La tension ne retombe pas au Palais fédéral. Depuis trois mois, des joutes verbales particulièrement hargneuse ont marqué les débats parlementaires autour de l’initiative de l’Union démocratique centre (UDC) visant à limiter la population à dix millions d’habitants. De puis, ce projet, présenté par le parti conservateur comme un texte écologique, est régulièrement qualifié par ses opposants d’«initiative du chaos».
Le Parti libéral-radical (PLR), le Parti socialiste (PS), les Vert’libéraux et les Vert-e-s sont tous vent debout contre le texte, tout comme l’Union syndicale suisse (USS) et Economiesuisse, qui – et c'est suffisamment rare pour être souligné – ont décidé d'unir leurs forces contre l'initiative. On ignore qui a lancé le terme «chaos» en premier. Ce qui est sûr, c'est ce qu'il s’est clairement imposé depuis.
Quand le «chaos» transcende les clivages
Le décor a été planté dès le mois de septembre, lors de la session d’automne par la coprésidente du PS, Mattea Meyer, qui a averti que que d’ici à 2040, plus de 400'000 personnes en âge de travailler manqueraient dans les EMS, les hôpitaux, les bureaux, sur les chantiers, dans les crèches, la recherche et bien d’autres secteurs. «Si l’initiative de l’UDC était acceptée, plus rien ne fonctionnerait», a affirmé la conseillère nationale zurichoise. «Au lieu de poursuivre, en ces temps incertains, dans une voie que nous connaissons avec l’Union européenne, cette initiative nous mène droit au chaos.»
Une bonne douzaine d’élus ont alors repris la même idée. «Cette initiative mènerait notre économie et notre société au chaos et à l’isolement», a martelé le président des Vert’libéraux, Jürg Grossen. «L’objectif de cette initiative du chaos, c’est de dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes», a pour sa part dénoncé le conseiller national PLR Peter Schilliger. Ce texte est extrêmement problématique et préjudiciable à la Suisse – non seulement à l’économie, mais à l’ensemble de la société.»
Le texte prétend vouloir «reprendre le contrôle» sur l'immigration, a poursuivi le Vert Nicolas Walder. «En réalité, il crée du chaos – un chaos économique, institutionnel et social», s'est ensuite indigné celui qui a depuis quitté le Conseil national, fort de son élection au Conseil d'Etat genevois.
Le terme phare de la campagne des opposants?
Trois mois plus tard, le «chaos» n'a pas disparu du débat, loin s'en faut. Il devrait même rester prépondérant tout au long de la campagne, jusqu'à la votation finale, dont la date n'a pas encore été fixée. Et pour cause. Il représente «une description», estime la coprésidente du PLR, Susanne Vincenz-Stauffacher. La notion de «chaos» s'est imposée au fil des débats, à mesure que «les conséquences drastiques de cette initiative nuisible» apparaissaient de plus en plus clairement, confie-t-elle à Blick.
Le parti bourgeois s'inquiète aussi des conséquences d'une victoire du «oui» sur l'asile. «Si la Suisse n’était plus liée au système d’asile européen, elle deviendrait le dernier recours pour tous les requérants déboutés en Europe», avertit Susanne Vincenz-Stauffacher.
Elle l'assure: des centaines de milliers de personnes supplémentaires pourraient alors affluer, puisque toute personne rejetée dans un Etat de l’Union européenne (UE) serait en droit de déposer une seconde demande en Suisse. Pour elle, le constat est évident: «Au lieu des travailleurs qualifiés originaires des pays voisins, ce sont des requérants d’asile du monde entier qui arriveraient chez nous.»
L'UDC contre-attaque
De leur côté, les représentants de l’UDC n'apprécient guère d'être dépeints comme les responsables du chaos. Dès la session d'automne, ils ont tenté de reprendre le terme à leur compte. «Regardez l’état des gares, des routes: partout, la densité devient insupportable», a notamment lancé le conseiller national UDC Walter Gartmann, Le chaos, il est là.»
Pour le conseiller national UDC Thomas Matter, les opposants à l'initiative tentent de la discréditer en lui associant ce terme, et évitent ainsi de s'intéresser au fond du débat. «Le chaos existe bel et bien aujourd’hui: chaos de l’asile, chaos des loyers, chaos dans les écoles, chaos de la criminalité», affirme l'élu. «L’initiative remet de l’ordre dans le chaos provoqué ces dix dernières années par la majorité de centre-gauche au Parlement.» Selon lui, le texte pourrait même s'appeler l'«initiative stop-chaos».
Un acteur important de la politique suisse refuse toutefois d’entrer dans cette bataille sémantique, en la personne du président du Centre, Philipp Matthias Bregy. «Nous appelons l’initiative de l’UDC comme ce qu’elle est: une initiative du retrait. Point», explique-t-il à Blick. Sitôt le cap des 10'000'000 habitants franchis, il faudrait résilier la libre circulation des personnes, ce qui entraînerait selon lui la fin des accords bilatéraux II et une érosion des relations commerciales avec l’UE.
Il regrette néanmoins qu'aucun contre-projet direct n'ait été accepté par le Parlement: «La politique aurait ainsi démontré qu’elle prend réellement en compte les inquiétudes de la population concernant l’immigration.»