«Il y a un mystère chez elle…»
Antoine de Caunes a choisi Rébecca Balestra pour son nouveau magazine sur Canal+

Antoine de Caunes a choisi la genevoise Rébecca Balestra parmi les chroniqueurs de son nouveau magazine sur Canal+. Après cinq apparitions costumées, la comédienne va se consacrer à «Jacqueline», une pièce de théâtre inspirée par Jacqueline Maillan, figure du boulevard.
Publié: il y a 39 minutes
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Rébecca, dans les bras d’Antoine de Caunes, animateur de «Super plan», a choisi d’incarner un navet pour son sketch saluant la venue d’Alexandre Astier.
Photo: Manuel Braun
Didier Dana
Didier Dana
L'Illustré

«C’est avec les gens intelligents qu’on déconne le mieux», écrivait Frédéric Dard. Chez Antoine de Caunes et Rébecca Balestra, c’est à la fois un art et un trait d’union intergénérationnel. Pour la faire en 3D, on ajoutera à la déconnade la disruption et le déguisement. Il y a une filiation entre l’animateur de Super plan, le nouveau magazine hebdomadaire de cinéma de Canal+ – en crypté le mardi, en clair le vendredi –, et la comédienne, humoriste et auteure genevoise, recrutée par le jeune homme de 72 ans.

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Pour préparer son numéro, la comédienne genevoise dispose de moyens: une loge, une maquilleuse et une costumière dédiées.
Photo: Manuel Braun

En l’écoutant et en la voyant sur France Inter, chez Nagui, il a «tilté» sur cet elfe de 37 printemps aux manières de Django Edwards. «Je trouvais que Rébecca avait du chien, beaucoup d’originalité, un ton que je ne vois pas trop décliné chez les humoristes. C’était assez gonflé, avec l’envie de jouer avec les codes du genre.» Rendez-vous fut pris autour d’un café. «Là, j’ai découvert qu’elle avait été biberonnée à Nulle part ailleurs (NPA), ça l’avait profondément marquée.»

Rébecca, héritière inspirante

De 1987 à 1995, de Caunes et José Garcia clôturaient NPA. Ils débarquaient déguisés, irrésistiblement drôles, pionniers d’un genre comique, galvanisés par une liberté totale. «J’avais 6 et 7 ans les deux dernières années, confie Rébecca Balestra. Leurs sketchs avaient un côté assez enfantin. Je pense que ça a clairement fait pencher mes inclinaisons artistiques et esthétiques de diva cracra! Antoine arrivait à mélanger exubérance et grossièreté tout en disant finement des textes superbement bien écrits (avec son complice Laurent Chalumeau, ndlr). Derrière ses performances trash, il avait la classe. Moi qui suis très cynique, j’ai un humour assez violent, clivant, cette inspiration-là m’a fait du bien.»

Bon sang ne saurait mentir, lorsque la Balestra se grime en Quasimodo sur Inter, on retrouve le phrasé de Didier l’Embrouille, fan énervé de Dick Rivers, personnage emblématique de l’assortiment decaunien. «Je suis ravi d’avoir une héritière aussi inspirante, ajoute-t-il. Elle est assez fascinante, Rébecca. Je trouve qu’il y a un mystère chez elle. Il y a une dualité entre sa personne privée, effacée et discrète, presque introvertie, et ce qu’elle sort quand elle est en situation de spectacle. Là, elle lâche les chiens, il n’y a plus de limites. J’aime beaucoup ça.»

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De 1987 à 1995, Antoine de Caunes et José Garcia clôturaient «Nulle part ailleurs» par une apparition déguisée.
Photo: Manuel Braun

«J’aime en foutre partout!»

L’éruptive Rébecca, bave, crache, s’asperge et répand toutes sortes de liquides, faux sang, vomi et glaires, au milieu de ses textes. «J’aime le côté explosif, en foutre partout, parce que dans la vie je suis tout le contraire, dit-elle. Je n’aime pas qu’on me regarde, je parle doucement, je ne prends pas de place. Mais quand je performe, d’un coup, j’explose!» Entre elle et de Caunes, l’effet miroir a joué. «Je me retrouve là-dedans, admet-il. Je souffrais d’une timidité maladive. Ce genre d’exercice m’a aidé à m’en libérer.»

