Jamais autant de personnes n’ont passé leurs vacances en Suisse que l’été dernier. Cette année, le record de 42,8 millions de nuitées pourrait même tomber.
Des critiques accusent Suisse Tourisme d’alimenter le surtourisme avec ses campagnes mettant en scène Roger Federer et d’autres figures emblématiques. De quoi irriter Martin Nydegger, directeur de Suisse Tourisme. Depuis le siège zurichois de l’organisation, le Bernois contre-attaque.
Martin Nydegger, la Suisse n'a jamais compté autant de nuitées que l'été dernier. 2025 sera-t-elle une nouvelle année record?
Pour l'ensemble de l'année 2025, nous prévoyons une croissance des nuitées de 1 à 2% par rapport à l'année précédente. Cette croissance est tout à fait normale et semblable à ce que nous avons connu durant de nombreuses années avant la crise du Covid. Sans une telle croissance, les entreprises touristiques ne pourraient procéder à tous les investissements nécessaires dans les infrastructures telles que les chambres d'hôtel ou les remontées mécaniques.
2025 sera donc à nouveau une année record. Quelle part de ce succès attribuez-vous à votre organisation de promotion du tourisme?
Je ne peux pas prouver concrètement l'effet par des données. En interne, nous estimons qu'un visiteur sur six est dû à notre commercialisation globale. L'interaction entre l'Etat et les entreprises touristiques privées fonctionne parfaitement. A cela s'ajoutent les paysages grandioses, la nature intacte et les montagnes fantastiques – qui sont d'ailleurs les trois principales raisons motivant un voyage en Suisse.
Grindelwald vient de stopper un projet d'hôtel, Lauterbrunnen est envahie de touristes, Iseltwald s'est transformée en hotspot à selfies – combien de touristes supplémentaires la Suisse peut-elle encore supporter?
Nous avons en Suisse 300 destinations touristiques. La plupart disposent de place dans les hôtels. Le taux d'occupation annuel moyen est de 50%, dans les Grisons de 40%. Pour une poignée de destinations, je vous l'accorde, il y a ponctuellement des épisodes de saturation. Je suis en contact permanent avec tous les présidents de commune, les hôtels et les remontées mécaniques. Et pas seulement lorsque les choses se gâtent. Même si je critique le surtourisme, j'ai un message clair à faire passer: ne faites pas des problèmes de quelques lieux un phénomène national.
Quels sont les endroits qui pourraient supporter encore plus de touristes?
Cela dépend combien de temps vous souhaitez rester. Mais la liste est longue. J'ai commencé ma carrière en Basse-Engadine, à Scuol. Là-bas, les hôtels sont heureux de recevoir chaque client. C'est aussi le cas dans toute la Suisse orientale – en Thurgovie, à Saint-Gall, à Schaffhouse – et même au Tessin, où il n'y a que peu d'endroits à saturation. A Lugano et Bellinzone, la place ne manque pas.
A-t-on vraiment besoin d'un Roger Federer et d'autres célébrités dans une campagne vidéo pour attirer de nouveaux visiteurs en Suisse?
Si les touristes piétinent votre jardin ou n'attendent pas patiemment leur tour dans la file d'attente, nous trouvons cela pénible, nous aussi. Nous ne voulons en tout cas pas exercer de pression supplémentaire sur les hotspots touristiques qui attirent déjà suffisamment de visiteurs de l'étranger. Avec Roger Federer et Halle Berry, nous visons des régions moins fréquentées et voulons orienter davantage les touristes vers la saison d'automne. C'est pourquoi nous sommes allés à Vitznau (ndlr: dans le canton de Lucerne, au bord du Lac des Quatre Cantons) et à Emmetten (ndlr: dans le canton de Nidwald) avec ces deux stars. Ces deux lieux ne sont certainement pas des hotspots touristiques. Nous nous sommes concentrés sur les téléphériques et les bateaux, c'est à dire sur les transports publics. Avec ce spot publicitaire, nous voulons montrer qu'il vaut la peine d'augmenter la durée d'un séjour en Suisse.
Et si quelqu'un se rend à Lucerne de ce fait... La ville est déjà bondée de touristes. Un tel spot pourrait inciter davantage de voyageurs à s' y rendre
Cela peut bien sûr arriver. La seule chose que nous puissions faire, c'est essayer de dissocier les flux touristiques et de mieux les répartir sur l'année.
L'année prochaine, Suisse Tourisme recevra 50 millions de francs de la part de la Confédération. Combien de francs de nos impôts sont consacrés aux campagnes publicitaires avec Roger Federer?
Chaque pays a une organisation nationale du tourisme. Dans chacun d'entre eux, la part de l'argent public est de 80 à 100%. Chez nous, elle n'est que de 50%. Suisse Tourisme est l'organisation qui reçoit la plus faible contribution de l'Etat au monde. L'autre moitié provient directement de la branche.
Cela ne répond pas à la question.
Vous voulez savoir si Roger Federer gagne de l'argent avec Suisse Tourisme? Je peux vous dire qu'il ne gagne pas un centime avec nous. Il l'a dit lui-même au début de notre collaboration: «J'ai eu du succès parce que j'ai grandi dans un pays qui m'a donné la stabilité nécessaire pour cela. La dernière chose que je veux, c'est recevoir l'argent des contribuables pour mon engagement.»
Roger Federer et les autres stars font toute la publicité gratuitement?
Nous versons à Roger Federer une contribution modérée à sa fondation, qui utilise l'argent uniquement pour les enfants défavorisés en Suisse. C'est stipulé dans le contrat. Et ce contrat, nous ne pouvons pas le rendre public. Je ne peux pas non plus vous dire ce que touchent les autres stars. Si je le pouvais, je le ferais volontiers, car vous vous pencheriez alors par-dessus la table pour me serrer la main en découvrant à quel point ces célébrités promeuvent la Suisse pour des montants dérisoires.
Alors, merci Roger?
Oui, exactement. Et je le pense très sincèrement. Les stars nous ouvrent beaucoup de portes, et c’est en grande partie grâce à Roger.
Des critiques s'insurgent du fait que de l'argent public serve à générer des clics pour les vidéos de Federer sur internet
Qu’y a-t-il de choquant là-dedans? Nous sommes un organisme de promotion et nous avons un mandat de la Confédération. Puisque nous disposons de figures comme Roger Federer ou Halle Berry, nous voulons évidemment que notre message touche le plus grand nombre. Et j’ajouterai ceci: avec notre dernier spot, nous avons obtenu davantage de portée que les années précédentes, malgré une promotion et un budget réduits.
Votre organisation est en partie financée par l’Etat. Pourquoi refusez-vous de dévoiler les budgets de vos projets?
Avec des personnalités comme Roger Federer, il existe des accords de confidentialité. En revanche, en ce qui concerne les budgets de nos projets, nous sommes totalement transparents. Tout est détaillé dans notre rapport annuel. Nos partenaires savent précisément comment leurs fonds sont utilisés.
Le Conseil fédéral envisage de réduire votre budget touristique de quelques millions. Faudra-t-il supprimer des postes?
Oui, bien sûr, c’est logique. Des économies sont faites partout. Nous employons 280 personnes: la moitié en Suisse, l’autre dans 35 bureaux répartis sur 22 marchés. Ce sont de très petites équipes, de douze personnes maximum. Avec moins de moyens, nous serons également moins capables de canaliser les flux touristiques.