Il y a un an, Jaguar sidérait ses fans en annonçant un virage radical. Tout avait commencé avec un clip publicitaire dépourvu de voiture, mais débordant de nuances de couleurs. La séquence avait suscité moqueries et sarcasmes sur les réseaux sociaux. En décembre, la célèbre marque profitait de la très branchée Miami Art Week pour dévoiler son prototype électrique Type 00, teinté exclusivement de rose et de bleu clair.
L’ambition du chef designer de l’époque, Gerry McGovern, était claire: rompre totalement avec le passé. Une rupture en phase avec la nouvelle stratégie du constructeur, décidé à ne produire à l’avenir que des modèles électriques. Jaguar devait devenir une marque de mode, à l’image d’Hermès ou de Gucci, mais avec des voitures électriques plutôt que des sacs à main.
Des ventes en chute libre
Sauf que ce grand redémarrage ne s’est pas déroulé comme l’espéraient les dirigeants du groupe Jaguar Land Rover (JLR), propriété du conglomérat indien Tata. En effet, l’euphorie liée à la présentation du prototype a rapidement laissé place à une véritable désillusion.
La production des modèles existants a été arrêtée. Seul le F-Pace continuera d’être assemblé sur certains marchés jusqu’au début de l’année 2026. Preuve de cet échec: en Europe, les ventes ont plongé de 97,5% en avril par rapport au même mois de l’an dernier.
Dans le même temps, le nouveau modèle électrique se fait toujours attendre. Jaguar ne le présentera qu’en automne 2026, et non à la fin 2025 comme annoncé initialement.
Droits de douane américains et cyber-attaque
A cet échec stratégique est venue s’ajouter une série de coups du sort. Alors que les critiques liées au rebranding commençaient à retomber, les nouveaux droits de douane imposés par le président américain Donald Trump ont durement frappé le constructeur automobile. Pour ne rien arranger à l’affaire, une cyberattaque survenue durant l’été a paralysé les usines de JLR pendant plusieurs semaines. Le gouvernement britannique est alors venu à la rescousse du groupe en débloquant 1,5 milliard de livres sterling (environ 1,6 milliard de francs).
En revanche, du côté des Etats-Unis, le gouvernement semble beaucoup moins enclin à aider Jaguar. En effet, depuis le retour de Trump au pouvoir, le vent a tourné contre l’électromobilité. Le principal marché cible de la nouvelle stratégie de Jaguar menace désormais de se dérober.
En Chine, enfin, les consommateurs ne se sont pas non plus pressés pour acquérir le nouveau modèle. En cause: le prix de départ d’environ 107’000 francs, qui a clairement démotivé bon nombre d’acheteurs, selon la presse.
Les têtes tombent au sommet
Cette crise majeure se ressent jusqu’à sommet du groupe, qui a décidé de renvoyer le CEO de JLR, Adrian Mardell. Le chef du design Gerry McGovern aurait lui aussi été remercié et «escorté hors de son bureau», rapportait au début du mois le magazine spécialisé «Autocar India».
Après un long silence, JLR s’est finalement exprimé vendredi pour démentir ces informations, affirmant qu’il était faux «que nous ayons mis fin à la relation de travail avec Gerry McGovern». Le groupe a refusé de commenter davantage ces «spéculations», sans pour autant confirmer la poursuite de sa collaboration avec le designer.
Si la marque existe encore, c’est uniquement grâce à son intégration dans une structure d’entreprise complexe, écrivait récemment la «Süddeutsche Zeitung». Autrement dit, le succès de Land Rover ces dernières années a permis de maintenir des comptes globalement acceptables chez JLR.
Jaguar, en revanche, était déjà en déclin avant son virage stratégique. Le rebranding controversé n’a pas inversé la tendance: il a même accéléré la chute. Sur son site internet, le constructeur présente son prototype, non plus en rose et bleu clair, mais dans des teintes plus conservatrices, bleu foncé et rouge. Reste une question: Jaguar, marque centenaire, survivra-t-elle jusqu’à son 100e anniversaire, en 2035?