«
Je pense qu’il n’y a rien de pire, pour un homme, que de s’éloigner de son enfance
Rébecca Balestra
»

Dans les studios parisiens de la Canal Factory à Boulogne-Billancourt, Rébecca Balestra dispose d’une loge, d’une maquilleuse et d’une costumière. Personne ne sait à quoi elle va ressembler avant d’être catapultée sur le plateau. De Caunes découvre son déguisement et son propos comme les invités, dont on a pu remarquer, au fil des semaines, le regard ébahi.

On l’a vue en Simone Signoret, en nazi suicidaire, en boîte de mouchoirs – avec une confiture de citron simulant la morve – ou en navet aux chicots noirs. Quand elle a su qu’Alexandre Astier serait présent, elle s’est grimée en légume racine. «Le navet partage sa frustration d’être un navet à cause du cinéma qui est venu plaquer sur lui quelque chose de péjoratif. J’ai fait ça non pas parce que le film Kaamelott est un navet – je suis fan – mais parce qu’il y avait quelque chose de moyenâgeux dans ce vieux légume oublié.»

Pas d’existence dans le réel...

La môme gouailleuse exécute son numéro sans filet. «C’est un exercice très casse-gueule, convient de Caunes. Elle s’y livre avec une sorte d’inconscience, en lâchant prise.» Ici, pas de Philippe Gildas au rire contagieux, pas de public en demi-cercle comme dans l’arène surchauffée de Nulle part ailleurs. «J’attends de monter sur le ring. Une fois dans la lumière, je vais au bout, précise Rébecca. Ça me fait moins peur de manger des vers de terre – le sketch du navet – que d’entrer dans un café et passer commande. C’est beaucoup plus compliqué pour moi au quotidien. Je me sens incapable, souvent inapte.»

Elle lève une partie de son mystère. «Je suis quelqu’un d’antisocial. J’essaie de vivre le moins possible dans la vraie vie. Je me dévoue entièrement à mes enfants et à mon travail, attirée par la fiction, l’imaginaire, la scène, les costumes. J’ai l’impression que, dans le réel, je n’ai pas d’existence, pas de saveur.» C’était déjà le cas à l’école. «J’étais invisible. Au moment où j’ai commencé les ateliers de théâtre, les gens ont su comment je m’appelais. Je me suis construite dans l’idée que sans la comédie je n’étais rien. La scène me donne un cadre, une contenance. Une existence.»

La face cachée de De Caunes

C’est elle qui écrit ses sketchs. «Mon sparring-partner, c’est mon mari, Marc Gouzer (un entrepreneur, ndlr). Il m’aide non seulement à écrire mais aussi à jouer. Il est assez pointu.» Il a suivi les cours de Jean-Laurent Cochet à Paris. «Nous faisons équipe à la scène comme à la maison, où il est très présent pour l’éducation de nos très jeunes enfants. Mes deux filles sont très drôles et sont d’ailleurs mes plus grandes sources d’inspiration du moment, pour ceux qui se demandent où je puise mes idées pipi-cracra», sourit-elle.

Le touche-à-tout Antoine de Caunes, s’il peine à se définir, se montre réservé. Dans Perso, son autobiographie (Sonatine, 2021), il écrit: «Je dors peu et quand je suis éveillé, il faut endurer cette personnalité superficielle, mélancolique, monomaniaque et obsessionnelle qui désespère mes proches et fait la fortune de mes psys.» Une facette méconnue de l’élégant pince-sans-rire. «L’arrière-cuisine, moi seul vais m’y promener.

On fait des métiers de spectacles et de divertissement, il n’y a rien qui m’horripile autant que d’avoir le mode d’emploi pour suivre les états d’âme des artistes. On sait tous à quel point c’est difficile. Je trouve normal de faire l’économie de ça aux gens qui ont la gentillesse de nous suivre.»

