A El-Fasher, dans l’ouest du Soudan, la guerre civile a franchi un nouveau seuil d’horreur. Plus de 2000 civils auraient été massacrés après la prise de la ville par les Forces de soutien rapide (FSR), une milice majoritairement composée de combattants arabes issus des Janjawid, déjà responsables du génocide au Darfour il y a 20 ans. El-Fasher constituait le dernier bastion de l’armée soudanaise dans cette région de l’ouest, désormais tombée aux mains des paramilitaires.
Des images satellites analysées par le Laboratoire de recherche humanitaire de l’Université Yale révèlent des amas d’objets de la taille de corps humains et des taches rouges interprétées comme du sang ou de la terre remuée, rapporte le «Telegraph» mardi 28 octobre. Ces clichés, corroborés par des témoignages sur place, montrent des scènes si étendues qu’elles sont visibles depuis l’espace. Le rapport évoque un «nettoyage ethnique systématique et intentionnel» visant les populations non arabes.
Les milices locales et les forces gouvernementales accusent la FSR d’avoir visé délibérément les populations africaines noires, parmi lesquelles des femmes, des enfants et des personnes âgées. Des vidéos montrent des exécutions sommaires, parfois commises par des enfants soldats, ainsi que des civils abattus après avoir été relâchés.
Fuites de masse et violences ciblées
Avant la chute de la ville, plus de 250'000 civils s’étaient réfugiés à El-Fasher, assiégée durant 18 mois. La prise de la cité a provoqué un exode chaotique. Des vidéos montrent des colonnes de déplacés courant sous les insultes racistes et les coups des combattants de la FSR. Dans l’une d’elles, des tirs retentissent alors que des civils fuient, tandis qu’une voix crie: «Tuez les Nuba!», en référence aux tribus africaines du Soudan.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme dit avoir reçu «de nombreux rapports alarmants» faisant état d’exécutions sommaires et d’autres atrocités. D’après plusieurs ONG, les paramilitaires forcent les survivants à se diriger vers l’est, dans des zones qu’ils contrôlent, les empêchant de rejoindre les centres humanitaires situés à l’ouest. Le président de Refugees International, Jeremy Konyndyk, dénonce une stratégie visant à isoler délibérément les civils de l’aide internationale.
Le spectre du génocide du Darfour
Ce drame rappelle les massacres d’El-Geneina en 2023, également imputés à la FSR, où des milliers de civils avaient été exécutés. Pour Cameron Hudson, ancien responsable du Conseil de sécurité nationale américain, la communauté internationale assiste impuissante à une répétition tragique du génocide du Darfour: «Cela se reproduit et nous restons les bras croisés. Honte à eux! Honte à nous!», a-t-il déclaré.
La ministre britannique des Affaires étrangères Yvette Cooper dénonce un «schéma inquiétant de violations systématiques», mêlant tortures, exécutions et violences sexuelles. Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, met en garde contre le risque croissant d’atrocités à grande échelle.
Un pays ravagé par la guerre
Entré dans sa troisième année, le conflit oppose le général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée, à son ancien adjoint Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, chef des FSR. Leur lutte pour le pouvoir a plongé le Soudan dans le chaos, faisant plus de 150'000 morts et 14 millions de déplacés. La famine, l’effondrement du système de santé et la paralysie de l’aide humanitaire ont fait du pays la pire crise humanitaire au monde, selon l’ONU.
Une mission d’enquête onusienne accuse les deux camps d’avoir commis une «série effroyable de violations des droits humains et de crimes internationaux».
Des soutiens étrangers attisent le conflit
Les FSR seraient approvisionnées via le Tchad et la Libye par les Emirats arabes unis, tandis que l’armée soudanaise recevrait le soutien de l’Egypte, de la Russie et de l’Iran. Les Emirats arabes unis démentent tout soutien militaire, affirmant participer, aux côtés des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, aux efforts diplomatiques en faveur d’un cessez-le-feu.
Alors que les appels à un cessez-le-feu se multiplient, la communauté internationale peine à réagir face à un conflit qui prend des allures de génocide. Au Darfour, 20 ans après les premières horreurs, l’histoire semble se répéter dans l’indifférence du monde.