Une relation conflictuelle
Stadler Rail a perdu d'autres grands contrats en Suisse

Au grand dam de Peter Spuhler, Stadler Rail n'a pas été retenu lors de la dernière commande de trains effectuée par les CFF. Mais ce n'est pas la première fois que l'entreprise thurgovienne se retrouve sur le carreau en Suisse.
Publié: 05:35 heures
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Les CFF ont préféré Siemens à Stadler Rail pour ses nouveaux trains.
Photo: keystone-sda.ch
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Michael Hotz

Peter Spuhler est un homme à succès. Les rapports de force tournent souvent à son avantage. Cet homme d'affaires dynamique a fait passer le constructeur de trains thurgovien Stadler Rail d'une entreprise de 18 personnes à un groupe international comptant 16'600 employés.

Mais cette fois, le patron de Stadler Rail a essuyé une défaite cuisante. Les CFF ont attribué vendredi le plus gros contrat de leur histoire au groupe Siemens, en Allemagne, au grand désarroi de Peter Spuhler. Peu après l'annonce des CFF, l'entreprise a parlé d'une «grosse déception pour Stadler et nos quelque 6000 collaborateurs en Suisse».

Deux jours plus tard, l'homme d'affaires a réitéré sa déception dans une interview accordée à la «SonntagsZeitung». «Le choc est vraiment grand pour les 6000 collaborateurs de Stadler, ainsi que pour nos plus de 200 fournisseurs dans toute la Suisse.» Il annonce vouloir examiner la possibilité d'un recours. Les CFF défendent quant à eux leur décision, en affirmant avoir choisi l'offre la plus avantageuse. «La loi sur les marchés publics ne prévoit ni n'autorise la notion de «Swissness», affirment-ils. 

Mais en vérité, ce n'est pas le premier affront que Peter Spuhler subit au cours de sa longue carrière chez Stadler Rail. Tour d'horizon.

2010: Les CFF s'étaient déjà tournés vers l'étranger

Il y a 15 ans, Stadler Rail a essuyé sa plus cuisante défaite dans le pays dans lequel il s'est développé. En mai 2010, la commande de trains la plus coûteuse des CFF – à l'époque – a été attribuée au groupe canadien Bombardier, dont la division ferroviaire appartient désormais à l'entreprise française Alstom. 1,9 milliard de francs ont été versés pour les trains à deux étages, qui sont souvent sujets à pannes. D'ailleurs, dans le jargon populaire, il est surnommé «Schüttelzüge», «le train qui secoue» de ce côté-ci de la Sarine.

Bombardier avait obtenu le contrat parce que le «FV-Dosto» était censé consommer moins d'électricité et offrir plus de places assises. «Bombardier a délibérément sous-estimé les coûts énergétiques et s'est ainsi adjugé le marché. C'est une supercherie», avait-il déclaré à l'époque à Blick.

Il n'y avait toutefois pas eu de bataille juridique à l'époque. Peter Spuhler et Stadler Rail ont renoncé à faire appel. Dans des interviews ultérieures, il évoquait souvent «sa plus grande défaite», qui était «en partie de sa propre faute». Le directeur en a tiré une leçon, adoptant les structures de son entreprise. Il a libéré l'unité de développement des produits des activités opérationnelles et l'a rapprochée de lui en plaçant l'équipe sous sa responsabilité directe.

2011: Bombardier dame encore le pion à Stadler Rail

Stadler Rail ne fabrique pas seulement des trains, mais aussi des tramways. Le fameux tram Tina, sur lequel mise l'opérateur de transport Baselland Transport, est par exemple produit à Bussnang (TG). Tout comme son prédécesseur, le Stadler Tango. Celui-ci devait initialement être utilisé à Bâle. La société de transport bâloise (BVB) avait même conclu un contrat-cadre avec l'entreprise thurgovienne. Mais en 2011, coup de théâtre: les BVB renoncent à choisir Stadler Rail pour le plus gros achat de tramways de leur histoire. Ils optent finalement pour Bombardier. C'est le prix qui a fait pencher la balance en faveur du constructeur canadien: 220 millions de francs pour 60 tramways Flexity, une différence de 36 millions avec l'offre de Peter Spuhler.

