Les prisons suisses affichent complet. Dans plusieurs régions, des projets d’extension et de création de nouvelles places de détention sont à l’étude. A Lucerne, les autorités ont même installé des conteneurs afin d’accueillir davantage de détenus.
Pourtant, une grande partie des détenus n’auraient pas besoin d'être derrière les barreaux. La Suisse contribue elle-même à la surpopulation de ses prisons: chaque année, des milliers de personnes sont incarcérées faute d’avoir pu payer une amende ou une peine pécuniaire. C’est ce que révèlent les dernières statistiques publiées par la Confédération.
L’an dernier, 9030 personnes ont été incarcérées en Suisse. Parmi elles, 4985 l’ont été parce qu’elles n’avaient pas les moyens de payer une amende ou une peine pécuniaire. Autrement dit, plus de la moitié des entrées en prison sont liées à des sanctions financières impayées.
En moyenne, les personnes concernées passent environ huit jours en prison pour ces peines privatives de liberté de substitution. Ces courts séjours posent de nombreux problèmes aux autorités et entraînent des coûts importants pour la collectivité: environ 200 francs par jour et par détenu.
Le Conseil fédéral veut repenser le système
Un facteur déterminant: la fraude aux transports publics conduit chaque année à des centaines d’incarcérations. Les personnes concernées sont souvent des bénéficiaires de l’aide sociale ou des personnes dépendantes, sans ressources et déjà dépassées par la gestion de leur tracas administratif.
Aujourd’hui, les entreprises de transport ont le choix de signaler ou non les resquilleurs au Ministère public, en plus de leur infliger une amende sur le billet. Lorsqu’elles décident de le faire, cela déclenche souvent un véritable parcours du combattant administratif pour ces personnes démunie. La plupart du temps, les procureurs prononcent des amendes que ces personnes sont incapables de payer. Les poursuites échouent, et la sanction se transforme finalement en peine privative de liberté de substitution.
La conseillère nationale vaudoise socialiste Jessica Jaccoud a lancé une intervention visant à réduire le nombre de peines privatives de liberté de substitution. Elle constate que des détentions ont lieu même pour de très petites sommes.
Cela entraîne des coûts élevés, beaucoup de bureaucratie, mais «aucun bénéfice réel à la sécurité publique». De plus, il n'y a pas d'effet dissuasif dans ce genre de situation. «Les peines d'emprisonnement de substitution touchent majoritairement des personnes en situation précaire, qui ne sont pas en mesure de payer, et non des délinquants récalcitrants», déclare Jessica Jaccoud.
La resquille n'est plus un cas pour les procureurs ?
Le Parlement n'a pas encore débattu de l'intervention, mais le Conseil fédéral se montre ouvert à une dépénalisation de la resquille. «L'abandon de la sanction pénale aurait pour conséquence de décharger la police et le Ministère public. Les tribunaux pourraient également être déchargés et, enfin, l'Etat ne devrait plus s'occuper de l'encaissement des amendes et de l'exécution des peines de substitution». Dans ce scénario, les contrevenants seraient sanctionnés uniquement par des surtaxes prélevées directement par les entreprises de transport.
Le canton de Zurich peut déjà se féliciter de certains succès. En effet, les personnes incapables de payer leurs amendes ont la possibilité d’effectuer un travail d’intérêt général plutôt que d’aller en prison. Le problème, cependant, est qu’elles doivent faire cette demande elles-mêmes et dans les délais impartis. Beaucoup échouent rien que pour cette raison.
Le canton dispose de son propre service de conseil, qui informe dans un langage clair les personnes n’ayant pas payé leurs amendes de la possibilité d’effectuer un travail d’intérêt général. Grâce à cette approche, le nombre de personnes ayant opté pour cette solution a augmenté de 26% en un an.
Mais la peine privative de liberté de substitution a aussi un certain effet: les chiffres de Zurich montrent en outre qu'environ 60% des personnes finissent par payer leur amende au dernier moment pour ne pas aller en prison.