Une enseignante devrait-elle pouvoir porter le voile en Suisse? Cette question provoque actuellement des remous. Après plusieurs cas litigieux, la droite demande des règles plus strictes. Mais la gauche contre-attaque et accuse ses opposants de faire preuve d'une «morale à deux vitesses».
S'agit-il vraiment de bannir les signes religieux dans les écoles? Ou seulement d'éradiquer le voile? La critique de la gauche est claire: si le voile est interdit, il devrait logiquement en être de même pour les autres symboles – des colliers avec une croix à la kippa juive. Il en va de même pour les robes des moines qui enseignent dans les écoles liées à des instituts religieux.
Le voile au coeur de débats houleux
Récemment, plusieurs cantons ont été marqués par un intense débat sur le port du voile à l'école. Voici les exemples les plus significatifs:
- A Eschenbach, dans le canton de Saint-Gall, des parents se sont opposés au port du voile d'une enseignante. Afin d'éviter un litige, la direction de l'école a licencié l'enseignante, et ce avant même que la femme ne prenne ses fonctions.
- A Worb, dans le canton de Berne, une professeure de langues a perdu son emploi après deux ans et demi parce qu'elle portait le voile. Si ses méthodes d'enseignement n'avaient pas été mises en cause, les autorités scolaires avaient rappelé les règles en vigueur dans le canton: «L'école publique obligatoire est neutre sur le plan confessionnel.»
- Dans le canton de Schwytz, une étudiante s'est désinscrite de la Haute école pédagogique parce qu'elle n'avait pas le droit d'être voilée lors des stages, une information rendue publique par le «Bote der Urschweiz».
En fait, les législations varient selon les cantons: alors que certains interdisent explicitement les symboles religieux pour les enseignants, d'autres se limitent à de simples recommandations ou n'ont tout simplement pas de directives. En 1997, le Tribunal fédéral avait dû régler un litige dans le canton de Genève: la plus haute juridiction du pays avait alors statué qu'une enseignante pouvait être licenciée pour le seul fait de porter le voile. Ce jugement fait encore jurisprudence aujourd'hui. S'agissant des élèves, le voile demeure autorisé dans une majorité de cas.
Qu'en est-il des moines?
Dans le canton de Schwytz, le gouvernement s'est récemment prononcé clairement sur la situation en interdisant clairement le port du voile ou d'autres symboles religieux aux enseignants. Le canton assure vouloir faire respecter la neutralité confessionnelle. Trois élus du Parti socialiste (PS) ont réagi en déposant une intervention au Grand Conseil, afin de demander au Conseil d'Etat comment il compte appliquer la neutralité «de manière impartiale et uniforme».
La question des socialistes est simple: s'agira-t-il uniquement du voile? Ou le gouvernement souhaite-t-il également interdire «d'autres symboles religieux visibles tels que des pendentifs munis des croix clairement visibles»? Les élus de gauche vont encore plus loin: «Le Conseil d'Etat veut-il maintenant interdire aux moines qui enseignent à la Stiftschule (ndlr: l'école de la célèbre Abbaye d'Einsiedeln, qui reçoit également des subventions de l'Etat) de porter leurs vêtements religieux ou, à défaut, d'enseigner?»
Le but de cette démarche et de forcer le gouvernement cantonal à trancher: soit il applique une stricte séparation de l'Etat et de la religion, soit il adopte une solution plus ouverte qui traite de manière égale toutes les religions.
Les socialistes schwytzois plaident pour cette dernière option. Pour eux, les moines doivent pouvoir enseigner dans leurs habits religieux, les enseignants doivent avoir le droit de porter une croix autour du coup, et les musulmanes doivent être autorisées à porter leur voile. Une sanction ne concernant que le voile serait selon eux discriminatoire.
Le gouvernement bernois plus strict
Le débat est tout aussi vif dans le canton de Berne. Les députées Regula Bühlmann (Vert-e-s) et Christa Ammann (Alternative de gauche) reprochent au gouvernement cantonal d'avoir orienté le débat exclusivement sur les femmes musulmanes portant le voile. «En revanche, les symboles chrétiens comme la croix ne sont un problème que lorsqu'ils sont accrochés dans une salle de classe, mais pas au cou d'un enseignant.»
Le gouvernement bernois ne précise pas comment il considère les différents signes religieux. Mais il souligne que l'interdiction s'applique «à tous les symboles ou vêtements fondés sur des convictions religieuses.»
«Aux dépens des femmes musulmanes»
Mais c'est à Saint-Gall que la question est la plus brûlante. L'Union démocratique du centre (UDC) vient de déposer une motion pour réclamer une interdiction cantonale du port du voile pour les enseignantes. Concrètement, le parti conservateur exige une loi pour interdire les «signes religieux liés aux vêtements et aux accessoires».
Le PS saint-gallois a réagi en dénonçant une «politique unilatérale au détriment des femmes musulmanes» et en accusant l'UDC d'opportunisme. «Si le voile d'une enseignante musulmane devait être interdit, il faudrait logiquement interdire également les symboles chrétiens comme les colliers avec une croix», s'insurge la socialiste Andrea Scheck. Cette dernière fustige la morale à deux vitesse de ses adversaires: «S'il s'était agi d'un tel collier, l'UDC n'aurait jamais fait autant de bruit.»
Des socialistes prennent le parti de l'UDC
Deux élus socialistes ont toutefois cosigné l'intervention de l'UDC, signe que la question semble loin d'être réglée. Certes, les cantons sont compétents pour tout ce qui a trait aux relations entre l'Eglise et l'Etat ainsi qu' à l'école obligatoire. Mais la Confédération pourrait bientôt être sollicitée.
Le comité d'Egerkingen, connu pour ses initiatives populaires contre les minarets et la burqa, caresse l'idée d'une nouvelle initiative. Son objectif? Bannir le voile de toutes les écoles, chez les enseignantes comme chez les élèves.