Exploités, sous-payés, poussés à bout
Des ex-employés accablent le géant suisse de l'immobilier Betterhomes

Une pluie de critique s'abat sur Betterhomes. Les ex-collaborateurs du «plus grand courtier immobilier indépendant de Suisse» dénoncent une pression excessive, voire une situation d'esclavage moderne. Des récits accablants qui incriminent directement la direction.
Publié: 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 06:58 heures
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Dorothea Vollenweider, journaliste pour Blick, s'est entretenue avec plusieurs anciens collaborateurs de Betterhomes.
Photo: Raphaël Dupain
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Dorothea Vollenweider

Betterhomes se présente volontiers comme le «plus grand courtier immobilier indépendant» de Suisse. L’entreprise affirme employer 123 courtières et courtiers répartis dans 11 succursales à travers tout le pays. Sur son site internet, 2148 biens figurent actuellement au catalogue. Mais dans les faits, certains d’entre eux ont en réalité été vendus… il y a plusieurs années déjà.

La marque de fabrique de Betterhomes? Recruter des personnes en reconversion professionnelle, pour en faire des courtiers. Avec une promesse phare: des «perspectives de revenus supérieurs à la moyenne». En échange, ces nouveaux venus doivent vendre des maisons à tour de bras ou assurer la mise en location d’appartements.

Dès leur arrivée, les recrues doivent suivre un webinaire: cinq vidéos de deux heures chacune, facturées 2200 francs, à leur charge. «Ce sont des vidéos préenregistrées, pas des formations personnalisées», raconte Nicole*, une ancienne courtière aujourd'hui âgée de 37 ans. «Ensuite, on envoie ces gens directement vers des clients!» Elle-même issue d’une reconversion, elle préfère garder l’anonymat, par peur de représailles de la part son ancien employeur.

Nicole Suter* craint des représailles de son ex-employeur.
Photo: Raphaël Dupain

«Chez Betterhomes, dès qu’on cesse d’obéir aveuglément, on devient un ennemi», dénonce-t-elle. Blick a recueilli les témoignages de dix autres ex-employés, eux aussi convaincus d’avoir été exploités. «Betterhomes a profité de nous!», assurent-ils. L’entreprise, de son côté, rejette fermement ces accusations par la voix de son avocat.

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Des phrases comme «Je vais vous laisser saigner» revenaient sans cesse dès que quelqu’un osait se défendre
Lea Müller, ex-employée de Betterhomes
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Une ascension rapide ou une chute

Ces anciens employés ont tous travaillé entre deux et dix ans chez Betterhomes, que ce soit comme courtiers, cadres ou au back-office. Eux aussi souhaitent garder l’anonymat, mais veulent que leur vécu soit rendu public. «Des phrases comme 'je vais vous saigner' revenaient sans cesse dès que quelqu’un osait se défendre», raconte Lea*, 28 ans.

La plupart de ces anciens collaborateurs figuraient pourtant parmi les plus performants de la société. Promus, poussés à gravir les échelons, ils ont fini par craquer sous la pression.

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Dès le départ, la pression qu'on a pour décrocher des clients est énorme
Daniel Isler*, ex-employé de Betterhomes
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Climat de travail pesant

Leurs témoignages dressent un tableau uniforme: une ambiance de travail jugée pesante, parfois intenable, et une direction décrite comme intrusive, colérique et imprévisible.

«Dès le départ, la pression qu'on a pour décrocher des clients est énorme», confie Daniel* 40 ans. Une fois le webinaire d’entrée terminé, ceux qui ne parviennent pas à décrocher 10 à 15 dossiers dans les trois mois sont remerciés sans délai. «Sur dix personnes en reconversion, seules deux y arrivent», estime Jakob*, 45 ans.

Interrogé par Blick, l’avocat de Betterhomes balaie ces accusations. Selon lui, ceux qui réussissent disposent de «carrières prometteuses et de perspectives de revenus allant jusqu’à 250'000 francs». Et d’ajouter: «Ceux qui ne s’intègrent pas à long terme nous quittent – c’est le cas dans toute société de vente.»

Des journées à ralonge... sans salaire fixe

Chez Betterhomes, les courtiers sont rémunérés uniquement à la commission. Aucun salaire fixe n’est versé: leurs revenus dépendent exclusivement des ventes réalisées ou des appartements loués. Un modèle courant dans la branche et parfaitement légal, souligne l’avocat de l’entreprise. Les courtiers doivent toutefois travailler six jours sur sept, du lundi matin au samedi soir.

