Monsieur le Premier ministre, êtes-vous en danger?
Non, je me trouve à Port-Soudan, sur la mer Rouge – ici je me sens en sécurité. La guerre ne s’est pas étendue à cette partie du pays. Mes forces de sécurité travaillent de manière très professionnelle.
Que se passe-t-il actuellement au Soudan?
Les Rapid Support Forces (RSF) (ndlr: les forces rebelles qui combattent celles du gouvernement) nous ont imposé cette guerre. Les RSF faisaient partie de l’armée soudanaise. Ils ont tenté un coup d’Etat puis se sont transformés en milices. Rejetés par l’armée et par le peuple soudanais, ils ont étendu le conflit. Cette semaine encore, les événements à El-Fasher ont montré qu’ils commettent d’horribles crimes de guerre ainsi que des crimes contre l’humanité. Le Conseil de sécurité a condamné ces atrocités cette semaine.
Que s’est-il passé à El-Fasher?
Des enfants ont été tués. Des femmes ont été violées et assassinées, parfois sous les yeux de leurs proches. Des personnes âgées ont été abattues. Des centaines de malades dans des hôpitaux ont été attaqués et massacrés.
En tant que Premier ministre, vous êtes responsable de la protection de vos citoyens. Quelles mesures prenez-vous pour protéger la population civile?
Je remercie la communauté internationale pour son soutien. Nous garantissons l’accès humanitaire et tentons d’offrir un hébergement, de l’aide et de la nourriture au plus grand nombre possible.
Des vidéos montrent des atrocités terrifiantes à El-Fasher. La communauté internationale est-elle suffisamment engagée?
Non, la communauté internationale en fait trop peu. Je salue la déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU qui a condamné cette semaine les crimes des milices et rejeté toute «gouvernance parallèle» de leur part. Mais cela ne suffit pas. Nous avons besoin d’actes, pas seulement de paroles. Tous les crimes doivent être poursuivis en justice – y compris au niveau international. Et tous les Etats membres de l’ONU doivent reconnaître les RSF comme une organisation terroriste et les combattre en conséquence.
Assistons-nous à une répétition de ce qui s'est produit au Rwanda?
Ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 était effroyable. Mais les atrocités que nous avons observées à El-Fasher dépassent ce qui s'est produit là-bas.
Que demandez-vous à la Suisse?
Nous attendons de la Suisse un soutien humanitaire et une aide juridique. En tant que pays neutre, la Suisse est bien placée pour plaider notre cause. Nous espérons également des contributions financières supplémentaires pour l’aide d’urgence.
Une leçon que l'on a tirée des massacres de Kigali et de Srebrenica, en Yougoslavie, est la «responsabilité de protéger»: les Etats doivent intervenir pour empêcher des génocides. Pourquoi une intervention extérieure n’est-elle pas envisagée?
Le débat commence à s’ouvrir sur ce sujet. Certains gouvernements hésitent, freinés par des intérêts égoïstes. Par ailleurs, je considère que des missions de maintien de la paix de l’ONU, dans le cadre historique de la Charte des Nations Unies, ne sont pas souhaitables chez nous.
Pourquoi ne demandez-vous pas de troupes de maintien de la paix? Qui fera la paix, sinon des forces extérieures?
Des troupes internationales porteraient atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale du Soudan. C’est illégal, cela ne ferait qu’accroître la confusion et serait contre-productif. L’armée et le peuple soudanais sont déterminés à sauver et à libérer El-Fasher.
Des pourparlers de paix ont eu lieu à Genève en 2024. Pourquoi ont-ils échoué?
Parce que les représentants des RSF n’avaient aucun intérêt réel pour la paix. Ce sont des hypocrites. N’étant reconnus par personne, ils sèment la peur et la terreur et assassinent des civils.
En dehors des RSF, qui porte la responsabilité de cette catastrophe humanitaire
Les RSF collaborent étroitement avec des mercenaires venus du monde entier, surtout de Colombie. Ce sont des criminels qui ne connaissent ni notre pays ni les objectifs de guerre des RSF. Ils se battent uniquement pour l’argent, puis repartent ailleurs.
Pourquoi autant de Colombiens combattent-ils au Soudan? Sont-ils devenus mercenaires faute d’emploi depuis l’accord de paix avec les FARC?
J’ai adressé un message très clair, en espagnol, au peuple colombien. Le gouvernement colombien a réagi de manière exemplaire et tente de nous aider. Mais il n’a aucun contrôle sur ces mercenaires. Des trafiquants et des criminels peuvent être achetés comme des marchandises.
Des millions de Soudanais ont fui. Combien cherchent refuge en Europe?
Plus de dix millions de Soudanais ont trouvé refuge dans les pays voisins. L’Europe est pour l’instant peu touchée, mais cela pourrait changer si la situation s’aggrave. Les rebelles menacent non seulement notre sécurité, mais aussi celle de la région et du monde. Le Soudan partage ses frontières avec de nombreux pays: le conflit pourrait vite s’étendre.
Donald Trump raisonne en des termes transactionnels. Que pouvez-vous lui offrir? Pourquoi le Soudan devrait-il l’intéresser?
Lorsque la situation sera devenue incontrôlable, elle favorisera l'immigration illégale. Des milliers de personnes continueront à fuir le Soudan. Les Etats membres de l’ONU ont l’obligation morale et juridique de protéger les civils. Nous devons unir nos forces contre ces criminels. Le Soudan dispose de ressources précieuses: minerais rares, or, pétrole, uranium. Le Nil traverse notre territoire, nous avons beaucoup d’eau douce et des millions d’hectares de terres fertiles. Les guerres de demain porteront sur la nourriture et l’eau – le Soudan peut faire partie de la solution.
En Suisse, l’attention se porte sur l’Ukraine et Gaza, mais peu sur le Soudan. Pourquoi?
Je sais que la Suisse est mobilisée sur d’autres crises. Cela tient aussi au fait que les médias parlent rarement du Soudan.