Au pied du mur
L'ambassadeur suisse en Israël somme Cassis de se positionner face à Netanyahu

Comment la Suisse doit-elle se positionner sur Gaza? Le chef du DFAE peine à prendre position dans son dossier le plus difficile, alors que son diplomate à Jérusalem demande une ligne plus dure.
Publié: 06:06 heures
|
Dernière mise à jour: 09:15 heures
1/5
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis est tiraillé.
Photo: keystone-sda.ch
Bildschirmfoto 2024-04-02 um 08.40.24.png
Reza Rafi

Quel dommage que Be'eri ne se trouve pas en Suisse, «où chaque citoyen a une arme à la maison», a déclaré Michel Houellebecq jeudi, lors d'une visite du kibboutz israélien dans lequel le Hamas a tué plus de 130 personnes et enlevé 250 otages le 7 octobre 2023. L'écrivain polémiste français a fantasmé sur le fait que l'Europe aurait peut-être besoin d'une «bonne guerre» pour «retrouver le goût de vivre». 

L'épisode, retenu par la «NZZ», symbolise dans sa folie la surcharge de l'Occident face à la guerre à Gaza. Les forces armées israéliennes ont réduit Gaza en cendres et l'ont transformée en un no man's land. La population vit dans la peur quotidienne des bombardements d'un gouvernement qui bafoue le droit international et applique la tactique du blocus de la faim, une méthode de guerre datant des jours les plus sombres de l'humanité. Le cabinet de Benjamin Netanyahu justifie ce blocus en assurant que les aides finissent entre les mains du Hamas. 

Ce n'est que sous la pression des Etats-Unis que le Premier ministre israélien a fini par céder après trois mois, en accordant de nouvelles livraisons. Le premier jour, il a autorisé l'entrée de cinq camions, dont deux auraient été remplis de sacs mortuaires. La plus grande préoccupation du cabinet de guerre de Benjamin Netanyahu semble être le fait que les soldats de l'armée israélienne n'attrapent la gale, qui sévit à Gaza parmi les enfants émaciés... 

Des dizaines de milliers de morts

Plus de 53'000 Palestiniens ont été tués, un chiffre qui ne cesse de croître de jour en jour. En parallèle, plus de 50 otages israéliens seraient toujours détenus par le Hamas. Jeudi, un activiste a tué deux employés juifs de l'ambassade israélienne à Washington. Le cycle de violence ne cesse de s'alimenter. 

Les événements atteignent également Ignazio Cassis, le ministre des Affaires étrangères. Après des protestations contre la participation d'Israël à l'Eurovision et de vives critiques sur les réseaux sociaux, le libéral-radical (PLR) doit désormais décider s'il se joint à un appel de 22 Etats occidentaux qui demandent plus d'aide pour la population en détresse de Gaza. Il a fini par décliner la proposition, fustigé ensuite par la gauche et les ONG. Le conseiller aux Etats socialiste genevois, Carlo Sommaruga, l'a même traité mardi passé de «collabo des plus ignobles comportements d'Israël»

L'ambassadeur suisse fait pression sur Israël

Ignazio Cassis est confronté à des pressions de toutes parts, même depuis l'intérieur. L'ambassadeur suisse à Jérusalem, Simon Geissbühler, tire la sonnette d'alarme sur la situation humanitaire catastrophique. Il a déjà envoyé plusieurs mémos à la Berne fédérale à ce sujet, où il demande à Cassis de faire davantage pression sur Benjamin Netanyahu. 

La dernière intervention de l'ambassadeur à ce sujet a été envoyée en début de semaine dernière. Une information confirmée par le DFAE. Auparavant, le Département des affaires étrangères avait convoqué Ifat Reshef, l'ambassadrice de Jérusalem à Berne, à cause des attaques d'Israël.

Dans cette situation, Cassis navigue pour trouver l'équilibre entre l'image qu'il se fait d'un pays neutre et les valeurs de la Suisse en tant que berceau des droits humains. Sauf qu'il fini par faire ce pour quoi il est régulièrement critiqué à Berne: du surplace.

Il n'a toujours pas signé l'appel des vingt-deux, lancé par la Grande-Bretagne. En même temps, le ministre des Affaires étrangères a lancé vendredi au Tessin un appel à l'Etat juif en des termes étonnamment clairs: l'aide humanitaire n'est pas une option, mais un devoir, «et ce devoir vaut aussi pour Israël».

Cassis se défile

Cette intervention soulève la question de savoir si c'est le tacticien de la politique étrangère qui parle ou Cassis, le médecin qui s'est engagé à sauver des vies humaines. Une chose est sûre: lorsque la situation devient explosive, le chef du DFAE fait profil bas.

Mercredi, après que le Conseil fédéral a accordé 20 millions de francs pour les Palestiniens, il n'y a pas eu de conférence de presse. Dans l'émission de débat «Infrarouge» de la RTS, Cassis a préféré éviter les projecteurs en envoyant son porte-parole, Nicolas Bideau. «Netanyahu n'écoute de toute façon qu'une seule personne: le président américain», déclare un représentant du DFAE à Blick.

L'histoire de l'ONG controversée

L'affaire se complique avec la «Gaza Humanitarian Foundation» (GHF), une ONG mystérieuse créée à Genève en début d'année. La GHF servirait de vecteur aux plans américains et israéliens pour lancer sa propre opération d'aide. Soudain, la Suisse se retrouve au cœur des manœuvres visant à écarter l’ONU du Proche-Orient et devient, malgré elle, le théâtre des tensions géopolitiques mondiales.

Quel rôle Berne a-t-elle véritablement joué dans cette affaire? Le DFAE affirme qu'il n'a pas été impliqué, mais le chef du Département ne souhaiterait toutefois pas empêcher des actions qui pourraient aider les gens. Une fois de plus, un flou s'installe, laissant la porte ouverte aux interprétations: Cassis agit-il comme un stratège froid qui ne veut pas se mettre à dos les Américains, ou comme un médecin pragmatique qui veut simplement mettre fin à la misère le plus rapidement possible? La seconde option, assure son entourage.

Lors de son voyage, Michel Houellebecq a été salué par les organisateurs comme un «véritable ami d'Israël» lors d'une remise de prix. Mais Ignazio Cassis serait peut-être, au fond, un meilleur ami pour Israël.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la