Un appel vidéo depuis la bande de Gaza. «Maman, reviens à la maison s’il te plaît», implore Delia*, une Palestinienne âgée de 10 ans. «Je le ferai dès que les frontières seront ouvertes», répond Aziza. Sa voix reste douce, rassurante. Mais les mots de sa fille lui brisent le cœur, confie-t-elle à Blick.
La famille est originaire de Deir al-Balah, une ville située au centre de la bande de Gaza. Atteinte d’un cancer, Aziza s’est rendue en Cisjordanie en août 2023 pour y suivre un traitement. Puis, en octobre, la guerre a éclaté. Depuis, elle est bloquée à Naplouse, séparée de sa famille.
Affamés et terrorisés
«Nous avons traversé beaucoup de choses», raconte Delia au téléphone. Elle se souvient de la roquette tombée tout près d’eux, qui lui a brûlé la moitié droite du visage. Ou encore de sa grande sœur, sous-alimentée, donnant naissance à un fils sans pouvoir lui trouver de lait.
Depuis l’accord entre le Hamas et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, les armes se sont tues. Mais l’approvisionnement à Gaza reste insuffisant et catastrophique. La nourriture manque, les prix explosent. Beaucoup survivent dans des ruines ou sous des tentes, affamés et terrorisés.
L'accord n'est qu'une pause
«Israël peut reprendre ses bombardements à tout moment», dit Ibrahim* au téléphone à son père Zaid*, médecin lui aussi bloqué en Cisjordanie. Pour lui, l’accord n’est pas une solution, seulement une trêve. La plupart des Palestiniens partagent cette peur.
Malgré tout, Zaid et Aziza n’aspirent qu’à une chose: retrouver leur famille. «Ce n’est pas une vie ici», confie Zaid. Le médecin loge dans un hôtel et n’en sort que quelques heures par jour, craignant d’être puni par les soldats israéliens à cause de ses origines.
«Le plus difficile, c’est de manger, avoue-t-il. Je m’assieds devant mon assiette et je me sens coupable. Comment manger alors que ma femme et mes enfants ont faim?»
Chaque jour, Zaid consulte les bilans des victimes à Gaza. Selon le ministère palestinien de la santé, 73'731 personnes ont été tuées. Il pense que le chiffre réel est bien plus élevé. «Ils ne comptent pas ceux restés sous les décombres, ni les corps dévorés par les chats et les chiens.»
Un homme brisé
Hafith a perdu son fils pendant la guerre. Il vit à l’étage au-dessus d’Aziza et, comme elle, s’était rendu à Naplouse pour une opération juste avant le conflit.
Il éclate en sanglots en évoquant sa famille. «Mon fils a été tué dans une attaque de roquette», dit-il. «Quand je l’ai appris, j’ai fait une crise cardiaque.» Depuis, il est partiellement paralysé.
Le reste de sa famille survit depuis quatre mois dans une tente au bord de la mer, dans la bande de Gaza. «Ils ont tout perdu», confie Hafith. Il n’attend plus rien de l’avenir. Accord ou pas, il se considère comme un homme brisé.
Pas d'école depuis deux ans
La fille d’Aziza, Delia, tourne la caméra de son téléphone vers son neveu, né en pleine guerre. Le garçon, bouclé, aux yeux bruns ronds, esquisse un sourire. Malgré la malnutrition, il va un peu mieux, dit Aziza. Ce qui l’inquiète le plus, ce sont Delia et son frère.
«Ils passent à côté de leur enfance. Ils n’ont pas pu aller à l’école depuis deux ans», explique-t-elle. Lors de leurs appels, elle remarque leur affaiblissement. «Delia a commencé à se faire pipi dessus la nuit.»
Alors que sa famille luttait pour survivre, Aziza suivait seule sa chimiothérapie. Elle a subi une greffe de moelle osseuse. Mais le cancer est revenu. «J’ai des métastases dans tout le corps», dit-elle.
«Mourir chez mourir»
L’hôpital de Naplouse ne peut plus rien pour elle. Et Aziza n’a nulle part où aller. Les routes entre les villes de Cisjordanie sont sous contrôle militaire israélien. Chaque déplacement impose de franchir plusieurs check-points – un risque qu’elle ne peut courir.
Sa fille Delia ignore tout de sa maladie. Au téléphone, elle raconte combien elle a été soulagée à l’annonce de l’accord. «Je me suis dit: maintenant, ma maman va enfin revenir!»
Mais les frontières restent fermées. Pour combien de temps encore? Nul ne le sait. Aziza tente de tenir. «J’ai renoncé à l’espoir de guérir, dit-elle, mais pas à celui de pouvoir mourir chez moi, entourée des miens.»
*Noms modifiés