«Les robots sont arrivés»
Doit-on préparer nos enfants à un monde régi par l'IA?

Quel avenir attend les jeunes qui grandissent dans l'ère de l'intelligence artificielle (IA)? Quels métiers occuperont-ils et comment leur offrir les outils nécessaires pour surfer sur la vague des évolutions technologiques? L'avis de deux experts.
Publié: 16:07 heures
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Curiosité et esprit critique sont essentiels, lorsqu'il s'agit de guider les plus jeunes vers un avenir indissociable de l'IA.
Photo: Shutterstock
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Melania Trump, depuis le fin fond de la Maison Blanche, tremble pour la jeunesse de son pays: «Les robots sont là», avertit-elle dans un discours prononcé fin septembre, ajoutant qu'il «en va de notre responsabilité de préparer les enfants aux prochaines décennies dominées par l'IA.» 

L'objectif semble louable, alors que l'intelligence artificielle évolue à une vitesse exponentielle, provoque des psychoses, fait parler des peluches et détermine la qualité d'un CV. Mais peut-on vraiment anticiper un futur qu'on ne peut pas encore imaginer? Faut-il tenter de préparer les jeunes à un monde qu'ils maîtriseront forcément mieux que nous, lorsqu'ils soigneront un dossier de candidature au job de leurs rêves?

Pour Olivier Glassey, sociologue et spécialiste des usages du numérique à l’UNIL, le paysage actuel de l’IA ne nous offre qu’une seule certitude: «Cette technologie évolue avec une telle rapidité qu’il serait prétentieux de prédire de manière définitive son impact sur les trajectoires d’apprentissage des enfants et des jeunes. Sans être tétanisé ou hypnotisé face à des changements en devenir, il convient donc de rester modeste et attentif.» 

Car tout est encore possible, au vu des progrès intimidants que réalisent les robots: «De nombreux postes que nous occupons actuellement n’existaient pas encore, il y a vingt ans, analyse Matthieu Corthésy, directeur d'Outilia, une agence de formation à l'IA. On peut s’attendre à une évolution similaire pour nos enfants: les métiers qu’ils choisiront n’existent pas encore aujourd’hui, ce qui rend leur avenir difficile à imaginer ou à anticiper.» 

Enseigner l'esprit critique, face à l'IA

Convient-il, dans ce cas, de rester passif devant une société en pleine transformation, pendant que nos enfants apprennent tranquillement à manier un clavier? Pas forcément, puisque l'ouverture d'esprit, sans naïveté ni déni, peut être développée à tout âge: «L’enjeu est de cultiver notre curiosité face à ces technologies pour ne pas en rester de simples consommateurs passifs», pointe Olivier Glassey. 

Autre défi de taille: apprendre aux plus jeunes que les robots, malgré l'immédiateté de leurs prouesses, ne possèdent pas la science infuse. «Parfois, quand je n’ai pas la réponse à l’une de ses questions, mon fils me conseille automatiquement de ‘demander à mon natel’, raconte Matthieu Corthésy. D’après les dernières études réalisées par OpenAI, la moitié des utilisateurs de ChatGPT sont âgés de moins de 26 ans, tandis que 49% de tous les utilisateurs s’en servent essentiellement pour poser des questions, comme nous le faisions déjà avec Google.»

Les jeunes utilisateurs risquent ainsi de concevoir l'IA comme un puit inépuisable de réponses. «Mais il est très important de leur rappeler que ces outils ne sont pas omniscients et qu’il est essentiel de vérifier les résultats, afin d’en chasser les erreurs», prévient notre intervenant. 

La différence entre «bons» et «mauvais» élèves

Cette prise de conscience pourrait même devenir essentielle pour se démarquer, sur le marché du travail du futur: Matthieu Corthésy prédit un monde professionnel marqué par un fossé entre deux types d’utilisateurs de l’IA: «Il y aura ceux qui l’utilisent ‘bien’, comme une base de connaissances, un vecteur et un optimiseur, précise-t-il. Puis, il y aura ceux qui l’utilisent ‘mal’, sans vérifier les sources et sans se montrer suffisamment alertes. Il s’agira d’apprendre à s’appuyer sur l’IA pour améliorer ses propres capacités, sans se contenter de la laisser faire des tâches à notre place.» 