«
Antoine de Caunes est le premier cul nu que j’ai vu de ma vie
Rébecca Balestra
»
Antoine de Caunes, acteur, côté face, fesses à l’air, sur l’affiche du film «L’homme est une femme comme les autres» (1998).
Photo: Collection Christophel via AFP

On en apprendra plus sur lui le mois prochain sur Canal+. Les 3 et 10 décembre, la chaîne lui consacre quatre épisodes de quarante minutes intitulés La vie «rêvée» d’un enfant du rock. Il sera question de sa riche carrière; on le retrouvera avec Iggy Pop, Paul Smith, Philippe Djian, Stephan Eicher et bien d’autres encore, artistes, amis et proches. Il sera aussi question de lui au-delà des apparences, parlant de ses problèmes de dépression, du deuil de ses parents.

Une BD en hommage à son père

Journaliste, romancier, acteur, réalisateur, conseiller éditorial du magazine Vieux, animateur, Antoine a rendu hommage à son père, le journaliste Georges de Caunes, dans Il déserte (Dargaud, 2025), une première BD remarquable, portée par les dessins de Xavier Coste. A partir des carnets retrouvés et des chroniques radio de son paternel, il a retracé son exil volontaire. C’était en 1968 sur l’île déserte d’Eiao, dans l’archipel des Marquises. Antoine, 8 ans, a ressenti ce départ comme un abandon.

D’entrée, Jacqueline Joubert, sa mère, dit à son mari: «Rien ne te dissuadera jamais de partir loin des tiens! Tu vis dans ton monde. Tu n’as jamais quitté l’enfance!» Antoine non plus. «Non seulement je ne l’ai pas quittée, mais, en plus, je la préserve soigneusement. Je pense qu’il n’y a rien de pire pour un homme que de s’en éloigner. Pas dans le sens où il faut passer sa vie dans une espèce d’infantilisme débile, non. Mais la curiosité, l’émerveillement, l’enthousiasme, l’étonnement et même la candeur, parfois, qu’il y a dans l’enfance me semblent être des vertus indispensables pour être un adulte acceptable.»

Rébecca Balestra, à Paris. C’est en l’écoutant et en la regardant chez Nagui, sur France Inter, qu’Antoine de Caunes a «tilté» sur elle, comme il dit.
Photo: Manuel Braun

Lune, par ailleurs...

Son goût du déguisement, en Zorro, cow-boy ou chevalier, il le tient de son grand-père maternel. Léon Joubert était directeur du Théâtre du Trianon, metteur en scène et chanteur, il montait des opérettes. S’il ne l’a jamais connu, il l’a aperçu en images, grimé en Tarass Boulba ou en Harpagon. Une nuit, vers 9 ou 10 ans, Antoine a fait un rêve. «Un homme m’a dit: «Ne t’inquiète pas, je serai toujours là.» Le lendemain, il décrit à sa mère cet inconnu bienveillant: «Un homme à moitié chauve, les yeux bleus avec un regard très doux.» «C’est ton grand-père», lui répondit-elle, avant d’aller chercher sa photo. «Et c’était vraiment lui, confirme de Caunes. Ce souvenir m’a marqué au fer rouge.»

La grand-mère paternelle de Rébecca Balestra était costumière à Genève, à la tête de Balestra Costumes. «Mon grand-père écrivait aussi les revues des PTT dans lesquelles jouait Daniel, mon père. J’ai grandi dans une atmosphère de bal costumé. Je faisais énormément de spectacles, enfant. Nous avions une malle à déguisements. C’était mon passe-temps.»

Il est un trait d’union invisible entre Rébecca et Antoine. «Il est le premier cul nu d’homme que j’ai vu de ma vie, confesse-t-elle. En 1998, l’affiche du film L’homme est une femme comme les autres, sur laquelle on voyait son postérieur, trônait dans le vidéoclub de Versoix où nous louions nos VHS en famille.» Elle n’a pas vu La Gaule d’Antoine – titre de l’une de ses nombreuses émissions – mais sa lune façonnée par des années de cyclisme. De Caunes le découvrira en lisant ces lignes, le jeudi 13 novembre, une fois dans la Cité de Calvin où cet homme très éclectique (tac) est, cette année, maître de cérémonie du 25e Grand Prix d’horlogerie de Genève.

