«Je ne veux pas mourir», sanglote Alexandra, une jeune Ghanéenne qui apparaît dans une publicité diffusée sur YouTube. Des vidéos déchirantes d'enfants atteints de cancer, filmés en larmes dans leur lit d'hôpital et réclamant de l'aide, ont ému des centaines de milliers d'internautes à travers le monde. Mais derrière ces campagnes de crowdfunding qui promettent d'utiliser les dons pour financer les traitements des enfants malades, se cacherait un vaste système d'escroquerie, révèle une enquête glaçante de la BBC, publiée mardi 16 décembre.
Si les arnaques d'organisations malintentionnées qui se font de l'argent sur le dos d'enfants malades en utilisant le levier de la pitié ne sont pas nouvelles, ces mystérieuses ONG ont mis en place un système bien rodé, à l'échelle internationale. Les enfants qui apparaissent dans ces campagnes sont bel et bien malades, mais ils n'ont jamais vu la couleur de l'argent qu'on leur avait promis, malgré des heures de tournage intenses et de mises en scène douloureuses.
Crânes rasés et menthol
Le principe est toujours le même: des parents désespérés sont approchés dans des hôpitaux ou par des intermédiaires locaux. On leur promet que des vidéos de leur enfant permettront de financer des traitements coûteux. Puis vient l'heure des tournages, généralement mis en scène, parfois de manière extrême. Les enfants sont rasés, on leur installe de fausses perfusions et ils reçoivent des textes imposés à réciter en anglais.
C'est le cas de Khalil, un petit garçon originaire des Philippines atteint d'un cancer, qui a dû faire semblant de fêter son anniversaire à l'hôpital. Sa maman, Aljin, avoue que son fils ne voulait pas participer à la vidéo. On l'a finalement forcé à pleurer, en déposant une coupelle d'oignons hachés à côté de son lit et en plaçant du menthol sous ses yeux. Les tournages, de qualité professionnelle, durent parfois jusqu'à douze heures d'affilée. Des journées éreintantes pour les jeunes malades et les familles qui ne reçoivent en échange qu'une maigre compensation.
L'argent et l'espoir envolés
Alors que la «fondation» assure un échec publicitaire, la campagne associée à la vidéo de Khalil aurait permis de collecter 27'000 dollars. La famille, qui comptait sur ces dons pour financer son traitement, n'a jamais vu la couleur de cet argent. Khalil, lui, est décédé une année plus tard.
Comme lui, au moins 14 autres enfants ont été victimes de cette escroquerie, selon la BBC. Des familles issues de différents pays (Philippines, Colombie ou encore Ukraine) affirment n'avoir reçu que très peu, voire pas d'argent du tout. Pourtant, en ligne, les campagnes menées en leur nom ont récolté des millions de dollars. Les responsables de ces organisations prétendent, eux, que les campagnes n'ont pas fonctionné.
Qui sont ces ONG?
Derrière cette macabre mascarade, un nom revient régulièrement: Chance Letikva. Les campagnes les plus visibles étaient diffusées sous le nom de cette organisation enregistrée aux Etats-Unis et en Israël... mais introuvable aux adresses officielles.
L'enquête du média britannique identifie un protagoniste clé dans l'affaire, un certain Erez Hadari. Le nom de cet Israélien résidant au Canada apparaît dans les documents de plusieurs structures similaires. Des familles ont confirmé sa description, assurant toutefois qu'il s'était présenté sous un autre nom. Il n'a pas répondu aux accusations.
Un casting cynique
Un lanceur d’alerte provenant de ce réseau décrit un processus de sélection glaçant des enfants: «Ils cherchaient des enfants jugés beaux, âgés de trois à neuf ans, et chauves.» Les vidéos auraient ensuite été utilisées par différentes organisations, selon un système comparé à une chaîne de production.
Interrogés sur la disparition des fonds, les responsables évoquent des frais publicitaires, une justification jugée peu crédible par des experts du secteur caritatif, qui estiment ces coûts à 20% maximum des montants récoltés. Certaines campagnes sont toujours actives en ligne, y compris pour des enfants désormais décédés. Les autorités israéliennes rappellent que l’usage de fondations comme couverture d’activités illégales peut entraîner des sanctions et des interdictions d’exercer.
«De l'argent taché de sang»
Pour les familles, le choc est immense. «Quand votre enfant est entre la vie et la mort et que quelqu’un gagne de l’argent sur son dos, c’est de l’argent taché de sang», confie la mère d’une fillette ukrainienne atteinte d’une tumeur cérébrale.
«Si j'avais su combien d'argent nous avions récolté... je ne peux m'empêcher de penser que Khalil serait peut-être encore parmi nous, témoigne Aljin. Je ne comprends pas comment ils ont pu nous faire ça.»