Des vaches malades pataugeant dans leurs excréments, enfermées sur des cargos chargés de cocaïne: voilà l’un des stratagèmes privilégiés des cartels latino-américains pour inonder l’Europe de drogue.
Les autorités hésitent à saisir ces navires. Gérer plusieurs milliers de bovins représente un «cauchemar logistique», expliquent des sources du renseignement citées par «The Telegraph» ce mardi 2 décembre. Les conditions à bord découragent toute inspection: odeur nauséabonde, conditions sordides, carcasses d’animaux au sol.
Un analyste du Centre d’analyse et d’opérations maritimes contre les stupéfiants (MAOC-N) confie au quotidien britannique: «Vous ne voudriez pas passer plus d’une minute sur l’un de ces navires, rien que pour l'odeur. Les autorités ne veulent pas de ces bateaux dans leurs ports.» Pendant ce temps, l’équipage planque la cocaïne dans les silos à grains ou d’autres caches. Et les volumes sont massifs: plusieurs tonnes par voyage.
Des milliers de bovins sur des vieux rafiots
Dans les ports de Santos et Belém au Brésil, ou à Carthagène (Colombie), contrôlés par les gangs, jusqu’à 10’000 vaches montent à bord de vieux navires âgés de 50 ans. Les rafiots traversent ensuite les Caraïbes et l’Amérique du Sud pour charger entre 4 et 10 tonnes de cocaïne, une cargaison qui peut atteindre 480 millions de francs.
Officiellement, la destination finale est Beyrouth (Liban) ou Damiette (Egypte), où la réglementation sanitaire est moins stricte. En réalité, la drogue vise les ports d’Anvers et de Rotterdam, portes d'entrée de l’Europe.
Les autorités démunies
En plein Atlantique, les trafiquants jettent par-dessus bord des ballots de drogue équipés de GPS. Des embarcations rapides les récupèrent avant qu’ils ne rejoignent la Belgique ou les Pays-Bas. La méthode fonctionne tellement bien que, selon «The Telegraph», un cargo à bétail suspect quitte l’Amérique latine chaque semaine, et qu’en près de 20 ans, un seul navire de ce type a été intercepté.
Les forces de l’ordre restent démunies. «Les chiens renifleurs sont presque inutiles, ils se détournent de l’odeur nauséabonde et des vaches», explique l’expert du MAOC-N. Sans renseignement précis, convaincre une police nationale d’arraisonner un tel monstre flottant relève de l’exploit.
«Imaginez le coût: débarquer tout le bétail, mobiliser les services de contrôle, inspecter un navire de cette taille et tous les recoins où dissimuler de la drogue. Les gangs sont très professionnels et savent exactement ce qu’ils exploitent.»
La première saisie en eaux européennes
Le 24 janvier 2023, la police espagnole réalise l’exception: elle intercepte un cargo à bétail au large des Canaries, à un peu plus de 100 km des côtes. Le navire, à mi-route entre la Colombie et le Liban, dégage une odeur de putréfaction qui alerte des habitants.
A bord, les agents découvrent 4,5 tonnes de cocaïne, évaluées à 87 millions de francs, cachées dans les silos à fourrage. Les images enregistrées par leurs caméras corporelles montrent des policiers avançant dans une boue d’excréments et d’urine, parmi 1750 vaches entassées dans des conditions extrêmes.
Et pendant que ces cargos fantômes traversent l’Atlantique dans une indifférence presque totale, les cartels continuent d’exploiter la misère des bêtes pour acheminer leurs fortunes. Une stratégie immonde, mais terriblement efficace... jusqu’à preuve du contraire.