«Jacqueline», tragédie de boulevard

Le temps d’une pièce de théâtre, Rébecca, digne fille indigne, va lui lâcher la main et s’absenter de Super plan. Ces jours, elle travaille le rôle principal de Jacqueline, une pièce autour de celle que l’on surnomma «la de Funès en jupons»: Jacqueline Maillan. Une création sur un texte de Guillaume Poix (qui a été en lice cette année pour le Goncourt avec Perpétuité) et une mise en scène de Manon Krüttli.

«Jacqueline»

Les jeudi 13 et vendredi 14 novembre à l’Usine à Gaz, Nyon; du jeudi 20 au dimanche 23 novembre à L’Arsenic, Lausanne; du mercredi 3 au dimanche 14 décembre à la Comédie de Genève; les jeudi 18 et vendredi 19 décembre au Théâtre populaire romand (TPR) à La Chaux-de-Fonds.

Les jeudi 13 et vendredi 14 novembre à l’Usine à Gaz, Nyon; du jeudi 20 au dimanche 23 novembre à L’Arsenic, Lausanne; du mercredi 3 au dimanche 14 décembre à la Comédie de Genève; les jeudi 18 et vendredi 19 décembre au Théâtre populaire romand (TPR) à La Chaux-de-Fonds.

«C’est une tragédie de boulevard. L’histoire d’une actrice déchue au soir de sa vie qui, désespérée de ne plus jouer, met fin à ses jours en présence de ses partenaires de scène Micheline Dax (Jeanne De Mont) et Jacques Jouanneau (Jérôme Denis).» Le poison agit, lorsque, coup de théâtre, on sonne à la porte. «Le dramaturge Bernard-Marie Koltès (Simon Guélat) lui propose un rôle tragique dans Retour au désert. Dès lors, elle fera un bras de fer avec la mort pour échapper à son destin fatal et réaliser enfin son rêve: jouer pour le théâtre d’art subventionné», commente Rébecca.

«
'Jacqueline' est une pièce sur l’ego et une ode au jeu d’actrice
Rébecca Balestra
»

C’est aux côtés de son grand-père qu’elle a découvert Maillan en regardant Au théâtre ce soir. «Elle était drôle, précise et maniait l’art de la rupture. Dans la même phrase, elle partait sur une intention et finissait sur une autre. Guillaume Poix a réussi à retranscrire la substantifique moelle de sa langue. C’est difficile à faire, elle ne finit jamais ses phrases. Dans le texte de la pièce, il y a les mots écrits et il y a le sous-texte silencieux qu’il m’a fallu deviner, imaginer, terminer. C’est une ode au jeu d’actrice. A la fois l’exercice le plus ardu et le plus jouissif que j’ai jamais joué.»

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Rébecca Balestra dans le magnifique décor rouge de la pièce «Jacqueline», en plein travail avec la metteuse en scène, Manon Krüttli.
Photo: Manuel Braun

Immortelle en scène

Jacqueline Maillan fut un phénomène. «Elle était extrêmement virtuose et très contrôlante. Elle tenait les rênes et aurait pu incarner tous les personnages. Guillaume s’est inspiré de ce côté dévorant et féroce pour écrire notre Jacqueline. C’est aussi et surtout une pièce sur l’ego.» Cette femme, comique sans pareille, a fini tragiquement. «Elle est morte de façon subite parce que, dévouée à son art, elle a repoussé inlassablement une opération du cœur pour ne pas avoir à manquer un soir sur scène. Elle a fini par faire une crise cardiaque entre deux représentations de Pièce montée, en 1992.»

Mourir en scène, Rébecca Balestra y pense-t-elle parfois? «Je n’y crois pas. Le nombre de fois où j’ai joué avec une grippe, enceinte jusqu’aux dents, une semaine après avoir accouché, en allaitant en coulisses... Mourir sur scène, c’est un mythe. Sur scène, on est immortel!» conclut-elle.

«Super plan»

Magazine sur l’actualité du septième art, Canal+, les mardis en crypté, après le journal de 20h, et les vendredis en clair, vers 20h10.

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Un article de «L'illustré» n°46

Cet article a été publié initialement dans le n°46 de «L'illustré», paru en kiosque le 13 novembre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°46 de «L'illustré», paru en kiosque le 13 novembre 2025.

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