Pokrovsk? La plupart des Suisses n'en ont probablement jamais entendu parler. Mais pour de nombreux Ukrainiens vivant à l'est du pays, ce lieu est synonyme de salut. Pendant les deux premières années de guerre, des dizaines de milliers de personnes ont fui le front pour se réfugier dans cette ville de 60'000 habitants, la plus à l'est du territoire ukrainien avec une liaison ferroviaire. On y trouvait des centres d'accueil, des trains pour se rendre à l'ouest, des salons de coiffure et de succulents hot-dogs.
Mais depuis cette semaine, c'est l'enfer à Pokrovsk. Les Russes se dirigent droit vers la ville. Plus que dix kilomètres et ils seront sur place. Le chef de l'administration locale s'attend à des combats dans les rues dans le courant de la semaine prochaine. Lundi, toutes les familles ont reçu l'ordre d'évacuer. La ville, qui est une plaque tournante importante pour l'armée ukrainienne dans la lutte pour le Donbass, devrait tomber prochainement. Pokrovsk démontre que Volodymyr Zelensky s'est peut-être méchamment trompé dans sa dernière décision.
Il y a deux semaines et demie, le président ukrainien a ordonné à ses troupes d'envahir la région russe de Koursk. Une attaque surprise. L'Ukraine contrôle déjà 93 localités et 1263 kilomètres carrés de territoire ennemi. «Défense proactive», c'est ainsi que Volodymyr Zelensky nomme son action. L'objectif est de créer une «zone tampon» pour que les avions de combat russes ne puissent plus aussi facilement larguer leurs bombes planantes mortelles sur l'Ukraine à une distance sûre.
La théorie et la pratique…
Cette manœuvre, jusqu'ici réussie, a divers effets collatéraux: l'Ukraine fait des milliers de prisonniers de guerre qu'elle pourra ensuite échanger contre ses propres hommes. En théorie, les territoires conquis pourraient être troqués à la table des négociations contre des régions occupées de l'Ukraine. En outre, l'attaque de Koursk représente une défaite psychologique pour le président russe et l'oblige à retirer ses troupes du Donbass pour défendre Koursk.
Mais en pratique, Poutine laisse jusqu'à présent ses troupes poursuivre leur marche à travers le Donbass sans presque aucun frein. Koursk ne semble pas être une priorité pour lui. Il préfère plutôt s'emparer de Pokrovsk, l'une des toutes dernières villes ukrainiennes à l'est. Si elle tombe, le Donbass est quasiment perdu. Il aura alors atteint son objectif.
La campagne de Zelensky à Koursk fait même le jeu de Poutine. Les troupes ukrainiennes épuisées dans le Donbass doivent renoncer à des forces importantes qui combattent depuis peu à Koursk. «La situation dans le Donbass s'effondre à cause de ça», déclare à Blick l'expert militaire ukrainien Yevhen Semekjin.
Certes, de nombreux soldats sont fiers que l'Ukraine soit la première nation à réussir à camper sur le territoire d'une puissance nucléaire. «Mais beaucoup sont extrêmement inquiets parce que nous perdons chaque jour de nouveaux villages. Et parce que des messages radio interceptés par les Russes laissent entendre que tous les civils masculins de la région doivent être tués», explique l'expert militaire.
Poutine utilise l'attaque de Koursk à des fins de propagande
Les experts de l'Institut d'études de la guerre, un groupe de réflexion américain, font remarquer que l'attaque de Zelensky sur Koursk profite à Poutine dans un autre sens: elle lui fournit de nouvelles «preuves» de la nécessité pour la Russie de se défendre contre l'Ukraine agressive. Mick Ryan, un ex-général australien, prévient que Poutine pourrait définitivement réussir une attaque dans le Donbass s'il remet à plus tard la reconquête de la province de Koursk. Et c'est ce qui semble se passer actuellement.
A Pokrovsk, on se prépare en tout cas au pire. «Nous resterons ici jusqu'à la fin», écrit la responsable d'équipe d'une organisation humanitaire locale. «Mais nous savons tous que pour notre ville, la fin est très proche.»
L'opération de Zelensky a sans aucun doute apporté du dynamisme à une guerre enlisée. Sauf que le mouvement va désormais dans les deux sens. Dans le pire des cas, Koursk sera un tournant définitif à la guerre. Mais pas celui des vœux de Zelensky.