Dans une interview réalisée une semaine après cette déconvenue, l'homme d'affaires n'avait pas voulu – contrairement au récent choix des CFF – ouvrir le débat sur le fait qu'une entreprise étrangère avait été privilégiée. «La Suisse a signé les directives de l'OMC, et il n'est donc pas possible d'évaluer la part de valeur ajoutée locale comme critère. Il y a une exception, ce sont les Etats-Unis», avait-il alors déclaré à la «Tageswoche». Il s'était tout de même déclaré très déçu: «Perdre dans son propre pays, ça fait très mal.»

2015: Stadler Rail perd dans le conflit du tram zurichois

Jamais deux sans trois. Il y a environ dix ans, Stadler Rail a perdu un autre contrat au profit de Bombardier, ce qui a finalement débouché sur la «guerre des tramways zurichois». Mi-mai 2016, les transports publics de la ville de Zurich ont annoncé que les Canadiens allaient fournir la prochaine génération de tramways avec le Flexity. Au total, 70 tramways pour 350 millions de francs.

Dans son émission «Rundschau», la SRF a cité un rapport d'enquête qui critiquait l'acquisition des tramways comme étant «incompréhensible». En arrière-plan, un conflit avait éclaté entre les transports publics de la ville et la communauté tarifaire cantonale zurichoise, qui refusait de débloquer les fonds nécessaires à la commande. Peter Spuhler fulminait dans les colonnes de la «Sonntagsblatt»: «Si cela s'avère vrai, c'est un scandale comme je n'en ai jamais vu en 26 ans dans le secteur ferroviaire.» Il a demandé qu'une commission d'enquête parlementaire soit mise en place et que «des têtes tombent». Stadler Rail et Siemens ont tous deux déposé un recours en 2016, mais l'ont retiré par la suite.

Les victoires de Stadler Rail

Si Stadler Rail a déjà perdu plusieurs fois contre Bombardier, il s'agit là de sa première défaite contre Siemens. En 2003, l'entreprise thurgovienne avait encore remporté, conjointement avec les Allemands, un contrat pour la deuxième génération de RER à Zurich. Aujourd'hui, une nouvelle concurrence venue de l'étranger fait son apparition. La société autrichienne Westbahn a récemment annoncé qu'elle mettrait bientôt en service quatre trains du géant chinois CRRC. Jusqu'à présent, Stadler Rail était le seul fournisseur de Westbahn, comme le rapporte la «NZZ».

Dans le même temps, l'entreprise de Peter Spuhler parvient régulièrement à s'imposer face à des concurrents nettement plus importants. En 2022, les CFF et leurs filiales Thurbo et Regionalps ont commandé 286 rames de RER à un étage auprès de Stadler Rail. Le volume d'investissement s'élève à environ deux milliards de francs. Dès l'année prochaine, les premiers trains Flirt «made in Bussnang» devraient circuler en Valais et en Suisse orientale.

En 2022 également, un consortium germano-autrichien a attribué un contrat de 4,2 milliards de francs à Stadler Rail. Le constructeur ferroviaire thurgovien livrera jusqu'à 504 tramways à six entreprises de transport public des deux pays voisins. Il assurera également la maintenance des véhicules pendant 32 ans. Fin 2024, Stadler Rail a réussi à percer aux Etats-Unis, où l'entreprise agrandit actuellement son usine de Salt Lake City. A Atlanta, Stadler Rail équipe l'ensemble du réseau ferroviaire d'une nouvelle technologie de signalisation. Ce contrat à hauteur de 500 millions de dollars est le plus important de l'histoire de l'entreprise dans ce secteur. Mais les récents succès outre-Atlantique ne devraient toutefois pas consoler Stadler Rail de sa défaite dans son pays d'origine.

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