Cette soldate en a ras-le-bol
«L'armée est dans un état merdique, et c'est volontaire!»

À 27 ans, Cécile Klusák en a assez des critiques systématiques contre l’armée. Fantassin dans l’armée suisse et rédactrice en chef d’une revue militaire, elle monte au créneau pour défendre l’institution et interpelle au passage la classe politique.
Publié: 22.05.2025 à 07:12 heures
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Cécile Klusák en a assez que l'armée soit critiquée pour des choses qui ne sont pas de son ressort.
Photo: Joelle Känzig
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Deborah Bischof

Véhicules délabrés, manque de personnel, cas de harcèlement sexuel… Les scandales se multiplient autour de l’armée suisse. A cela s’ajoutent des indiscrétions au sein du Département de la défense (DDPS), le départ inattendu du chef de l’armée Thomas Süssli, ou encore des soupçons de fraude chez le fabricant d’armement Ruag. Bref, quand l’armée fait la une, c’est rarement pour de bonnes raisons. Résultat des courses: l'armée est perçue comme une institution chaotique et coûteuse pour le contribuable, et les critiques sont incessantes.

Cécile Klusák en a assez de ce bashing systématique. La jeune femme de 27 ans est fantassin à l'armée et corédactrice en chef de la revue militaire alémanique «Schweizer Soldat». «On mélange tout et n’importe quoi», déplore-t-elle. Elle le dit et le répète: il faut distinguer l’armée de milice de son état-major, l’état-major de Ruag, et Ruag du Département de la défense. Ce qui l'agace tout particulièrement: «A la fin, ce sont toujours les soldats et les soldates qui trinquent.» Des personnes qui sacrifient souvent leur temps contre leur volonté doivent ensuite se justifier auprès de leur employeur, dénonce-t-elle.

Conséquences des mesures d'économie

Cécile Klusák dirige une section de huit soldats. Elle connaît bien les reproches faits à l’armée. Elle a d'ailleurs un avis bien tranché sur la question: «L’armée est dans un état de merde, et c’est voulu politiquement!»

Pour elle, les critiques se trompent de cible. «Cela fait des années que le Parlement taille dans les budgets de l’armée, et maintenant, on s’étonne qu’elle ne soit pas prête à se défendre.» Elle assume pleinement ses opinions: «Je suis pro-armée et je pense que l’armée de milice est l’outil le plus adapté à la Suisse. Mais sans fric, ça ne marche pas.»

Avec le matériel actuel, seul un tiers des soldats peut être équipé, estime Cécile Klusák. Lors des cours de répétition, les troupes doivent même se partager les équipements. «Mais si une guerre éclate, on n’aura pas le luxe de faire tourner le matériel. Ce sera trop tard et on manquera de gilets pare-balles», s’inquiète la soldate.

Pour Cécile Klusák, le manque d’effectifs est un autre problème majeur. Pendant certaines manœuvres, raconte-t-elle, des sergents doivent eux-mêmes jouer les soldats, faute de monde. Elle juge la classe politique pleinement responsable de cette situation: «Aujourd’hui, passer du service militaire au service civil, c’est beaucoup trop facile.» Au niveau politique, le Conseil fédéral a récemment émis le souhait de durcir les conditions d’accès au service civil.

Manque de conséquences

Mais l’état-major de l’armée doit aussi assumer sa part de responsabilité, admet Cécile Klusàk. «Personnellement, j’ai vécu de très bonnes expériences dans l’armée. Mais je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde.» Elle évoque notamment certains supérieurs qui crient sur les soldats, les discriminent ou les rabaissent. Le problème, selon elle, vient souvent d’individus isolés qui détériorent le climat au sein de l'armée.

Même constat pour le harcèlement sexuel, même si elle assure n’en avoir jamais été victime elle-même. «Il est essentiel que l’armée protège spécifiquement les femmes, qui restent très minoritaires.» Cécile Klusák salue le fait que l’armée ait lancé sa propre enquête et ait pris des mesures.

Mais pour elle, cela ne suffit pas: «Il faut maintenant vérifier si ces mesures sont efficaces. C’est aussi le rôle des médias de mettre le doigt sur ce qui ne va pas, et de rappeler que ce n’est pas parce qu’on publie une étude et qu’on prône la tolérance zéro que le problème est réglé.»

Cécile Klusák reste toutefois convaincue que l’armée prend ces problèmes au sérieux. Elle ne considère que les sanctions: «Les personnes qui harcèlent, discriminent ou intimident doivent être rétrogradées ou renvoyées.» Et cette responsabilité, dit-elle, doit être assumée à tous les niveaux hiérarchiques: du sergent au chef de l’armée, en passant par la justice militaire.

«L'estime est méritée!»

La réputation de l’armée vacille. Et cela, au moment même où la classe politique débat d’un possible renforcement de ses capacités. «Je comprends que les gens perdent confiance à force de ne lire que du négatif», explique Cécile Klusák. Elle attend du nouveau ministre de la Défense, Martin Pfister et de l’état-major de l’armée qu’ils adoptent une communication claire et transparente. «Il faut nommer les problèmes et les affronter.»

Elle appelle à davantage de compréhension de la part du monde politique, des médias et de la population. L’armée est une organisation immense, composée en majorité de non-professionnels, et pourtant, beaucoup de choses fonctionnent très bien. «Chaque jour, je vois des gens en uniforme qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour pouvoir, le moment venu, défendre le pays et porter assistance. Ils méritent notre respect.»

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