L'Europe est en état d'alerte. Des experts estiment qu’une guerre entre la Russie et l’OTAN pourrait éclater dès 2027. Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, appelle à renforcer la dissuasion pour éviter une escalade et l’Union européenne accélère les préparatifs, avec d’importants plans de financement pour renforcer ses capacités de défense.
La Suisse, elle aussi, souhaite se réarmer, mais elle rencontre des difficultés. Le budget de l’armée a été porté à 30 milliards de francs jusqu’en 2028, soit 4 milliards de plus qu’auparavant. Toutefois, le financement reste flou. Aucune des propositions présentées jusqu’à présent n’a abouti, laissant planer de nombreuses incertitudes.
«Corriger les erreurs du passé»
Face à cette situation, les officiers suisses montent au créneau. Ils accusent les autorités d’avoir, durant 35 ans, économisé «à l’aveugle» 120 milliards sur le dos de l’armée. «Aujourd'hui, le Parlement se montre surpris et impuissant face aux graves lacunes», écrit la Société des officiers des troupes blindées, soutenue par d'autres associations militaires, dans une nouvelle prise de position. Selon eux, l'armée n’est plus en mesure de défendre le pays de manière crédible.
Un changement rapide est nécessaire. Compte tenu de la situation sécuritaire jugée critique, le rattrapage s’annonce colossal. Il faudrait injecter immédiatement 13 milliards de francs, auxquels s’ajouteraient entre 80 et 90 milliards à court terme pour «corriger les erreurs du passé». Au total, près de 100 milliards de francs seraient nécessaires pour remettre l’armée suisse à niveau. «La balle est désormais dans le camp du politique», déclare Erich Muff, président de la Société des officiers des troupes blindées.
Le document reçoit notamment le soutien de la Société suisse des officiers (SSO). «Nos voisins investissent jusqu’à 3% de leur produit intérieur brut dans leur armée», rappelle son président, Michele Moor, à la SRF. «Et en Suisse, le Parlement débat encore pour savoir s’il faut consacrer ne serait-ce que 1% du PIB. C’est très préoccupant.»
Presque doubler les effectifs
Mais l’enjeu ne se limite pas à l’argent. Pour les milieux militaires, il est impératif d’augmenter «en priorité» les effectifs, en passant de 140'000 à 250'000 personnes. Cela nécessiterait notamment un relèvement de l’âge maximal de service. Des mesures tout à fait réalisables selon les officiers. L’armée suisse comptait encore plus de 400'000 hommes au début des années 2000, et plus de 800'000 dans les années 1990.
Mais là aussi, ça coince. En début d’année, le Conseil fédéral a rejeté deux propositions de réforme du service militaire présentées par l’ancienne ministre de la Défense, Viola Amherd. Pour les représentants de l’armée, l’incapacité des autorités à résoudre des problèmes de personnel pourtant bien identifiés est tout simplement «scandaleuse». Les solutions existent depuis longtemps, mais la volonté politique fait défaut.
Sans surprise, les officiers de chars insistent sur le renforcement des troupes blindées. Non seulement tous les chars Leopard 2 mis hors service devraient être modernisés, mais il faudrait en plus acquérir 110 nouveaux chars, ainsi que des centaines de véhicules blindés pour l’infanterie et la logistique. Ces besoins excèdent largement les chiffres avancés jusqu’ici par le Département de la défense.
Une liste de matériel conséquente
A cela s’ajoute l’acquisition de drones pour la reconnaissance et le combat, une nouvelle extension de la défense aérienne – jugée indispensable face aux menaces actuelles – ainsi que des munitions pour un montant estimé à 10 milliards de francs. Il est également essentiel que chaque soldat soit équipé de manière adéquate, avec casques, gilets pare-balles et armes individuelles. Et la liste des besoins ne s’arrête pas là.
L'autre priorité serait de garantir une capacité de production en Suisse. Selon les associations militaires, il est illusoire de croire que les systèmes d’armement étrangers seraient livrables en cas d’urgence. Elles prennent pour exemple les drones israéliens commandés depuis plusieurs années et que Berne attend toujours.
Avis partagés au Parlement
Au Parlement, ces demandes massives suscitent des réactions contrastées. La conseillère nationale socialiste (PS) Priska Seiler Graf reconnaît qu’une hausse du budget militaire peut se discuter, mais elle juge les exigences actuelles largement exagérées. Pour elle, la perspective de combats impliquant des chars en Europe de l’Ouest relève davantage de la fiction que de la réalité. Elle s’inquiète surtout de la source de financement d’un tel plan: «C'est totalement disproportionné!»
A l’inverse, Werner Salzmann, conseiller aux Etats de l'Union démocratique du Centre (UDC), qui siège à la Commission de politique de la sécurité, partage les revendications des milieux militaires. Il estime qu’un investissement de 100 milliards serait réalisable sur 20 ans, à condition que le paquet d’économies actuellement en discussion permette d’alléger significativement les finances publiques. Mais il rappelle qu’un tel effort ne pourra pas être entrepris plus rapidement, notamment en raison du frein à l’endettement, que le Parlement refuse de contourner comme l’a fait l’Allemagne.
Ces 100 milliards de francs représentent une somme énorme. Les associations militaires en sont également conscientes. Mais selon elles, l’Etat ne peut exiger de ses citoyens en service qu’ils soient prêts à risquer leur vie sans leur donner, au minimum, les moyens de se défendre équitablement. «Il est tout simplement malhonnête pour l'un des pays les plus riches de ne pas équiper ses soldats de manière à leur donner au moins une chance équitable!»