En d'autres termes, l'IA doit rester à notre service, sans obnubiler notre quotidien ou nos rapports sociaux. «À terme, dans ce futur qui émerge à peine, l’enjeu est de contrôler au mieux ce que nous déléguons aux IA, pointe Olivier Glassey. Comment rester acteur de l’usage de ces outils? Répondre à cette question n’est pas simple, mais l’une des manières de le faire sera certainement de continuer à cultiver notre humanité.» 

Que peut-on faire, en tant que parent?

Si vous vous mettez aussitôt à transpirer dès qu'il s'agit d'intelligence artificielle et que vous redoutez de voir vos enfants plonger dans un univers qui vous échappe, soyez rassurés: il n'est absolument pas nécessaire de forger une expertise en IA pour accompagner les plus jeunes sur ce mystérieux chemin. 

«Une simple connaissance d’utilisation et une envie d’expérimenter suffisent, assure Matthieu Corthésy. Diaboliser l’outil serait contre-productif, car on ne pourra simplement pas l’interdire, mais il s’agira surtout de rappeler qu’on doit pouvoir s’en passer, qu’il ne doit pas nous remplacer, mais nous renforcer.» 

Voici quelques idées pour que leur découverte de l'intelligence artificielle plante les graines du succès et instaure le bon état d'esprit: 

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Les aider à optimiser l'apprentissage

Qu'il s'agisse des devoirs ou des loisirs, les chatbots peuvent apporter une dimension passionnante aux activités quotidiennes des plus jeunes, sans les dominer. Matthieu Corthésy rappelle par exemple que l’IA peut représenter un outil d’apprentissage ludique, tant que leurs activités restent encadrées.

«Personnellement, je propose parfois à mon fils de réaliser un dessin, que nous amplifions ensemble grâce à Nano Banana, sur Google Gemini, pour le rendre photoréaliste ou fantaisiste, explique-t-il. De cette manière, l’IA devient un vecteur d’apprentissage et de créativité, mais on en reste l’acteur principal.»

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Car à nouveau, l'idée est de s'appuyer sur ces outils sans les laisser réaliser tout le travail à notre place. Au moment d'apprendre le redoutable vocabulaire d'allemand (un exemple parmi d'autres!), notre expert propose également de tester NotebookLM, une plateforme permettant de créer des résumés, des listes ou des quiz destinés à encourager les révisions. «Le mode 'étudier et apprendre' de ChatGPT peut aussi se prêter à cela, lorsqu'on accompagne les jeunes et qu'on utilise la plateforme ensemble», poursuit-il. 

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Protéger leur personnalité émergente

Dans les dystopies, l'arrivée progressive des robots suscite typiquement la crainte que nous devenions tous des copies conformes, que nos particularités humaines soient gommées par l'ambition de l'excellence. Bien sûr, on ne vit pas (encore) dans un roman d'Asimov, mais ce point doit être gardé à l'esprit, notamment pour des adolescents en pleine construction identitaire.

«Lorsque l’on parle des réseaux sociaux, on évoque souvent le risque d’enfermement dans une bulle informationnelle, clarifie Olivier Glassey. Avec les bots, le phénomène est différent, car l’IA ne nous confronte pas à d’autres personnes, mais à nous-mêmes, comme une sorte de miroir déformant. Il est intéressant de sensibiliser les jeunes utilisateurs à cet autre type d’enfermement potentiellement néfaste: une IA qui, sous les apparences de la bienveillance, peut les empêcher de se socialiser et de dialoguer alors qu’ils sont en pleine phase de formation de leur identité.» 

Pour rappel, OpenAI vient de mettre en place un contrôle parental, spécifiquement destiné à sécuriser l'usage des adolescents. 

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Poser des questions ouvertes

Or, pour explorer tous ces enjeux et guider les plus jeunes dans leur utilisation, il faut déjà parvenir à comprendre leur usage de l'IA. Et pour cela, la communication est indispensable: 

«Les parents peuvent en faire un objet de conversation, en posant des questions ouvertes, en rappelant qu’il ne s’agit pas d’une intelligence sensible, mais le produit d’une machine à calculer sophistiquée, recommande le spécialiste. On peut aussi rendre attentif aux techniques de séduction des IA et rappeler qu’elles commettent des erreurs. L’important n’est pas de connaitre les derniers développements techniques du domaine, mais d’assurer nos enfants que nous restons, en tant que parents, une ressource constante et bienveillante face à leurs questions ou leurs soucis.» 

Car à terme, il vaut mieux discuter en famille que de déverser tous ses maux sur l'infatigable, mais indifférent ChatGPT. 

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