Vladimir Poutine est «très rationnel» et ne prendra pas le risque de causer un accident nucléaire majeur, estime l'ancien chef des inspecteurs de l'ONU en Irak, le Suédois Hans Blix, auprès de l'AFP, au moment où l'ONU s'inquiète de la sécurité de la centrale ukrainienne de Zaporijjia. A 96 ans, l'œil vif sur l'actualité mondiale, Hans Blix a reçu l'AFP chez lui, en plein cœur de Stockholm où il habite depuis 50 ans, pour un entretien de plus d'une heure.
Installé dans son canapé, il décortique, avec le recul et l'expérience de décennies dans les plus hautes sphères de la diplomatie mondiale, les rapports de force à l'international. Né en 1928, le diplomate et homme politique a été ministre des Affaires étrangères de la Suède de 1978 à 1979 et a dirigé l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de 1981 à 1997.
La guerre en Irak? «Une aberration»
Au cours des dix premières années de son mandat à la tête de l'institution onusienne, il a donné à plusieurs reprises l'assurance que l'Irak ne développait pas d'armes nucléaires. En 2000, Hans Blix est nommé président exécutif de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies (COCOVINU).
A partir de novembre 2002, il mène une équipe d'inspecteurs en Irak pour vérifier l'existence d'armes de destruction massives aux mains de Saddam Hussein, thèse qu'il ne confirmera jamais. Cela n'a pas empêché George W. Bush de décider d'envahir l'Irak en 2003. Encore aujourd'hui, Hans Blix estime que cette guerre fut une «aberration» et une «erreur terrible de la part des Etats-Unis, basée sur des informations erronées» et sur ce qu'il qualifie d'«hubris».
«A l'époque, les Etats-Unis ne risquaient pas une intervention russe ou chinoise», note Hans Blix, qui considère que l'Amérique et le Royaume-Uni se sont comportés comme «les shérifs du monde». Aujourd'hui, Hans Blix porte un regard optimiste sur l'évolution future des conflits mondiaux.
«Poutine n'est pas un imbécile»
Auteur du livre «Un adieu aux guerres» publié en 2023, au titre de son propre aveu volontairement «provocateur», l'ancien diplomate admet que son analyse puisse apparaître comme «une sorte de vent contraire avec l'Ukraine et la guerre à Gaza». Selon lui, tout comme l'a été la guerre en Irak en 2003, l'invasion de l'Ukraine par la Russie est une «aberration». «Poutine a commis une erreur et je suis certain qu'il la regrette», déclare Hans Blix.
Le diplomate reste pourtant convaincu que le maître du Kremlin est une personne «très rationnelle» qui «sait ce qu'(elle) fait». «Il s'agite, brandit les armes nucléaires et menace, mais ce n'est pas un imbécile». Le 17 août, l'AIEA s'est dit inquiète d'une «détérioration» de la sécurité de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, sous contrôle russe, suite à une frappe de drone à proximité.
Malgré cette évaluation de l'institution qu'il a dirigée pendant 16 ans et dont il «applaudit» le travail, Hans Blix reste serein quant à la menace d'un accident nucléaire majeur, qu'il a déjà connu en tant qu'instigateur du projet international de sécurisation du site nucléaire de Tchernobyl en 1986.
Crainte de l'escalade toujours présente
Il assure que la Russie n'attaquera jamais «délibérément» une centrale nucléaire, ajoutant qu'il n'est clairement «pas insomniaque sur ce point». Son optimisme réside dans sa confiance en la dissuasion nucléaire.
«Tant que la possibilité d'une seconde frappe existe, la crainte de l'escalade est présente», analyse Hans Blix, estimant que «les grandes puissances, les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ne veulent pas se retrouver dans une situation de confrontation directe».
Inquiet du réchauffement climatique
Se projetant après la fin de la guerre en Ukraine, Hans Blix estime que, même si «cela prendra du temps», la Russie devra se reconnecter au «monde et à l'Europe». «Il y aura le sentiment que nous devons maintenant, d'une manière ou d'une autre, réparer et améliorer la situation». «Je suis un multilatéraliste», insiste-t-il en souriant, «je pense qu'il y a tant de problèmes dans le monde globalisé que l'on ne peut pas gérer en étant isolé».
Pour celui qui se dit plus «inquiet du réchauffement climatique» que du spectre de la guerre, les Etats du monde entier doivent coopérer dans trois domaines principaux. Le premier est le changement climatique, dans lequel M. Blix estime que tous les pays ont «des intérêts communs». Viennent ensuite les pandémies, dont la menace plane toujours avec l'actuelle explosion des cas de mpox en Afrique, et la lutte contre la criminalité à l'international.