Donald Trump est bien plus cohérent qu’on ne le pense. Son imprévisibilité est souvent calculée. Et ses accents de colère commerciaux sont toujours susceptibles d’être suivis d’accalmies négociées. Ce que la Suisse espère d’ailleurs obtenir après la gifle des droits de douane à 39%. Or ces jours-ci, la tactique Trump vise un continent, l’Asie, et l’adversaire N°1 des Etats-Unis: la Chine de Xi Jinping, ce président que Trump rencontrera le 30 octobre en Corée du Sud. Les délégations commerciales chinoises et américaines, présentes en Malaisie depuis plusieurs jours, ont confirmé ce dimanche 26 octobre qu'un accord est en vue, avant la date butoir du 1er novembre.
La première étape asiatique de Donald Trump, arrivé samedi 25 octobre en Malaisie après une escale au Qatar (où l’émir de ce pays l’a rejoint dans son avion Air Force One, que le gouvernement qatari a promis de remplacer par un Boeing tout neuf), a fourni un exemple de la stratégie de la Maison Blanche.
Nouvel accord de paix
Venu parrainer la signature d’un mémorandum destiné à ramener la paix entre le Cambodge et la Thaïlande, le président des Etats-Unis en a profité pour parapher trois accords commerciaux bilatéraux. Bangkok, Phnom Penh et Kuala Lumpur acceptent l’augmentation des droits de douane pour leurs exportations en échange d’une coopération économique renforcée. Avec, en vue, la promesse d’investissements américains significatifs dans le domaine des nouvelles technologies…
Cette stratégie de contournement de la Chine, qui conçoit l’Asie du Sud-Est comme sa zone naturelle d’influence (ce qui conduit à des altercations navales régulières en mer de Chine avec les Philippines, le Vietnam et la Malaisie), intervient alors que les Etats-Unis ont renforcé leur partenariat militaire avec leurs principaux points d’appui régionaux: l’immense archipel indonésien et les Philippines, leur ancienne colonie.
Le Cambodge, quasi-colonie économique chinoise, se retrouve d’autant plus sous pression qu’un énorme scandale lié aux centres d’escroquerie en ligne situés sur son territoire déstabilise aujourd’hui son gouvernement. La présence du patron du Département du Trésor Scott Bessent aux côtés de Donald Trump est de ce point de vue significative, car des sanctions sont dans les tuyaux.
Un étau antichinois
L’autre étau que Donald Trump entend resserrer sur la Chine de Xi Jinping est justement militaire. La présence de l’armée américaine en Asie sera au centre des discussions dans les deux pays où le Pentagone dispose de bases et de troupes déployées en permanence: le Japon et la Corée du Sud. Le pays du Soleil Levant est pressé par Washington d'augmenter ses dépenses militaires pour passer à 2% de son PIB en 2027-2028, alors que l'article 9 de sa constitution prévoit le renoncement à la guerre.
Au Japon, la donne est d’autant plus favorable à Washington que la nouvelle Première ministre Sanae Takaichi est connue pour ses positions nationalistes et antichinoises. Elle était une proche de son prédécesseur Shinzo Abe, assassiné en 2022, avec lequel Trump entretenait de très bonnes relations. En Corée du Sud, les Etats-Unis sont de facto les protecteurs du cessez-le-feu en vigueur dans la péninsule depuis 1953, modèle qui pourrait inspirer une cessation des combats similaires en Ukraine.
Donald Trump, habilement, a aussi déclaré qu’il était prêt à revoir Kim Jong-un, le leader de la très communiste Corée du Nord, allié de la Russie et de la Chine. Une telle rencontre n’aura sans doute pas lieu, mais Pékin est prévenu: le locataire de la Maison Blanche n’entend pas délaisser cette zone géographique. Avec une question cruciale toutefois: le sort de Taïwan, premier fabricant mondial de microprocesseurs et forteresse assiégée par la Chine populaire.
Dernier élément du puzzle asiatique: la zone Pacifique. La rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping aura lieu en Corée du Sud en marge du sommet de l’APEC, ce forum Asie Pacifique autour des Etats-Unis, dont la Russie est également membre (mais Vladimir Poutine ne sera pas présent, remplacé par son vice-Premier ministre). Lundi 20 octobre, le Premier ministre australien Anthony Albanese était à Washington où il a signé un mémorandum pour la relance de la coopération avec les Etats-Unis en matière de défense, assortie par la signature d’un accord de coopération sur l’extraction et le traitement des minéraux critiques et terres rares.
Brouille avec le Canada
Autre geste de Trump: sa brouille actuelle avec le Canada, qui vient de se voir infliger 10% de tarifs douaniers supplémentaires, rend compliquée toute ouverture d’Ottawa vers Pékin en matière commerciale. S’y ajoute les tensions dans la mer des Caraïbes autour du Venezuela, l’un des principaux fournisseurs de pétrole à la Chine. Ce pays est aussi accusé par les Etats-Unis d'être un corridor d'acheminement du fentanyl, le produit stupéfiant qui fait des ravages dans les villes américaines. Xi Jinping se retrouve sur la défensive.
Trump peut-il réussir son embuscade et contraindre Xi Jinping à un accord commercial favorable aux Etats-Unis? Pas sûr. L'hypothèse avancée est celle d'un moratoire d'un an dans la guerre commerciale, avec des concessions chinoises en matière de terres rares, et une reprise des importations de soja (dont l'Empire du milieu est le premier marché pour les paysans américains). En contrepartie, la menace américaine d'imposer 155% de tarifs douaniers sur les produits chinois importés serait levée.
La Chine n'en continue pas moins d'avancer ses pions en Asie du Sud-Est. La confiance dans la parole du président des Etats-Unis est limitée. Son mélange de charme et de menaces va-t-il retourner ses interlocuteurs en Extrême-Orient?