La guerre menée par la Russie n'est pas le seul front sur lequel l'Ukraine se bat. Un autre ennemi dans le pays s'appelle la corruption. Selon l'indice de corruption de Transparency International, l'Ukraine occupait en 2023 la 104e place sur 180. Et la lutte contre la corruption est une condition essentielle à l'adhésion à l'UE.
Une loi est désormais entrée en vigueur en Ukraine. Elle élargit les pouvoirs du procureur général ukrainien Ruslan Kravtchenko en ce qui concerne les deux principales autorités anti-corruption du pays. Ruslan Kravtchenko est considéré comme un proche du président Volodymyr Zelensky. Le président a signé la loi mardi, après qu'elle ait été approuvée par le Parlement.
Les critiques reprochent désormais à Zelensky de dériver vers l'autoritarisme avec cette mesure et de ne plus garantir l'indépendance des autorités anti-corruption. A Kiev, Lviv et dans d'autres grandes villes ukrainiennes, des milliers de personnes se sont rassemblées pour protester contre la loi. Un coup de théâtre politique qui pourrait fragiliser Zelensky?
Comment Zelensky justifie-t-il sa décision?
Selon Zelensky, le Bureau national anti-corruption et le Parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption seront placés sous l'autorité du procureur général afin de libérer les deux autorités de «l'influence russe». «C'est ce dont l'Ukraine a vraiment besoin», a écrit Zelensky sur Telegram.
Zelensky a reproché aux autorités de n'avoir jusqu'à présent fourni aucune explication sur la raison pour laquelle «les Russes continuent d'obtenir les informations dont ils ont besoin». En outre, Zelensky a demandé que les personnes corrompues en Ukraine, ainsi que les Ukrainiens ayant fui à l'étranger, n'échappent plus à une sanction.
«Nous avons tous un ennemi commun: les occupants russes. Et pour défendre l'Etat ukrainien, il faut un système de protection de l'ordre suffisamment solide, capable de garantir un véritable sentiment de justice», a déclaré Zelensky après avoir promulgué la loi la veille. «Nous entendons tous ce que la société dit», a-t-il poursuivi après une réunion avec les chefs de forces de l'ordre, dont les structures anticorruption concernées par cette loi, tout en promettant de «résoudre des contradictions existantes».
Que reprochent les critiques à Zelensky?
Le bureau ukrainien de Transparency International a mis en garde contre une menace directe pour la lutte indépendante contre la corruption en Ukraine. «Zelensky et les députés réduisent à néant les progrès durement acquis en une décennie dans les réformes de lutte contre la corruption», a écrit l'organisation sur la plateforme X.
L'activiste ukrainien anti-corruption Vitali Shabunin voit également cette décision d'un mauvais œil: «Le procureur général de Zelensky va arrêter les enquêtes sur tous les amis du président», prédit-il sur Facebook.
Anastasia Radina, une députée du parti au pouvoir qui s'est opposée à la loi, a déclaré, selon le «Financial Times», qu'avec l'adoption de la loi, l'infrastructure ukrainienne de lutte contre la corruption serait «effectivement démantelée» et que les deux organes deviendraient «des institutions purement décoratives», «entièrement dépendantes de la volonté du procureur général».
Comment le peuple ukrainien réagit-il ?
Par des manifestations. La plus grande manifestation a eu lieu dans la capitale Kiev, où des milliers de personnes, principalement des jeunes, sont descendues dans la rue. Selon des témoins oculaires, les gens ont crié «Ne touchez pas au Nabu» et «Mettez votre veto à la loi». Sur une pancarte, on pouvait lire: «Mon père n'est pas mort pour ça».
Des citoyens indignés se sont également rassemblés à Lviv, Odessa, Dnipro et Ivano-Frankisk. Le maire de Lviv, Andrij Sadowi, a salué la protestation des jeunes de la ville. «Une jeunesse qui donne de l'espoir», a-t-il écrit sur X.
Comment réagissent les alliés occidentaux de l'Ukraine ?
La commissaire européenne à l'élargissement Marta Kos a déclaré que cette décision aurait un impact négatif sur les négociations d'adhésion. «Des institutions indépendantes comme Nabu et Sapo sont indispensables au processus d'adhésion de l'Ukraine à l'UE», a-t-elle fait savoir sur X. A Kiev, les ambassadeurs des pays du G7 ont publié une déclaration commune dans laquelle ils expriment de «sérieuses préoccupations».
La diplomatie allemande a également critiqué la loi promulguée. «Limiter l'indépendance des agences anticorruption entrave l'Ukraine sur la voie de l'UE», a écrit sur X le ministre allemand des Affaires étrangères Johann Wadephul. L'Ukraine doit «poursuive avec détermination ses efforts dans la lutte contre la corruption», a-t-il insisté.