Abandon du dossier électronique du patient
Une déclaration d'Elisabeth Baume-Schneider déclenche la colère des cantons romands

Le Conseil fédéral prévoit de remplacer le dossier électronique du patient (DEP) par une solution nationale. Les cantons saluent certes la prise en charge par la Confédération, mais se sentent bousculés par des déclarations maladroites.
Publié: 14:33 heures
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Le dossier électronique du patient (DEP) bat de l'aile.
Photo: Keystone
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Joschka Schaffner

Le dossier électronique du patient (DEP) vit ses derniers jours. C’est du moins ce qu'estime Conseil fédéral, lequel a exprimé sa volonté d'enterrer ce projet phare pour le faire renaître sous une nouvelle forme d'ici cinq ans, celle d'un dossier électronique de santé (DES), géré directement par la Confédération et non plus par les cantons.

Si ces derniers voient ce changement d'un bon oeil, ils n’en demeurent pas moins déstabilisés par l’annonce venue de Berne. En cause: des propos jugés maladroits de la ministre de la Santé, Elisabeth Baume-Schneider.

De grands espoirs... pour de nombreux problèmes

La Confédération a longtemps fondé de grands espoirs dans le DEP. C'est même elle qui avait initié le projet. La première pierre avait été posée par l’ancien ministre de la Santé Pascal Couchepin. Ses successeurs, Didier Burkhalter et Alain Berset , avaient quant à eux fait du DEP un symbole de modernisation et d’efficacité pour le système de santé.

Mais la révolution numérique promise n'a pas eu lieu. Pire, elle s’est transformée en véritable chemin de croix, le développement du dossier s'étant avéré plus complexe que prévu. Ce n’est qu’avec un retard considérable que les premiers patients ont enfin pu s’enregistrer en 2021. Depuis, seules quelques milliers de personnes ont franchi le pas: un bilan pour le moins décevant.

C'est précisément cet échec qui a poussé Elisabeth Baume-Schneider a annoncer début novembre l'abandon du DEP au profit d'une solution fédérale. Dans ce cadre, la ministre a notamment déclaré qu'il valait mieux éviter d'ouvrir de nouveaux dossiers jusqu'à l'arrivée de la future plateforme et a qualifié au passage le DEP de produit «fastidieux».

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ses déclarations n'ont pas été du goût de tout le monde. En Suisse romande, par exemple, on n'apprécie guère la volonté de Berne de maintenir le système actuel à son strict minimum.

Fribourg fulmine

«Nous avons été consternés par la manière dont cette information a été communiquée», confie à Blick le conseiller d’Etat fribourgeois de l'Union démocratique du Centre (UDC) Philippe Demierre. En plus d'être à la tête de la Direction cantonale de la santé et des affaires sociales, il est le président l'association Cara – initiée par les cantons de Genève, Fribourg, Jura Valais et Vaud – qui a pour mission de prendre en charge le DEP.

Tandis que la Conférence nationale des directeurs cantonaux de la santé reste prudente, les cantons membres de Cara, eux, n'hésitent pas à laisser éclater leur colère. Dans une prise de position, ils estiment que l’annonce de la Confédération «jette le discrédit» sur le système actuel.

«
Nous attendons que la Confédération corrige ses propos
Philippe Demierre, conseiller d’Etat UDC
»

Les cinq Cantons romands sont catégoriques: il est hors de question de stopper les inscriptions au DEP. Selon eux, les patientes et patients doivent pouvoir continuer à s’enregistrer par l'entremise de Cara, «contrairement à ce qu’affirme la Confédération». Dès l’an prochain, l'inscription au DEP devrait même être possible dans toute la Suisse, ajoutent-ils.

Un gouffre financier en Suisse romande?

De son côté, Philippe Demierre entend faire preuve de fermeté: «Nous attendons que la Confédération corrige ses propos. Il est impensable de tout geler jusqu'à l'arrivée du DES en 2030.» Un agacement qui s’explique aisément: les Cantons romands ont massivement investi dans le DEP – pour des résultats mitigés. A eux seuls, les cinq cantons romands initiateurs de Cara ont engagé 35 millions de francs en sept ans, indique Philippe Demierre.

Celui-ci réfute toutefois tout gouffre financier. «Les investissements réalisés ne sont pas perdus», souligne le conseiller d'Etat fribourgeois. Dire qu'il n’y a pas de résultats significatifs est faux.» Selon lui, le DEP a déjà permis d’éviter de nombreuses interventions inutiles et de raccourcir certains séjours hospitaliers. «L’impact sur les coûts de la santé est indéniable», martèle-t-il.

La Confédération se veut rassurante

Du côté de la Confédération, on évoque un malentendu. «L’ouverture volontaire d’un DEP reste possible à tout moment», indique l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Tant que la nouvelle loi sur le dossier électronique de santé ne sera pas entrée en vigueur, les règles actuelles continuent de s’appliquer. Mais alors pourquoi Elisabeth Baume-Schneider s'en est-elle pris ouvertement aux cantons procédant à de nouvelles inscriptions au DEP? Contactée, l’OFSP ne fait aucun commentaire.

Une hypothèse circule toutefois: la Confédération devra encore financer le DEP durant les cinq prochaines années. Pour chaque dossier ouvert, elle devra ainsi participer à hauteur de 30 francs. Autrement dit, plus il y aura de dossiers ouverts, plus la facture pour Berne sera salée. L’OFSP rejette toute communication maladroite de la part de la ministre de la Santé et assure par ailleurs être en contact étroit avec les cantons à ce sujet. 

Ces derniers avaient d'ailleurs appelé la centralisation du système de leurs voeux. «Nous sommes satisfaits que le Conseil fédéral réponde aujourd’hui à nos demandes et assume sa responsabilité», reconnait Philippe Demierre. Reste que le futur DES risque lui aussi de se retrouver confronté à de nombreux obstacles.

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