Viola Amherd aurait ignoré des avertissements
Ruag doit assumer le dossier colossal des F-35... mais en est-elle capable?

Faire voler quatre F-35 engendrera des coûts supplémentaires. Par ailleurs, l'entreprise d'armement Ruag est déjà fortement occupée par la maintenance des F-18.
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Le conseiller fédéral Martin Pfister (à droite) a pris sa décision: Ruag est responsable de la fabrication finale de quatre avions F-35.
Photo: keystone-sda.ch
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Raphael Rauch

Ruag a reçu une excellente nouvelle vendredi. Le Conseil fédéral a confirmé que l'entreprise d'armement devait reprendre la fabrication finale de quatre F-35. Le mastodonte suisse y voit son «activité offset la plus importante», qui est centrale pour son avenir. 

Mais Ruag est-elle en mesure de mener à bien ce projet colossal? Certains membres de l'armée et de l'office de l'armement Armasuisse en doutent. Pourtant, on raconte que l'ancienne conseillère fédérale Viola Amherd et le chef de l'armement Urs Loher auraient encouragé l'activité offset, ignorant les avertissements du personnel.

Des coûts supplémentaires engendrés

Mais le contrat des avions de combat implique plusieurs coûts supplémentaires. «L'énorme dépense supplémentaire d'un montage final pour seulement quatre avions coûte plusieurs centaines de millions d'argent public pour quelque chose dont la Suisse n'a pas du tout besoin», affirme un initié à Blick. «Ruag n'aura jamais besoin d'appliquer les connaissances nécessaires sur le F-35, car les tâches d'ingénierie resteront toujours chez le fabricant.» Soit aux Etats-Unis, et non en Suisse.

Pour mener ce projet à bien, Ruag doit par ailleurs investir des dizaines de millions dans les infrastructures et construire une nouvelle halle spécialement pour l'occasion. Ces dépenses sont indirectement répercutées sur les Forces aériennes via les coûts de maintenance des avions et hélicoptères, ce qui alourdit encore l'exploitation des systèmes.

«Aucun avantage pour l'économie nationale»

Les affaires compensatoires – des contreparties exigées par la Suisse pour compenser les retombées économiques et industrielles liés à l'achat des F-35 – sont controversées, car cela fait grimper le prix des avions. Il serait ainsi plus avantageux d'acheter des avions déjà construits que d'injecter de l'argent supplémentaire dans Ruag.

En plus, les affaires compensatoires n'auraient pas non plus d'impact sur l'économie nationale: «Dans l'hypothèse d'un plein emploi de l'économie suisse, les affaires compensatoires, tout comme les commandes de l'armée à des entreprises suisses, n'ont aucune utilité pour l'économie nationale», indique le document interne du Département de la défense (DDPS), que Blick a pu consulter. «Sans affaires compensatoires, il faudrait partir du principe que d'autres commandes pourraient être obtenues et exécutées.»

Ce qu'il faut en revanche reconnaître avec le contrat des F-35 donné à Ruag, c'est qu'il donne à l'entreprise l'opportunité de collaborer avec des fabricants internationaux de pointe. «L'assemblage final partiel et les tests de quatre F-35 en Suisse aident à développer un savoir-faire sur l'avion de combat de 5e génération en Suisse et à renforcer l'indépendance en matière de maintenance», souligne l'Office de l'armement Armasuisse.

Ruag débordée par la maintenance des F-18

Cela fait un bout de temps que les Forces aériennes se plaignent de Ruag. Le sujet qui fâche: la maintenance des F-18. Ces avions de combat sont des oldtimers aviatiques – des avions anciens restaurés pour le patrimoine. Mais il y a un hic: «Le problème du vieillissement du F/A-18 C/D s'est aggravé plus rapidement que prévu. Les moyens de production, les connaissances techniques et le personnel nécessaires à la fabrication des composants requis sont de plus en plus rares. Dans certains domaines, des pièces d'occasion doivent déjà être achetées à d'autres exploitants», a annoncé le Conseil fédéral vendredi. 

A cela s'ajoutent des problèmes internes à Ruag. Au lieu de 120 heures de vol, les pilotes n'arrivent parfois plus qu'à 80 heures de vol par an. Il y a aussi un grand retard dans l'entretien et la remise en état des avions. Entre 50 et 70% des avions sont en maintenance, indique-t-on à Berne.

Le programme de prolongation de la durée de vie des F-18, approuvé par le Parlement, n'a pu être réalisé qu'avec plusieurs années de retard et a dû être interrompu lorsque la moitié des avions étaient en service. Les travaux en suspens sont désormais intégrés dans les travaux d'entretien courant des avions qui n'ont pas encore été modifiés. Tout cela entraîne des annulations de vol et de la frustration chez les pilotes.

Ruag défendu

«La répartition des heures de vol reste inchangée depuis de nombreuses années: les pilotes d’escadrille visent 120 heures de vol, avec priorité aux jeunes afin d’assurer leur formation. Les pilotes plus expérimentés, souvent en charge de missions d’état-major, ont un objectif de 60 heures par an, compte tenu de leur vaste expérience», informe l'armée. 

Le conseiller national de l'Union démocratique du centre (UDC) Thomas Hurter ne croit pas du tout aux projets du Conseil fédéral. «Ruag devrait d'abord fournir toutes les prestations pour les F-18. Au lieu d'affaires offset coûteuses, nous avons besoin de plus de F-35!», explique le pilote expérimenté de Swiss à Blick.

De son côté, Ruag affirme que grâce à une «étroite coordination» avec le DDPS, la situation s'est améliorée en ce qui concerne les F-18. Elle rejette les critiques concernant le projet offset: «Les préparatifs pour le projet se déroulent comme prévu. Ruag dispose de compétences essentielles. L'entreprise prouve régulièrement qu'elle est capable de résister à la pression concurrentielle de l'international, en particulier dans le domaine de l'entretien et de la maintenance de systèmes complexes.»

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