«J'aurais aimé rester plus longtemps»
La Suisse manque de soignants, mais contraint les renforts étrangers à repartir

Des soignantes étrangères comme Estephanie Pasucal et Hazel Emiliano doivent faire leurs valises après 18 mois, malgré la pénurie de personnel. Un paradoxe, alors qu’elles aimeraient rester plus longtemps en Suisse et que les établissements ont besoin de main-d’œuvre.
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C'est la deuxième fois que le directeur de l'établissement, Daniel Gysin, emploie des professionnels étrangers via l'accord sur les stagiaires.
Photo: Thomas Meier
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Jeremy Goy et Thomas Meier

«C'est dommage que je ne puisse pas rester plus longtemps en Suisse», confie Estephanie Pasucal, une infirmière philippine. Depuis septembre 2025, elle travaille dans une maison de retraite à Beringen, dans le canton de Schaffouse. Son séjour est rendu possible grâce à l'accord sur les stagiaires, qui permet à des professionnels étrangers de travailler en Suisse pendant une durée maximale de dix-huit mois. Les prolongations sont rares et difficiles à mettre en œuvre dans la pratique, malgré la grave pénurie de personnel soignant.

«Nous manquons clairement de personnel soignant en Suisse, c'est un fait», souligne Daniel Gysin, directeur de l'établissement. Il se réjouit donc de toutes les possibilités permettant de recruter des collaborateurs engagés et motivés, y compris via le programme de stagiaires. Si des institutions comme la sienne y voient une aide précieuse, le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) précise toutefois que cet accord n'a pas été conçu spécifiquement pour lutter contre la pénurie de personnel soignant. Il vise avant tout «la formation professionnelle et continue de jeunes personnes ainsi que l'acquisition de connaissances sur le marché du travail suisse».

La Suisse comme étape intermédiaire

A l'issue de ses dix-huit mois en Suisse, Estephanie Pasucal envisage de poursuivre sa carrière en Allemagne ou en Autriche. Une réflexion loin d'être isolée, tant les conditions-cadres y sont différentes. Dans ces pays, les infirmiers étrangers peuvent s'installer durablement, parfois même avec la perspective d'obtenir la nationalité. Une option attrayante.

A Beringen, Hazel Emiliano travaille, elle aussi, pour une durée déterminée. Après avoir dû interrompre un séjour de huit mois en Allemagne en raison de «problèmes familiaux», elle a trouvé une nouvelle opportunité en Suisse. Elle ne s'imagine pas non plus rentrer aux Philippines pour l'instant. «Cela me rend triste que le séjour ne puisse pas être prolongé», confie-t-elle. Malgré tout, elle se dit reconnaissante pour tout ce qu'elle a appris durant cette période. «J'espère aussi pouvoir apporter quelque chose en retour à mon employeur.»

Un travail d'intégration exigeant

C'est déjà la deuxième fois que Daniel Gysin engage des infirmières étrangères via cet accord. La première fois, il aurait volontiers conservé l'une d'entre elles plus longtemps. Il regrette qu'elles doivent repartir après dix-huit mois, d'autant plus que l'investissement en temps et en énergie pour leur intégration est important.

La langue constitue le principal défi. Chaque nouvelle recrue se voit attribuer un «parrain» ou une «marraine», chargé de l'accompagner et de la soutenir au quotidien: installation dans le logement, démarches administratives, mise en place du téléphone ou encore adaptation au travail.

«La seule chance de construire quelque chose»

Pour les professionnels étrangers, le séjour en Suisse représente non seulement une expérience précieuse, mais aussi une amélioration salariale déterminante. Dans son pays d'origine, Estephanie Pasucal gagnait environ 300 francs par mois, un montant qui, selon elle, suffisait à peine à soutenir sa famille. «Malheureusement, trop peu de choses sont faites aux Philippines pour rendre la profession plus attractive», explique-t-elle. Beaucoup choisissent donc l'étranger. «C'est triste, car le pays perd de très bons soignants.»

Hazel Emiliano partage ce constat. Le métier d'infirmier est très respecté aux Philippines, mais le salaire ne permet souvent pas de vivre décemment. «Ce n'est pas facile de quitter son pays, mais pour beaucoup, c'est la seule chance de construire quelque chose, pour soi et pour sa famille.»

Des jours parfois difficiles

«Ma famille me manque beaucoup», confie Estephanie Pasucal. Aux Philippines, elle vivait avec sa mère et ses deux soeurs. Son père est décédé en 2019 d'une crise cardiaque. Lors de ses jours de congé, elle appelle sa famille. «Parfois, la sensation d'être à la maison me manque: les repas partagés, les rires, le simple fait d'être ensemble.»

Pour Hazel Emiliano aussi, certains jours sont plus lourds. «Vivre loin de sa culture et de ses proches n'est jamais facile.» En Suisse, elle doit apprendre de nouvelles routines, tant dans la vie quotidienne que dans la communication avec les résidents. Les processus de soins diffèrent fortement de ceux des Philippines. Une difficulté, mais aussi une chance d'évoluer professionnellement.

Une pénurie appelée à s'aggraver

Pour l'avenir, Estephanie Pasucal souhaite une meilleure reconnaissance de la profession infirmière, partout dans le monde. «J'espère que ce métier retrouvera une plus grande considération, avec de meilleures conditions.»

Les inquiétudes sont fondées. La pénurie de personnel soignant en Suisse devrait encore s'aggraver. Selon l'Observatoire suisse de la santé (Obsan), les besoins augmenteront d'ici 2029 de 14% dans les hôpitaux, de 19% dans les services d'aide et de soins à domicile et de 26% dans les établissements médico-sociaux. D'ici 2030, il pourrait manquer environ 30'500 soignants en Suisse.

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