Bras de fer au tribunal de Saint-Gall
L'armée suisse renvoie un expert militaire, celui-ci réplique avec force

En 2024, Mauro Mantovani quittait l'armée suisse. Officiellement, il s'agissait d'un départ à l'amiable. Mais dans les faits, c'était un renvoi pur et simple. L'expert militaire se défend aujourd'hui devant les tribunaux. Blick a pu se procurer les documents.
Publié: 15.06.2025 à 22:07 heures
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Mantovani a été pendant des années expert en stratégie et chargé de cours à l'Académie militaire de l'EPFZ.
Photo: Ramona Schelbert
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Robin Bäni et Fabian Eberhard

Qu'en est-il de l'Ukraine? Trump peut-il mettre fin à la guerre? La Russie est-elle une menace sérieuse pour l'Europe? Lorsque de telles questions surgissent, Mauro Mantovani est très souvent sollicité.

Pendant des années, il a été expert en stratégie et chargé de cours à l'Académie militaire de l'EPFZ. Les médias font volontiers appel à lui en tant qu'expert. Dernièrement, dans les pages de «NZZ am Sonntag», il a commenté l'utilité des chars d'assaut suisses. Début juin, la SRF lui a demandé son avis sur les nouveaux systèmes d'artillerie.

En 2024, Mauro Mantovani s'est séparé de l'EPFZ, et de l'armée également. Cela n'a pas été mis sous silence. Mais ce que l'on a pas dit, c'est qu'il s'agissait d'un licenciement. Depuis, un conflit juridique fait rage et les différentes parties se font mutuellement de graves reproches.

Lundi prochain, le Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall examinera le cas de Mauro Mantovani. Il s'agira notamment de savoir si son licenciement était légitime ou non. 

Une longue liste de reproches

Cette histoire commence par une lettre. En mars 2024, Mauro Mantovani reçoit une décision, émise par le commandement de l'instruction de l'armée suisse. Sur 17 pages, divisées en 70 paragraphes, l'armée justifie minutieusement les raisons de son licenciement. C'est en quelque sorte une chronologie de l'escalade – avec des dates, des entretiens et une longue liste de reproches.

Un premier entretien délicat avait eu lieu le 25 janvier 2023 à propos de l'emploi de Mantovani en tant qu'enseignant à l'Académie militaire de l'EPFZ. L'expert se voit alors présenter la manière dont l'armée évalue ses performances pour la période 2021/22. Et le bilan est accablant: note globale de 1 sur 4 et de nombreux objectifs pas atteints, notamment dans le domaine de la recherche.

Mantovani a dû par la suite rédiger un projet de recherche intitulé «Evolution de l'armée suisse depuis 1990». Le manuscrit, selon l'évaluation, est toutefois «insuffisant», le texte ne remplit «aucun des objectifs visés» et ne répond pas aux «exigences scientifiques». Le militaire se défend contre cette présentation. Un expert indépendant examine le manuscrit, mais ce dernier parvient à la même conclusion. Sa note? 1 sur 4.

Des leçons incompréhensibles

Les mois s'écoulent. Lors de son évaluation suivante, Mantovani obtient cette fois-ci une note globale de 2, mais un 1 dans le domaine de l'enseignement. Les étudiants n'auraient tout simplement «pas toujours compris» ses cours. Et l'évaluation précédente indiquait déjà que «les étudiants trouvent ses cours monotones et fatigants, notamment en raison de la lenteur de son débit de parole».

L'enseignement jugé «mauvais» a des conséquences: le 30 octobre 2023, Mauro Mantovani ne reçoit pas de nouveau mandat d'enseignement à l'EPFZ, et ce pour une durée indéterminée. Le militaire est donc désormais professeur... mais sans mandat d'enseignement. Son employeur, l'armée, est donc arrivé à la conclusion qu'il ne pouvait plus exercer son travail à plein temps.

Elle lui propose donc un nouveau poste: collaborateur scientifique dans un autre département, avec cinq classes de salaire en moins qu'auparavant. Mantovani refuse. Alors son supérieur ordonne une mutation forcée et entame une procédure de licenciement. Mauro Mantovani a effectué son dernier jour de travail le 31 juillet 2024.

Vacances aléatoires

Dans sa décision, l'armée fait état d'une «somme importante» de violations du droit du travail. Mantovani aurait notamment pris à plusieurs reprises des «vacances arbitraires». Un exemple: il a rendu visite à sa fille au Vietnam, mais son supérieur ne l'a appris qu'un jour avant son départ, et par un pur hasard. Dans le dossier, on peut lire sèchement: «Le travailleur est néanmoins parti».

A ce sujet, Mauro Mantovani parle d'un «malentendu». Dans sa plainte, il souligne à plusieurs reprises combien de temps il a travaillé pour l'armée, en l'occurrence 25 ans. Selon lui, il a toujours fourni de «très bonnes prestations». Ses fautes ne seraient que des cas isolés. Il remet aussi en question l'évaluation de son enseignement à l'EPFZ car seuls 6 étudiants sur 14 y ont participé. «Même pas la moitié de la classe!»

Un licenciement «préfabriqué»?

Mauro Mantovani estime qu'un avertissement ou des «mesures moins sévères» auraient été appropriés. Mais son supérieur au sein de l'armée ne l'a jamais défendu et ne lui a «pas assuré de soutien» lorsque l'EPFZ lui a retiré son mandat d'enseignant.

A ses yeux, cela montre que son licenciement était dès le départ un «fait accompli». Sa théorie est que son supérieur aurait voulu «remodeler» la collaboration entre l'armée et l'EPFZ – et dans ce projet, il n'avait tout simplement plus se place. Les motifs de son licenciement auraient donc été «construits de toutes pièces» pour se débarrasser de lui.

Au sein de l'armée, Mantovani était considéré comme un anticonformiste. Il posait de nombreuses questions embarrassantes pour les hauts gradés, remettait publiquement en jeu l'utilité des chars et de l'artillerie, tout cela alors que les officiers de la Berne fédérale militaient pour davantage de fonds pour l'armement. Mantovani soupçonne donc ses supérieurs d'avoir profité de l'occasion pour le mettre à la porte et le remplacer par un successeur plus docile.

Aujourd'hui, c'est Marcel Berni, historien et expert en stratégie militaire suisse qui travaille comme chargé de cours en études stratégiques à l'EPFZ et qui a également repris le rôle que Mauro Mantovani tenait auprès des médias. De son côté, l'ancien militaire demande au tribunal que l'armée continue à l'employer pour une durée indéterminée – ou, à défaut, qu'elle lui verse 24 mois de salaire à titre de dédommagement. La bataille n'est pas encore terminée.

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