Les capitaux de prévoyance sont très largement diversifiés, une forte correction resterait donc supportable. De plus, de nombreux investisseurs suisses présentent un home bias, c’est-à-dire une préférence marquée pour les actions helvétiques plutôt que pour les titres américains.»

«Le coussin de sécurité est bien garni»

Selon lui, la part moyenne des actions dans les caisses de pension s’élève à environ 30%, et «moins de la moitié de ce montant est investie en actions américaines». Autrement dit, la part des titres américains représente généralement entre 10 et 15% du portefeuille d’une caisse de pension, un ratio similaire à celui des fonds du 3e pilier.

Un krach majeur à Wall Street aurait malgré tout un effet de contagion sur la Bourse suisse, ce qui ferait reculer les portefeuilles liés à la prévoyance. Mais Matthias Geissbühler reste confiant: «Les caisses de pension disposent de mécanismes suffisants pour amortir d’importantes corrections boursières.» 

Ces mécanismes sont, selon lui, au nombre de trois:

  1. Une large diversification des placements.
  2. Des réserves de fluctuation servant de tampon, soit une somme mise de côté pour compenser les pertes lors de périodes de baisse.
  3. Un taux de couverture moyen d’environ 118%, soit une quantité d'avoirs disponibles nettement supérieure aux engagements envers les assurés.

«Le coussin de sécurité est donc bien garni, assure l'expert. Ce n’est que si le taux de couverture tombait sous la barre des 100% que des mesures de redressement seraient nécessaires. Pour l’heure, il n’y a donc aucune raison de céder à la panique.»

Les Suisses ont une autre culture que les Américains

Au-delà des avoirs de prévoyance, un krach boursier toucherait aussi les investisseurs suisses qui ont placé une partie de leur épargne en actions. Mais pour Matthias Geissbühler, les conséquences resteraient limitées: la Suisse, contrairement aux Etats-Unis, ne possède pas de véritable culture boursière. «Alors que les Américains investissent massivement en actions, la part des titres dans le patrimoine privé reste relativement faible en Suisse», souligne-t-il.

En regardant dans le rétroviseur, Matthias Geissbühler établit un parallèle clair: «Les ressemblances avec la bulle Internet sont frappantes», explique-t-il. «A l’époque, les cours étaient dopés par le rêve du web, aujourd’hui ils le sont par celui de l’intelligence artificielle. Dans les deux cas, l’innovation technologique et ses évolutions ont alimenté l’euphorie.»

Lorsque la bulle avait éclaté, le Nasdaq américain avait perdu environ 70% de sa valeur en deux ans, alors même qu'internet avait fini par s’imposer dans le monde entier. C’est là toute l’ironie: même si le pari de l’IA finit par se révéler gagnant à long terme et par bouleverser durablement nos vies, le marché peut très bien s'effondrer à court terme.

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