«Des semaines de 60 heures n’étaient pas rares», explique Daniel. Il l'assure: pendant les vacances, aucun revenu ne tombe. Or, même rémunérés à la commission, les employés ont droit à un salaire pendant leurs congés, estime l'expert en droit du travail Roger Rudolph. «Il n’est pas admissible de ne rien leur verser», martèle-t-il.. En principe, la base de calcul correspond à la moyenne de leurs gains précédents.»

Betterhomes conteste les accusations de Daniel et affirme que des remplaçants assurent l’intérim pour permettre aux collaborateurs en vacances d'éviter toute perte de salaire. «Toutes les commissions convenues contractuellement continuent de courir durant la période de vacances, si bien que les rémunérations acquises restent garanties», précise l'avocat.

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Ce modèle est comparable à un système pyramidal: Soit vous poussez vos stagiaires à s’améliorer et à générer du chiffre d’affaires, soit vous ne gagnez rien sur leur travail
Peter Gubler*, ex-employé de Betterhomes
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«Comparable à un système pyramidal»

Voici comment fonctionne le modèle du paiement à la commission: à chaque vente de maison, Betterhomes perçoit environ 2,5% du montant de la transaction. En début de parcours, le courtier obtient 20% de la somme perçue par la société. Pour toucher davantage, il doit gravir les échelons. Le pic est atteint lorsqu'il perçoit 30% de la commission.

Les plus performants deviennent chefs d’équipe régionaux. Mais eux aussi restent rémunérés uniquement à la commission. «Ce modèle est comparable à un système pyramidal», estime Peter Gubler. «Soit vous poussez vos stagiaires à s’améliorer et à générer du chiffre d’affaires, soit vous ne gagnez rien sur leur travail.»

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Betterhomes attache une grande importance à une culture du feedback claire et directe, avec des entretiens réguliers avec les collaborateurs
Betterhomes, par la voix de son avocat
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Pour Roger Rudolph, professeur de droit du travail à l’Université de Zurich, le paiement à la commission est une pratique légale sur le principe, mais elle doit être encadrée: «Même lorsqu’un employé est rémunéré uniquement à la commission, il a droit à un revenu minimum jugé 'approprié'», explique -t-il dans une interview à Blick.

La vie privée scrutée

Chaque semaine, Betterhomes consulte en outre l'agenda personnel de tous les collaborateurs. Ces derniers sont priés d'y inscrire, non seulement leurs rendez-vous professionnels, mais également leurs activités personnelles, et ce avant chaque samedi, à 18 heures. C’est ce que démontre un contrat de travail consulté par Blick. «Travailler chez Betterhomes, c’est ne plus avoir de vie privée», dénonce Simon*, 45 ans. Les collaborateurs doivent rester joignables par téléphone jusque tard le soir.

La pression venue d’en haut est telle qu’elle rend malade, déplorent plusieurs anciens employés. L’entreprise, par la voix de son avocat, rejette ces accusations: «Betterhomes attache une grande importance à une culture du feedback claire et directe, avec des entretiens réguliers avec les collaborateurs.» Il conteste fermement le caractère inacceptable des conditions de travail et dément les propos grossiers rapportés plus tôt par Léa.

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Les licenciements sont monnaie courante chez Betterhomes
Lea Müller*, ex-employée de Betterhomes
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Interdiction d'exercer en cas de départ

«On travaille jusqu’à l’épuisement», maintient pourtant Simon. Ceux qui se rebellent contre ce régime strict en subissent immédiatement les conséquences. «La rotation du personnel chez Betterhomes est énorme», poursuit-il. «Les licenciements sont monnaie courante», appuie Léa.

A cela s’ajoute une clause de non-concurrence particulièrement lourde: les courtiers qui quittent l’entreprise n’ont pas le droit de retravailler dans le secteur pendant deux ans. Ceux qui bravent l’interdiction risquent une action en justice. Le contrat prévoit une amende équivalente à un demi-salaire annuel.

Or, comme l'explique l'expert Roger Rudolph, les clauses de non-concurrence après la fin du contrat ne sont possible que si elles sont strictement encadrées par la loi. «L’employé doit par exemple avoir eu accès aux données liées à la clientèle ou à des secrets de fabrication, explique-t-il. Il faut également qu’un risque de préjudice important existe. Enfin, la clause doit être limitée de manière raisonnable dans le temps et l’espace, ainsi que dans son objet». Et en cas de licenciement? «En principe, la clause tombe d'elle-même.»

Aujourd’hui, plusieurs anciens collaborateurs se retrouvent même devant les tribunaux. Betterhomes les accuse d’avoir violé cette clause et réclame le paiement de pénalités. Certains ont été traduits devant le juge de paix, car ils ne peuvent ou ne souhaite pas régler les sommes exigées. D’autres ont décidé de poursuivre l’entreprise pour obtenir le paiement de leurs heures supplémentaires et vacances impayées.

*Les noms ont été modifiés

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