Discret mais redoutablement efficace, Sergeï V. Kiriyenko est devenu, depuis plus de trois ans, un des piliers de la machine politique de Vladimir Poutine en Ukraine. Malgré un titre officiel modeste de «premier adjoint du chef de l’administration présidentielle», le technocrate dispose d’un portefeuille tentaculaire. Il est l'homme de l'ombre qui donne vie aux idées de Poutine, rapporte le «New York Times» dimanche 10 août.
Agé de 63 ans, Sergeï Kiriyenko orchestre les volets politiques de la guerre en Ukraine. C’est lui qui a organisé les référendums mis en scène dans les zones occupées, présentés comme une volonté des habitants de rejoindre la Russie. Il supervise aussi le matage de l'opposition intérieure, l’intégration de la propagande pro-Kremlin dans les écoles, l’élargissement du contrôle d’internet, la nomination de cadres russes dans les administrations locales et le soutien aux artistes favorables à la guerre, tout en marginalisant les voix dissidentes.
Et si Poutine conclut un accord avec Trump lors du sommet prévu en Alaska ce vendredi pour mettre fin à la guerre en Ukraine, il y a fort à parier que Sergeï Kiriyenko aura son rôle à jouer en coulisse. Il lui incombera probablement de présenter tout compromis comme une victoire auprès du peuple russe.
Un vrai caméléon
Des anciens collègues de Sergeï Kiriyenko le décrivent comme l'homme qui a permis à Poutine de fluidifier les rouages de l'autocratie, grâce à sa maitrise implacable du contrôle et de l'influence. Ancien Premier ministre éphémère en 1998, propulsé à ce poste à 35 ans, il doit sa survie politique à sa capacité d’adaptation.
Il s'est maintenu grâce à des alliances changeantes et s'est réinventé à plusieurs reprises. «Dans un jeu sans règle, celui qui les établit gagne», déclarait-il à un journaliste. Il aurait même confié à son ancien directeur de campagne: «Je n'ai plus de convictions maintenant, je suis un soldat de Poutine.»
Après avoir dirigé le géant nucléaire Rosatom, qu’il modernise et utilise comme outil d’influence à l’étranger pendant plus de dix ans, il revient au Kremlin en 2016, recommandé par l’oligarque et proche de Poutine, Iouri Kovaltchouk. Il y devient l’architecte de la «démocratie» taillée sur mesure pour Poutine. Il planifie la sélection des candidats aux postes de gouverneurs, la composition du Parlement et les réélections présidentielles de 2018 et 2024.
Sur le terrain ukrainien
Sergeï Kiriyenko a aussi pris en main le dernier bastion de liberté d'expression en Russie: internet. En 2021, il arrache le contrôle du réseau social le plus populaire en Russie, VK. Il place son fils à sa tête et pousse au lancement d’une messagerie nationale appelée à remplacer WhatsApp. Un projet de loi impose la pré-installation de l'app sur tous les smartphones vendus dans le pays.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, il a troqué le costume pour s'afficher sur le terrain en chemise kaki. Le technocrate russe visite écoles et hôpitaux dans les zones occupées, recrute des fonctionnaires russes pour administrer les territoires et préparant un grand procès public contre des Ukrainiens, censé illustrer la «dénazification» promise par Poutine. Celui-ci n'a jamais eu lieu. En parallèle, il coordonne la répression des opposants: poursuites judiciaires, exil forcé, mise au pas du monde culturel.
Un autre coup de force de Sergeï Kiriyenko a été la mise en place de référendums, dans lesquels Moscou a prétendu que les Ukrainiens sous occupation avaient voté massivement pour rejoindre la Russie. Le technocrate aimait s'en vanter, allant même jusqu'à énumérer les résultats que le Kremlin allait proclamer, précise un homme d'affaire moscovite.
Au-delà des frontières
Sa zone d’influence dépasse désormais l’Ukraine. Il gère aussi les relations du Kremlin avec la Moldavie et les régions séparatistes de Géorgie, récupérant une partie des prérogatives de Dmitri Kozak, affaibli pour avoir critiqué la guerre et proposé un plan de paix. Opportuniste assumé, Sergeï Kiriyenko sait se fondre dans la ligne du pouvoir, au point que certains, comme l’opposant Ilya Yachine, estiment qu’il pourrait tout aussi bien défendre un rapprochement avec l’Occident si le vent tournait.
Technicien de l’ombre, il est l’homme qui exécute avec précision les décisions du Kremlin, huilant la mécanique autoritaire de la Russie et étendant son emprise bien au-delà de Moscou. En suivant Poutine, Sergeï Kiriyenko continue son ascension. Mais arrivera-t-il à maintenir sa place ou se brûlera-t-il simplement les ailes, comme d'autres proches de Poutine avant lui?