Selon notre dernier classement des 300 personnes les plus riches de Suisse, la richesse par habitant a plus que quadruplé depuis 1989, atteignant 2,8 milliards de francs suisses. La fortune des ultra-riches augmente bien plus vite que l'économie du pays, qui elle, en revanche, stagne. La concentration de la fortune parmi les plus riches s'accentue: 7% des contribuables détiennent à eux seuls 71% du patrimoine privé total.
En d'autres termes, les riches sont de plus en plus éloignés de la classe moyenne: comment s'accumule cette concentration de fortune? Quelles sont les conséquences pour les Suisses ordinaires? Cet écart de richesses pose-t-il réellement un problème?
Les actifs sont plus chers
Cette évolution vient principalement des actifs: alors que la classe moyenne privilégie les comptes d'épargne, les plus fortunés investissent en actions et dans l'immobilier. La valeur de ces actifs a fortement progressé ces dernières années, surtout grâce aux faibles taux d'intérêt qui incitent les particuliers à prendre plus de risques dans leurs placements. «Les personnes fortunées peuvent se permettre de prendre plus de risques, car elles ont plus de ressources pour absorber les pertes», explique Marius Brülhart, professeur d'économie à l'Université de Lausanne.
Les personnes fortunées détenant des biens immobiliers et des actions ont pleinement profité de ces hausses de prix. «C’est un facteur clé de l’accroissement des inégalités de richesse», explique Isabel Martínez, de l’Institut KOF à l'EPFZ. Ses recherches portent notamment sur la répartition des revenus et du patrimoine et d'après elle, le patrimoine a été multiplié par huit par rapport au revenu.
Toutefois, il est trop difficile d'estimer la part de l'immobilier dans la croissance du patrimoine. Avec de faibles fonds propres et un endettement élevé, un important effet de levier se produit et multiplie le capital investi au fil des ans.
Répartition inégale des richesses
En matière de répartition de la fortune, la Suisse fait très mauvaise figure par rapport à d'autres pays. En moyenne, les ménages actifs suisses n'ont que quelques dizaines de milliers de francs d'économies. Cette concentration de la fortune au sommet de la société semble avoir des conséquences pour la classe moyenne.
Les fortunes croissantes génèrent des rendements et peuvent servir de garantie. Cet argent est ensuite investi de manière rentable. Une étude de l'Université Columbia arrive donc à la conclusion suivante: l'augmentation de la richesse des plus fortunés augmente la demande d'actifs et fait grimper leurs prix. Un cercle vicieux qui se perpétue indéfiniment à long terme.
Des milliards dans l'immobilier
Cet effet sur les prix s'applique aussi en Suisse. En effet, notre politique fiscale a renforcé la concentration de la fortune au sommet de la société au fil des décennies, selon une étude d'Isabel Martínez. Or, là où la richesse est concentrée, la demande d'actifs rentables augmente. Avec des taux d'intérêt nuls en Suisse, l'immobilier est un investissement alléchant.
De janvier à fin septembre, près de 7 milliards de francs de capitaux supplémentaires ont été investis dans des placements immobiliers, selon une étude de Raiffeisen. Selon la banque, cet argent n'a jusqu'à présent déclenché «aucune stimulation de l'offre». Puisque le nombre de nouveaux appartements construits reste insuffisant, les investisseurs se disputent les biens immobiliers existants et génèrent ainsi des revenus. Cette situation entraîne une hausse des prix et retarde aussi l'augmentation des loyers.
La classe moyenne en difficulté
Pour la classe moyenne, l'alimentation, les téléviseurs et les vêtements sont devenus beaucoup moins chers au fil des décennies. En revanche, l'accès à la propriété est devenu extrêmement difficile, voire impossible pour beaucoup, à cause des prix élevés. Sans surprise, l'âge moyen des primo-accédants est désormais de 48 ans. «Nous constatons que les primo-accédants reçoivent de plus en plus souvent des dons ou des héritages», explique Marius Brülhart.
Les propriétaires d'un bien immobilier peuvent continuer de se réjouir, car en plus des importants investissements qui affluent dans le secteur immobilier, d'autres facteurs contribuent à la hausse des prix: la rareté des terrains constructibles, l'augmentation des coûts de construction et une demande supérieure à l'offre. Selon le cabinet de conseil immobilier Iazi, les prix d'achat des logements ont progressé en moyenne de 26% en Suisse depuis 2019. En parallèle, les salaires réels ont stagné.