En découvrant les poignantes vidéos ci-dessous, tournées par mes collègues, dans lesquelles des personnes porteuses du VIH racontent leur parcours, vous saurez déjà presque tout. En les écoutant, vous aurez appris que le moment du diagnostic suscite un choc tonitruant, que l'idée de devoir prendre un médicament pour le restant de ses jours est difficile à accepter et qu'une colère bouillonnante comme un sentiment de culpabilité indescriptible peuvent naître, au creux des entrailles.
Vous saurez aussi qu'un puissant tabou entoure toujours le VIH, que de nombreuses personnes touchées choisissent de se murer dans le silence, par peur d'être jugées.
Alors, en cette Journée mondiale de lutte contre le sida, il est plus important que jamais d'en parler. Pour briser les idées reçues, sensibiliser l'opinion publique, rappeler l'efficacité des traitements actuels et souligner les révolutions médicales en cours de développement. Et, surtout, il s'agit de réduire les stigmatisations qui pèsent, chaque jour, sur les épaules des personnes concernées.
Passons en revue quelques préjugés qu'il est grand temps de corriger:
Si le diagnostic s'apparentait, autrefois, à une sentence dramatique, les traitements disponibles permettent désormais aux patients de vivre aussi longtemps que s'ils n'avaient jamais contracté le VIH. «Depuis la découverte du VIH en 1983, la médecine a réalisé d’immenses progrès en termes de compréhension du virus et sa manière d’envahir le corps. Cela a permis le développement de nombreuses cibles thérapeutiques, dont les fameux anti-rétroviraux. Sans oublier la notion de test PCR viral, que de nombreuses personnes associent au Covid, mais qui a été développée dans le cadre de la lutte contre le VIH: Cette PCR nous permet de quantifier le nombre de virus présents dans l’organisme et donc aussi de mesurer l’efficacité des traitements.»
Aussi le spécialiste rappelle-t-il l'importance des tests PCR, que de nombreuses personnes associent au Covid, mais qui étaient initialement utilisés dans le cadre du VIH: «Ils nous permettent de quantifier le nombre de virus présents dans l’organisme, afin de mesurer l’efficacité des traitements.»
Pour rappel, le VIH désigne le virus, alors que le sida est le nom donné à la maladie en elle-même, lorsqu'elle se déclare suite aux dégâts causés par le VIH. Or, les médicaments empêchent aujourd'hui la maladie de se déclarer, signifiant que les personnes touchées ne sont pas malades, mais porteuses d'un virus.
Visant à baisser la charge virale à des seuils indétectables par les machines, ces traitements s'avèrent aussi moins lourds et invasifs qu'auparavant. «Beaucoup de patients peuvent être soignés avec un comprimé par jour, à vie, note le spécialiste. Il est également possible, en l'absence d’hépatite B et de résistance, d’avoir recours à des injections tous les deux mois.»
Le choix du traitement revient entièrement aux patients, dans la mesure où les résultats seront similaires: si certaines personnes préfèrent se rendre chez leur médecin tous les deux mois pour recevoir leur injection, d’autres sont plus à l’aise avec l’idée de prendre un comprimé quotidien, en s’épargnant les déplacements au cabinet.
«Par définition, le VIH affaiblit les défenses immunitaires, rappelle le professeur Cavassini. Mais les médicaments antirétroviraux permettent à la fois de restaurer et de maintenir l’immunité, si bien que les patients retrouvent de bonnes intactes. Il s’agit d’une véritable résurrection!»
Pour notre expert, le Graal absolu serait à la fois une guérison complète et le fait de ne plus devoir prendre un traitement chronique: «Mais les cas de guérison ou rémission, lorsque la personne n'a plus besoin de prendre des antirétroviraux, sont rarissimes. Ils ont été observés chez des personnes touchées par des maladies ontologiques, ayant nécessité des greffes de moelle osseuse de donneurs le plus souvent très particuliers ainsi que de lourdes chimiothérapies préalables. Pour l’instant, il n’y a pas de perspective proche de traitement qui permettrait l’arrêt des antirétroviraux. En revanche, nous avons l’espoir de voir d’ici à quelques années des traitements à longue durée d’action administrables idéalement que deux fois par année… ce qui serait une sacrée révolution !»
Qu'il s'agisse du plan intime, professionnel ou social, les personnes porteuses du VIH peuvent réaliser tous leurs objectifs et mener une vie parfaitement heureuse, selon leurs désirs.
«Les traitements permettent de vivre aussi longtemps que si on n’avait jamais contracté le virus et de mener une vie épanouissante, sans la moindre barrière, affirme le professeur Cavassini. Cela dit, il n’est pas simple de prendre un comprimé tous les jours: au quotidien, ce geste nous rappelle qu’on est différent.»
Et la société n'est malheureusement pas s point de laisser cette différence se dissiper complètement, pour le moment: «On ne constate pas autant de progrès du côté de la stigmatisation des personnes concernées et de l’image qu’on se fait de cette infection, déplore notre expert. Bien que les patients ne soient pas malades, mais juste porteurs d’un virus, ils craignent souvent de se sentir rejetés. Preuve en est les questionnaires de santé ou assurance vie demandant spécifiquement si vous avez le VIH ou les pays qui demandent un dépistage VIH avant de vous accorder un permis de résident. Bien que certains pays ou assurances vie ont révisé leurs procédures en tenant compte des progrès médicaux, d’autres peinent à le faire.»
D'après l'organisation Aide suisse contre le sida, 17'610 personnes vivent avec le VIH en Suisse, dont 98% ont accès au traitement. Ainsi, le professeur Cavassini souligne que la plupart d'entre nous côtoyons tous probablement une ou plusieurs personnes concernées sans le savoir.
«Comme ce virus est, à tort, 'réservé' aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, aux travailleurs du sexe, aux drogues, aux migrants des pays à haute endémie, le diagnostic reste très tabou, tous milieux socio-économiques ou culturels confondus, observe-t-il. Les raisons pour ne pas se dévoiler sont multiples, allant de peur du rejet, celle de modifier le regard de l’autre, la volonté d'éviter d’inquiéter son entourage à la crainte que ça s’ébruite. Parfois, le secret va contribuer à une plus grande solitude, tristesse ou culpabilité. Nous encourageons le partage avec au moins un.e proche ou une autre personne vivant avec le VIH. Libérer la parole fait du bien.»
En 2008, la Commission fédérale pour les problèmes liés au sida affirmait, dans une déclaration surnommée le «Swiss statement» qu'une «personne séropositive ne souffrant d’aucune autre maladie sexuellement transmissible et qui suit un traitement antirétroviral efficace ne transmet pas le virus par le biais de contacts sexuels».
Le professeur Cavassini rappelle également que la prévention médicamenteuse est aussi en plein essor, avec le développement de traitements permettant d’empêcher l’infection, à la façon des médicaments anti-paludisme proposés aux voyageurs qui se rendent dans les zones à risque. «.Cette prophylaxie préexposition (PrEP) d’antirétroviraux ajoute un bouclier supplémentaire, en plus du préservatif, et permet de diminuer de 90% le nombre de nouvelles infections. La dernière PrEP par injections sous-cutanée de Lenacapavir 2x/an avoisinait 100% d’efficacité. Il s’agit là d’un 'équivalent' du fameux vaccin que la recherche tente en vain de développer depuis des années.»