Plongées dans l'incertitude
Des entreprises suisses emblématiques s'adaptent pour résister face à la chute du dollar

La baisse du dollar se répercute sur l'économie suisse. Aperçu des entreprises impactées et des stratégies mises en place pour y faire face.
Publié: 08.07.2025 à 22:34 heures
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Dernière mise à jour: il y a 20 minutes
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Nestlé est consciente que ses activités seront impactées à cause du climat économique mondial.
Photo: AFP
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Aisha Gutknecht
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80 centimes: c'est la valeur du dollar face au franc. La monnaie américaine est à son plus bas niveau depuis 2011 et a connu une chute similaire par rapport à d'autres monnaies comme l'euro ou le yen.

La baisse de 12% depuis janvier s'explique par différents facteurs. Elle est en grande partie liée à la confiance dans la monnaie. La politique douanière de Donald Trump, qui provoque une grande incertitude dans le monde, a renforcé la méfiance envers le dollar. Mais le fort endettement de l'Etat, les divisions politiques, la pression sur la Banque centrale et une conjoncture affaiblie jouent également un rôle dans la perte de confiance envers la monnaie. 

Santosh Brivio, économiste à la Banque Migros, voit de sombres nuages s'amonceler, notamment en Suisse: «Les Etats-Unis sont notre plus important partenaire d'exportation», explique le spécialiste. Avec la taxe d'importation américaine, la faiblesse du dollar renchérit les exportations suisses vers les Etats-Unis de 22%. De plus, les Etats-Unis sont également un partenaire clé pour les importations, représentant «environ 8% de leur valeur totale». 

Les entreprises suisses qui exportent beaucoup vers la zone dollar tremblent. C'est ce que constate aussi Christian Gattiker, responsable de la stratégie d’investissement chez Julius Bär: «Les effets de la baisse de la monnaie américaine affectent particulièrement les entreprises suisses orientées vers l'exportation et qui ont une forte présence aux Etats-Unis.» 

Cela concerne surtout les entreprises dont les revenus dépendent fortement du dollar, mais dont les coûts sont principalement libellés en francs ou en euros. Autrement dit, elles produisent en Suisse et facturent leurs charges en francs, mais vendent par la suite leurs marchandises dans la zone dollar. Cette configuration entraîne une pression sur les marges.

Cet effet devrait se faire ressentir sur les prochains chiffres semestriels des entreprises cotées en bourse. Selon Christian Gattiker, les entreprises des secteurs de la santé et des biens de consommation, les fabricants de produits de luxe et les entreprises industrielles sont particulièrement concernées.

Roche, Novartis et Nestlé s'adaptent

Roche et Novartis ont déjà baissé leurs objectifs de cours pour leurs actions cette semaine, car le faible cours du dollar par rapport au franc devrait peser sur le résultat de l'entreprise. Chez Novartis, environ 40% du chiffre d'affaires est réalisé aux Etats-Unis; chez Roche, ce chiffre atteint même 48%. «Si nous maintenons toutes les autres valeurs estimées sans les changer, l'effet de change fortement négatif, qui s'est matérialisé au cours des derniers mois, aura un impact significatif sur l'objectif de cours», a expliqué Stefan Schneider, analyste chez Vontobel, pour justifier les deux révisions des objectifs. 

En préparation des résultats semestriels, Roche a revu à la hausse l'impact négatifs des effets de change sur le chiffre d'affaires du groupe. L'entreprise s'attend à ce que ceux-ci passent de moins de 1% auparavant à près de moins de 4% pour le premier semestre 2025. Selon l'analyste Stefan Schneider, la faiblesse actuelle du dollar pourrait entraîner une baisse du résultat d'exploitation de base de moins de 5% sur les six premiers mois – voire jusqu'à 8% pour l'ensemble de 2025.

Nestlé réalise également environ un tiers de son chiffre d'affaires en dollars. Si la multinationale maintient son objectif de croissance organique du chiffre d'affaires, elle se rend toutefois à l'évidence: les effets de change auront un impact négatif important sur le développement des affaires en 2025. La banque britannique Barclays a réduit ses prévisions de croissance des bénéfices pour Nestlé. La directrice financière Anna Manz a déclaré, en se référant aux résultats du premier trimestre, que la combinaison d'un dollar américain faible et d'un franc suisse fort pesait sur la rentabilité.

«Malgré la diversification mondiale, les écarts de change ont des conséquences sur les résultats, même si l’entreprise tente de les atténuer en partie grâce à des stratégies de couverture», estime Christian Gattiker, en se référant à Nestlé. Selon les experts du secteur, il est essentiel pour assurer la croissance du groupe d'ajuster les prix de façon à ce que les produits restent abordables.

Swatch aussi touché

Des entreprises financières comme UBS sont également touchées. La grande banque s'attend à des vents contraires dans son activité principale, la gestion de fortune, en raison des fluctuations des devises. Lors de la conférence des investisseurs de Goldman Sachs en juin dernier, le directeur financier Todd Tuckner a expliqué que la faiblesse du dollar avait pesé sur la division Global Wealth Management (division d’un groupe financier qui s’occupe de la gestion de patrimoine pour des clients fortunés à l’échelle mondiale) dont les coûts, contrairement aux revenus, sont majoritairement libellés en francs suisses. 

