L'incendie meurtrier qui a ravagé un complexe résidentiel et causé la mort de 159 personnes – rendant des milliers d'autres sans-abri – à Hong Kong, a plongé les habitants dans un état de choc profond. Endeuillés, les citoyens de la mégapole chinoise ont rendu hommage aux nombreuses victimes.
Ils ont aussi tenté de comprendre ce qui a pu provoquer le plus grave incendie qu'ait connu la ville ces dernières années, en réclamant notamment une enquête indépendante. Mais selon le «New York Times» ce mercredi 3 décembre, l'ombre de Pékin est rapidement venue noircir cet élan de solidarité, dangereux pour le régime, en utilisant ses outils favoris pour faire taire la voix publique: menaces, intimidations et arrestations.
L'heure de rendre des comptes
La catastrophe qui a réduit les tours hongkongaises en cendres a aussi laissé derrière elle une ville bouleversée. Une fois le brasier éteint et alors que toutes les victimes n'avaient pas encore pu être identifiées, un élan de solidarité s'est mis en place dans les rues. Comme souvent après un tel événement traumatique, les habitants, proches des victimes et ceux qui ont perdu leur toit ont commencé à se rassembler, à prier, à pleurer... et à demander aux responsables de rendre des comptes.
Une enquête interne a été exigée et des actions collectives engagées. Mais dans la ville asiatique, le deuil et la colère populaire sont politiquement dangereux. Menacé par cette montée solidaire, le gouvernement n'a pas tardé à sortir les griffes, bien déterminé à éliminer toute forme de mobilisation citoyenne.
Répression, menaces et arrestations
Dès les premiers jours suivant l'incendie, les autorités ont adopté une stratégie de dissuasion ferme. Un étudiant qui distribuait des tracts appelant à une enquête a été interpellé. Une conférence de presse organisée par des juristes, travailleurs sociaux et spécialistes a été annulée alors qu'un de ses organisateurs était convoqué par la police.
En parallèle, un haut responsable de la sécurité nationale a inspecté les ruines du complexe ravagé par les flammes, trahissant un geste politique, et non de secours. Tandis qu’un journal pro-gouvernemental accusait des sympathisants pro-démocratie de vouloir détourner l’aide, évoquant dangereusement le spectre des manifestations de 2019. Pékin a, de son côté, mis en garde contre toute tentative de «semer le chaos».
Un schéma bien connu de Pékin
Cette répression n'est pas nouvelle dans la région administrative spéciale chinoise. Depuis l’imposition de la Loi sur la sécurité nationale en 2020, Hong Kong suit un protocole de gestion de crise aligné sur celui du Parti communiste chinois: contrôle strict du récit, intervention dans les premières 48 heures suivant la catastrophe (au moment où les émotions sont encore vives), neutralisation immédiate de toute voix dissonante.
Un schéma que Pékin a appliqué lors de nombreuses catastrophes: après le séisme du Sichuan en 2008, qui a coûté la vie à des milliers d'écoliers, des militants et parents d'élèves qui s'interrogeaient sur les raisons de l'effondrement des écoles alors que les bâtiments administratifs étaient intacts, ont été placés sous surveillance, arrêtés ou réduits au silence. Idem pour l'accident de train à grande vitesse de 2022, le naufrage d'un paquebot en 2015 ou encore des incendies mortels durant la pandémie de Covid-19.
A chaque fois, les tentatives des familles, citoyens ou journalistes qui osent se pencher sur la vérité ont été perçues comme des menaces politiques et subi les mêmes pressions, afin d'empêcher que la colère ou la tristesse ne se transforment en mobilisation collective et donc, en menace politique potentielle.
Fracture entre la rue et les hautes sphères
La mise en place de ce dispositif à Hong Kong, notamment par les avertissements multiples des autorités auprès des citoyens qui pleuraient les disparus, remet en lumière le contraste profond qui saisit la ville. D'une part, un gouvernement hongkongais fidèle à Pékin et sa politique autoritaire, d'autre part, le Hong Kong citoyen intimidé, mais qui reste animé par l'esprit de communauté.
Car malgré cet environnement de terreur, les arrestations et la dissolution des groupes civiques, la population a montré que son sens de la solidarité n'a pas disparu. Des milliers de personnes ont fait la file des heures durant afin de déposer des fleurs sur les lieux de la tragédie. Des bénévoles ont organisé des collectes, distribué des vêtements ou levé des fonds. Des experts et des journalistes n'ont pas tardé à analyser les lacunes qui auraient pu mener à un tel désastre, et scruter les réponses des autorités, tout en documentant la souffrance des citoyens.
Une enquête interne est en cours, visant notamment les entrepreneurs qui auraient recouvert les bâtiments de filets d'échafaudage non-conformes, avant de tenter de les dissimuler aux inspecteurs. Si la parole de la société civile est contrôlée et affaiblie à Hong Kong, elle n'a pas encore été réduite au silence.