En Suisse, 43% de la population adulte est en surpoids ou obèse, mais le système de santé peine encore à répondre à leurs besoins. Manque de spécialistes formés, discriminations, accès restreint aux nouveaux traitements: la prise en charge reste insuffisante. La comédienne genevoise Julia Portier en a fait l’amère expérience. Pour analyser ces difficultés, nous avons interrogé Zoltan Pataky, responsable de la consultation d’obésité adulte aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Dr Zoltan Pataky, vous avez récemment rencontré Julia Portier, qui témoigne d’un véritable parcours du combattant pour obtenir une prise en charge. Elle dit avoir été refusée par près de dix cabinets, car elle était obèse. Cela vous étonne-t-il?
Malheureusement, non. Ce genre de refus arrive fréquemment. Le nombre de personnes en situation d’obésité ne cesse d’augmenter, tout comme la demande de prise en charge. Mais l’offre ne suit pas: les spécialistes formés à l’obésité sont trop peu nombreux. Beaucoup ne peuvent tout simplement plus accepter de nouveaux patients.
Certains refusent aussi par choix?
C’est souvent le cas des endocrinologues et des diabétologues. Ce sont eux qui peuvent prescrire les traitements médicamenteux les plus récents (comme le Wegovy) avec remboursement. Mais la majorité d’entre eux ne sont pas formés à l’obésité. Ils ne se sentent pas compétents et refusent alors de prendre en charge ces patients. Ils ont déjà suffisamment à faire avec le diabète et d’autres pathologies endocriniennes.
Et les généralistes?
Eux aussi peuvent prescrire, mais, dans ce cas, les traitements ne sont pas remboursés. C’est un véritable paradoxe: ceux qui sont les plus à même d’accompagner les patients souffrant d’obésité ne peuvent pas les faire bénéficier d’un remboursement. Et ceux qui peuvent prescrire avec remboursement ne sont pas forcément les mieux formés.
Ces nouveaux médicaments comme le Wegovy sont parfois présentés comme des «injections miracles». Est-ce justifié?
Non. Ce sont de très bons outils, mais pas des baguettes magiques. Ils permettent une perte de poids significative, mais ils doivent absolument être accompagnés d’un suivi médical, nutritionnel et psychologique. Ces médicaments agissent notamment sur la satiété et ralentissent la vidange gastrique, ce qui facilite une réduction des quantités ingérées. Mais si le patient ne fait pas le travail de fond – modifier ses habitudes alimentaires sur le long terme, comprendre ses comportements émotionnels – la prise de poids revient dès l’arrêt du traitement.
Justement, quel rôle joue l’alimentation émotionnelle?
Elle est cruciale. Deux tiers des personnes souffrant d’obésité présentent des troubles du comportement alimentaire: hyperphagie, compulsions, grignotages. Beaucoup utilisent la nourriture comme un régulateur émotionnel: un chocolat pour se consoler, un paquet de biscuits pour calmer l’angoisse. Ce sont des mécanismes profonds qu’il faut accompagner. L’obésité n’est pas une affaire de volonté: c’est une maladie chronique, multifactorielle, avec des causes hormonales, neurologiques, génétiques, émotionnelles.
Faut-il craindre des effets secondaires graves à long terme des traitements comme le Wegovy?
Les études actuelles ne montrent pas d’effets secondaires graves à long terme. La molécule est connue depuis plus de dix ans dans le traitement du diabète. Elle présente même de nombreux bénéfices au-delà de la perte de poids: réduction du risque cardiovasculaire, de la pression artérielle, du cholestérol, de l’apnée du sommeil. Mais encore une fois, ces médicaments doivent être prescrits dans un cadre professionnel bien défini.
Ce traitement est remboursé en Suisse depuis mars 2024. Jusqu’à quand?
L’OFSP a accordé un remboursement jusqu’en mars 2027. Personne ne sait ce qui se passera ensuite. Mais s’il devait ne plus être pris en charge, cela creuserait une énorme inégalité. Ceux qui peuvent se le permettre paieront, les autres resteront sur le carreau. Ce serait un recul terrible.
Comment améliorer la situation?
Il faut former. Former les généralistes, les spécialistes, les soignants. Même en quelques jours. Aujourd’hui, trop de médecins voient encore ces médicaments comme une solution miracle. Ou refusent de prescrire, car ils ne savent pas comment les utiliser. Mal utilisé, le médicament engendre des effets secondaires, des inefficacités… et au final des coûts inutiles.
Pourquoi cette formation n’est-elle pas encore en place?
Par manque de volonté politique. Former les médecins, ouvrir des consultations, développer la prévention, cela coûte. Et personne ne veut libérer les budgets. Pourtant, l’enjeu est immense. L’obésité est une pandémie mondiale. Et si on ne forme pas mieux les professionnels, on n’enraiera jamais la progression.