Donald Trump vient-il, comme il aime le faire, de bluffer à nouveau pour obliger la Russie et la Chine à s’épuiser dans la course aux armements du XXIe siècle? La thèse est tentante.
Pour Trump, qui reste à bien des égards figé dans les années 80-90, l'écroulement de l’ex-URSS, incapable de soutenir les efforts militaires de l’administration Reagan, demeure un succès géopolitique sans précédent. Puisque Vladimir Poutine refuse de négocier et d’ouvrir l’immense Russie aux investissements américains, pourquoi ne pas l’épuiser avec l’annonce de futurs essais nucléaires? Problème: l'Europe est en plein milieu, et dépourvue. Voire en danger…
Ce que Trump a vraiment dit
Le président des Etats-Unis n’a donné ni calendrier, ni modalités, ni détails. «En raison des programmes d’essais menés par d’autres pays, j’ai demandé au ministère de la Guerre de commencer à tester nos armes nucléaires sur un pied d’égalité», s’est-il contenté de déclarer sur son réseau Truth social, juste avant sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping, ce jeudi 30 octobre en Corée du Sud.
Qui vise-t-il? A priori la Russie, qui vient de se réjouir des vols réussis de son missile à propulsion nucléaire Bourevestnik «à portée illimitée». On peut aussi penser aux trois puissances nucléaires très dépendantes d’essais pour «tester» leurs armes atomiques, faute de l’équipement technologique nécessaire pour valider leur puissance en laboratoires, via des supercalculateurs: l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord. Alors, surenchère ou véritable projet?
Ce que les Européens doivent comprendre
L’Europe compte deux puissances nucléaires: la France et le Royaume-Uni. Mais attention: les deux ne sont pas complètement comparables. A en croire les experts, la dissuasion nucléaire française, qui coûte chaque année six milliards d’euros à la république, est plus fiable car totalement indépendante.
La France dispose d’environ 280 têtes nucléaires, contre 250 du côté britannique. La capacité du gouvernement de Londres à décider seul de l’emploi de l’arme atomique est en revanche moindre: les Britanniques restent dépendants de l’expertise américaine. «Les Etats-Unis possèdent une demi-clé de la dissuasion outre-Manche» juge le général Jérôme Pellistrandi, directeur de la revue Défense Nationale. Et pour les autres pays européens? Rien. Qui dit arme nucléaire dit OTAN, cette alliance atlantique à la tête de laquelle Trump fait ce qu’il veut quand il veut. Point.
Ce que risquent les Européens
Retour à la guerre froide. L’Union européenne et ses partenaires se retrouvent pris en étau entre les Etats-Unis (leur principal allié, garant jusque-là de leur parapluie nucléaire) et la Russie. Ce qui les exposent à tous les risques si, par exemple, dans le cadre de la surenchère atomique en cours, Moscou devait décider de faire exploser une bombe «tactique» (dont les destructions seraient limitées) en Ukraine, comme cela a été évoqué.
Autre risque pour les Européens: celui d’être accusés de fermer les yeux sur les dégâts écologiques inévitables qu’entraîneront de tels essais. N’oublions pas enfin la fameuse question du diplomate Henry Kissinger: «L’Europe, quel numéro de téléphone?»
On pourrait surenchérir: en cas d’escalade nucléaire, qui fait quoi sur le Vieux Continent? N’oublions pas que Vladimir Poutine brandit aujourd’hui les avancées russes en matière de drones sous-marins équipés de charges atomiques (programme Poséidon).
Ce que la France et l’Allemagne envisagent
Le Royaume-Uni n’étant plus membre de l’Union européenne, la seule puissance nucléaire de l’UE est la France, qui consacre à la filière atomique environ 10% du budget de ses armées. La dissuasion française repose sur deux pieds: la force aérienne stratégique et ses 4 sous-marins nucléaires dont un est en permanence à la mer.
En août, Berlin et Paris ont la France et l’Allemagne ont annoncé «entamer au plus haut niveau un dialogue stratégique attendu sur la dissuasion nucléaire». Ce communiqué suivait l’offre d’Emmanuel Macron qui s’était dit en mars «être prêt à entamer un tel dialogue avec plusieurs partenaires, compte tenu de la dégradation de l’environnement sécuritaire international et du constat partagé par les Européens de la nécessité de renforcer leur capacité de défense».
Problème: la France ne partagera jamais la décision nucléaire. La surenchère de Trump pourrait inciter plusieurs pays de l’UE à imaginer en revanche un cofinancement de la dissuasion, pour la rendre encore plus performante.
Ce qui concerne la Suisse
La Confédération a eu, entre 1945 et 1988, un programme nucléaire qui visait à fabriquer des bombes A pour l’armée suisse. En 1957, les plans de l’armée jusqu’alors tenus secrets furent évoqués ouvertement pour la première fois.
L’Etat-Major a admis ses objectifs: «Si on avait des avions du type Mirage, qui est capable de transporter des bombes atomiques et de voler jusqu’à Moscou, un déploiement en territoire ennemi serait envisageable. L’adversaire saurait alors pertinemment qu’il peut être bombardé bien avant avoir traversé le Rhin et que des bombes peuvent également s’abattre sur son propre sol.»
Sous la pression des superpuissances, la Suisse dut signer le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 1969. Le programme d’armement atomique secret fut cependant poursuivi jusqu’en 1988 où il fut définitivement enterré. Et si Trump réveillait les velléités atomiques helvétiques?