«Par conséquent, pour ce secteur-là, nous prévoyons que l'affaiblissement du dollar entraîne un impact négatif d'environ 150 millions de dollars sur les coûts d'exploitation sous-jacents.» Dans la banque d'investissement, il s'attend également à une correction d'évaluation de 75 millions de dollars sur une seule position.

Swatch dépend aussi fortement du dollar. Le groupe horloger fabrique la plupart de ses produits en Suisse, signifiant que la quasi-totalité des coûts sont libellés en francs suisses. Au cours des deux derniers exercices, les effets de change négatifs ont coûté au groupe près de 750 millions de francs. Le géant de l'horlogerie est habitué à subir les effets défavorables de la monnaie locale, comme l'a déclaré le PDG Nick Hayek en décembre passé. Le marché américain reste toutefois central pour Swatch, selon l'expert de Julius Baer Christian Gattiker. L'action de Swatch se trouve à son plus bas niveau depuis 2003.

De son côté, Richemont s'en sort plutôt bien. Son action a augmenté de 13% cette année, bien que le groupe soit également touché par la faiblesse du dollar. Les fabricants de produits de luxe génèrent deux tiers de leur chiffre d'affaires en dollars et en monnaies liées au dollar. La banque Vontobel a déjà réduit en avril ses estimations de bénéfices pour Swatch et Richemont à cause de l'affaiblissement du dollar.

Le secteur industriel impacté

Dans le secteur industriel, des groupes comme ABB, Belimo, Accelleron ou SFS souffrent de la situation. Pour les entreprises métallurgiques, Octavian a abaissé cette semaine son objectif de cours compte tenu du vent contraire sur les devises, qui devrait se poursuivre au second semestre. ABB devrait en revanche profiter du fait que le groupe établit ses comptes en dollars et génère moins de 5% de son chiffre d'affaires total en francs.

Christian Gattiker évoque aussi la situation de Georg Fischer et Stadler Rail. Ces entreprises devraient, elles aussi, ressentir l'impact des fluctuations monétaires, en fonction de la structure de leur chaîne d'approvisionnement. Pour Stadler Rail, les variations de change auraient à elles seules pesé à hauteur de 140 millions de francs sur le résultat de l’année 2022. Le constructeur de trains cherche à atténuer cet effet grâce à des stratégies ciblées, telles que l'extension des sites aux Etats-Unis, le Natural Hedging et des couvertures financières.

En revanche, Holcim a considérablement réduit sa dépendance au dollar grâce au spin-off (scission) de ses activités américaines, Amrize. Alors qu'auparavant près d'un tiers du chiffre d'affaires était réalisé aux Etats-Unis, cette part ne représente plus qu'un petit pourcentage aujourd'hui. Le groupe cimentier se protège de laa situation. 

Peu de gagnants

Savoir si le dollar va continuer à baisser est une question débattue. Les experts de Julius Bär expliquent que son évolution dépend fortement de l'écart entre les taux d'intérêt de la Fed et de la Banque nationale suisse (BNS), ainsi que du climat de risque. Selon leurs prévisions, la faiblesse du dollar devrait s'atténuer quelque peu à 0,82 dans un avenir proche, pour autant que l'aversion au risque se normalise. A moyen terme, le taux de change entre le dollar et le franc devrait s'affaiblir à 0,76, avec une volatilité accrue qui dépend de l'environnement géopolitique et de la politique de la BNS. Un rebond inattendu des marchés pourrait néanmoins entraîner une hausse des cours de plus de 20%, comme cela s’est déjà produit à plusieurs reprises par le passé.

Christian Gattiker souligne que la couverture contre les risques de change devient de plus en plus cruciale, à mesure que la volatilité des taux d'intérêt, les tensions géopolitiques et les flux de capitaux mondiaux augmentent. Or, toutes les entreprises ne disposent pas des mêmes ressources pour y faire face. «Alors que les grandes entreprises possèdent généralement des départements de trésorerie bien structurés, c'est moins systématique dans les petites et moyennes entreprises», précise l'expert. 

Pour les entreprises suisses, habituées depuis des décennies à évoluer dans un environnement de monnaie forte, la gestion professionnelle du risque de change revêt une importance majeure. Deux approches principales sont possibles: d’une part, les couvertures naturelles, qui consistent à aligner production, coûts et revenus dans la même devise; d’autre part, les instruments dérivés de couverture, comme les contrats passés avec des banques ou d'autres entreprises prêtes à prendre en charge ce risque, afin de se prémunir contre d’éventuelles pertes.

L’exemple de Lindt & Sprüngli illustre bien qu’une entreprise perçue comme fortement exposée au risque de change peut malgré tout réussir en Bourse. Les analystes ont régulièrement mis en garde contre un affaiblissement du dollar, comme Vontobel et Barclays en avril dernier. Pourtant, le marché ne semble pas trop s'en inquiéter, au vu du niveau record atteint par le titre.

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