La BNS sous pression
Comment le franc suisse reste fort malgré un taux d'intérêt nul

Le franc suisse continue de s'apprécier, et même les reprises de prix attendues ne se matérialisent pas. Voici ce qui se cache derrière ce phénomène et pourquoi la Banque nationale suisse est appelée à réagir.
Publié: 11.07.2025 à 20:01 heures
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Dernière mise à jour: 08:11 heures
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Le président de la BNS, Martin Schlegel, est appelé à réagir face à l'appréciation du franc suisse.
Photo: keystone-sda.ch
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Thomas Marti
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Le franc suisse est une monnaie refuge très demandée lors de turbulences géopolitiques et économiques. Les investisseurs redoutent le risque et veulent éviter les fluctuations excessives des prix sur les marchés financiers. Il n'est donc pas étonnant que notre monnaie se soit appréciée de 10% par rapport au dollar depuis l'annonce des droits de douane américains et dans le sillage de la guerre au Proche-Orient.

Au cours des trois dernières semaines, la situation s'est progressivement apaisée. Les frappes militaires contre l'Iran semblent terminées et les droits de douane américains sont plus clairs. En conséquence, les marchés boursiers américains atteignent de nouveaux sommets et divers indicateurs de confiance indiquent une forte appétence pour le risque chez les investisseurs. Le franc suisse aurait dû s'affaiblir face au dollar, mais non, car chaque mini-reprise du billet vert a échoué.

Le franc, seul investissement liquide en dehors de l’or?

Les analystes de Bank of America (BofA) s'interrogent donc sur les raisons de la forte demande pour le franc. Un premier indicateur est le montant des primes de couverture des risques liés au dollar, comme l'écrit Kamal Sharma, stratégiste devises chez BofA. La prime de volatilité dollar-franc suisse est actuellement à son plus haut niveau depuis 2017. Cette situation est très inhabituelle, car avec la baisse des risques sur les marchés financiers, cette prime devrait baisser. 

Deuxièmement, Kamal Sharma avance la thèse quelque peu provocatrice selon laquelle, hors de la zone dollar, le franc suisse et l'or sont les deux seuls placements liquides que les investisseurs peuvent utiliser pour se protéger contre l'incertitude. Le yen japonais, autrefois à l'abri des crises, a perdu ce statut depuis un certain temps déjà, et les obligations du Trésor américain ont perdu leur attrait en tant que valeur refuge.

Patrick Saner, responsable de la stratégie macroéconomique chez Swiss Re, estime que cette théorie sur l'or et le franc suisse donne tout à fait matière à réflexion. «Le franc suisse continue de s'apprécier, bien que la Banque nationale suisse soit revenue à des taux d'intérêt nuls et que la volatilité des marchés mondiaux ait diminué. Cela contredit les attentes habituelles dans un tel contexte et suggère que les causes sont plus profondes.»

Possible intervention sur le marché des changes

Si cet argument de la BofA est la véritable raison de la force persistante du franc, cette force devrait être durable, d'autant plus que le franc est structurellement une monnaie forte, affirme Patrick Saner. «La BNS a déjà fixé un taux d'intérêt zéro, ce qui rend difficile toute nouvelle baisse des taux et toute dévaluation du franc. Fondamentalement, la politique monétaire conjoncturelle de la BNS n'est de toute façon pas le bon instrument pour absorber entièrement une appréciation structurelle et durable du franc.»

Pour Kamal Sharma, il est clair que les efforts de la BNS pour freiner la force de la monnaie suisse ont échoué et continueront d'échouer. Les interventions verbales sur le marché des changes n'ont pas été soutenues par des mesures concrètes, et le franc ne s'est pas affaibli depuis le passage à la politique de taux zéro.

Dans le contexte actuel, la BNS pourrait envisager des interventions plus ciblées sur le marché des changes pour contrer une appréciation excessive du franc suisse et ainsi soutenir les pressions inflationnistes. Cependant, de telles mesures risquent d'être interprétées comme une manipulation monétaire, notamment par les Etats-Unis.

«La BNS rétorquerait que ses interventions sont purement motivées par la politique monétaire, c'est-à-dire pour assurer la stabilité des prix, et ne visent pas à créer artificiellement des avantages concurrentiels pour l'économie exportatrice», explique Patrick Saner. Il est crucial de noter que les règles internationales considèrent les interventions monétaires comme problématiques lorsqu'elles visent exclusivement à obtenir des avantages commerciaux, ce qui n'est manifestement pas le cas ici. 

Que fait la BNS avec les taux d'intérêt?

Patrick Saner et Kamal Sharma anticipent tous deux de nouvelles baisses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale américaine. Alors que des baisses de taux pouvant atteindre 100 points de base sont intégrées dans les cours pour les douze prochains mois aux Etats-Unis, des taux négatifs en Suisse semblent peu probables. 

La BNS devrait maintenir son taux directeur à zéro pour le moment, réduisant ainsi l'écart de taux entre la Suisse et les Etats-Unis. La valeur locale resterait donc attractive, à moins que l'économie américaine ne reste robuste et que le marché ne réduise ses attentes de baisse des taux d'intérêt aux Etats-Unis. Cela pourrait aider le dollar à se redresser et soutenir la BNS, qui doit aussi espérer que d'éventuels chocs géopolitiques ou économiques mondiaux ne se produisent pas.

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