Le ministre de l'énergie Albert Rösti l'a qualifié de «pièce centrale de l'avenir énergétique de la Suisse». Le «réservoir polyvalent du Gornerli» est un projet de barrage de 85 mètres de haut près du glacier du Gorner à Zermatt. Ce nouveau mur devrait un jour permettre d'alimenter 140'000 ménages en électricité.
Mais Richard Lehner, guide de montagne et hôtelier de Zermatt mais également gardien de la cabane du Mont Rose, a un tout autre avis. «Le fait qu'un tel projet soit envisagé me déçoit énormément», déclare-t-il dans un entretien avec Blick. Mais pourquoi une si grande frustration?
«Quand j'imagine ce lac, j'ai les larmes aux yeux»
Le projet Gornerli est considéré comme l'un des principaux projets d'électricité du pays. L'idée? Un barrage-voûte devrait permettre d'utiliser l'eau du glacier du Gorner pour la production d'électricité, surtout en hiver. Il doit en outre protéger le village de Zermatt des inondations et assurer à long terme l'approvisionnement en eau potable de la vallée de la Matter.
«En ce qui concerne l'énergie hivernale dont nous avons un besoin urgent, les barrages suisses sont jusqu'à nouvel ordre le premier choix, déclare le porte-parole Laurent Savary de Grande Dixence SA, responsable de la construction du barrage. Le projet du Gornerli offre une chance unique d'apporter une contribution décisive avec des moyens techniques relativement modestes et un impact environnemental relativement faible.»
De son côté, Richard Lehner, voit ces «faibles répercussions» d'un tout autre œil. Avec l'appui de plusieurs associations environnementales, il s'oppose aux projets de barrage. Surtout en raison des dimensions énormes du lac qui serait créé. Celui-ci serait long d'environ cinq kilomètres. «Quand je suis à la cabane du Mont Rose et que j'imagine ce lac, j'ai les larmes aux yeux», dit-il.
Ce lac ne changerait pas seulement la face du paysage, mais il submergerait aussi certaines parties du glacier. «Des espaces naturels indispensables! Tout l'équilibre écologique seraient irrémédiablement détruits», déplore-t-il. «Et cela à une époque où nos glaciers sont déjà massivement sous pression», ajoute-t-il.
Un désastre aussi touristique
Mais le guide de montagne va encore plus loin. Il évoque aussi l'importance touristique de la région. Celle-ci est justement très apprécié des skieurs de randonnée. «Il va être très difficile de faire du ski sur un lac», dit-il. La solution de Grande Dixence SA? Un tunnel de contournement de 1,5 kilomètre. «Celui-ci doit assurer la descente à ski pour les randonneurs et les freeriders en direction de Zermatt», explique Laurent Savary.
L'argument peine à convaincre Richard Lehner: «Les gens ne viennent pas à Zermatt pour emprunter un tunnel! Et le village va souffrir du bruit et de la saleté pendant la phase de construction, poursuit-t-il. Nous ne sommes pas dupes: des centaines de milliers de tonnes de matériaux devront être transportées pendant des années dans une région de haute montagne, directement à travers la station de Zermatt. Ce sera un désastre touristique.»
Les responsables promettent en revanche que «seuls les transports spéciaux se feront par la route, tous les autres transports, comme ceux de ciment, se feront par l'infrastructure ferroviaire existante et par un téléphérique temporaire». Le gardien de cabane n'y croit pas un mot. «L'infrastructure ferroviaire atteint déjà sa limite, comment va-t-on encore y faire passer tous ces matériaux?», demande-t-il.
Le lac fournira-t-il autant d'énergie?
Richard Lehner n'accorde pas non plus de crédit à la performance promise du barrage. «On parle de grands chiffres et d'une performance énorme, mais si on y regarde de plus près, on voit que ces promesses ne sont pas tenables.» Il fait remarquer que les apports d'eau sont de plus en plus faibles. «Je doute que le lac puisse être correctement rempli à long terme s'il y a de moins en moins de glaciers», dit-il. Le guide de montagne pense que les chiffres ont été extrapolés artificiellement pour avoir la chance de réaliser un tel projet.
Grande Dixence SA rejette ce reproche. «Les chiffres de production se basent sur des travaux scientifiques et ne sont donc pas extrapolés artificiellement», affirme Laurent Savary. Une fois achevé, le mur fournirait donc une production d'électricité supplémentaire d'environ 120 millions de kilowattheures par an, soit l'équivalent de 140'000 ménages.
La solution? Un mur plus petit
Mais Richard Lehner n'est pas fondamentalement opposé à un barrage au Gornerli. «Avec la fonte du glacier, un lac naturel va se former. Ce potentiel peut tout à fait être utilisé pour la production d'électricité», dit-il. Sa solution? Un petit mur naturel plutôt qu'une énorme construction en béton.
Il est convaincu que c'est la seule façon d'aboutir à un projet susceptible de recueillir une majorité. «La résistance contre cet énorme mur grandit de jour en jour», dit-il. Jeudi, 400 Zermattois se sont donc rendus à une réunion d'information de Grande Dixence SA. La bataille pour le Gornerli est encore loin d'être gagnée.