Une révolution «pour 2025»
Roulerons-nous en voiture autonome dans trois ans déjà?

On pourra bientôt faire la sieste au volant! C'est ce qu'assure à Blick une dirigeante de Global X, un important fonds d'investissement notamment actif dans la voiture autonome. Quid de la Suisse dans tout ça?
La voie vers l’autonomie complète est un chemin de croix. Mais les constructeurs automobiles devraient bientôt y arriver!
Photo: Creative Lab
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Antoine HürlimannResponsable de l'actualité de L'illustré

Et si l’un des plus grands fantasmes du monde était en passe de se concrétiser? Asseyons-nous ensemble quelques secondes dans un moelleux fauteuil de cinéma. Tissu rouge ou noir, choisissez. Sans doute avez-vous, vous aussi, rêvé devant l’Audi ultrafuturiste et intelligente de Will Smith dans «I-Robot». Ou devant la Lexus 2054 de Tom Cruise dans «Minority Report». Croyez-le ou non: aujourd’hui, la réalité rattrape la science-fiction.

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Ces dernières années, on nous l’a répété jusqu’à la crise de foie. L’arrivée sur le marché de la voiture autonome est imminente. Nos vies s’en trouveront bouleversées, notre société avec. Et pourtant… Soyons lucides. Jusqu’ici, rien de très concret n’a traversé la frontière de l’effet d’annonce. Malgré des avancées technologiques phénoménales, notamment rendues visibles par le fantasque patron de Tesla — et bientôt de Twitter — Elon Musk.

La technologie se développe à vitesse grand V

Mais le bouleversement est à nos portes. Pour de vrai, cette fois. «Il y a eu des développements importants récemment», amorce Morgane Delledonne, cheffe de la stratégie d’investissement pour l’Europe de Global X, un fournisseur de fonds négociés en bourse basé à New-York. Son poids? Quarante-trois milliards de dollars d’actifs dans le monde, dont des billes dans le marché regroupé de la voiture autonome et électrique.

La spécialiste, une ancienne du Trésor français et de la banque genevoise Pictet & Cie, explique à Blick que la croissance de ce secteur («actuellement en plein essor») est liée à trois facteurs majeurs: l’innovation, l’acceptation de ce genre de véhicules par les consommateurs et la régulation.

Morgane Delledonne, cheffe de la stratégie d’investissement pour l’Europe de Global X.
Photo: D.R.

«Pour comprendre le développement des véhicules autonomes, prenons une échelle qui va de 1 à 5: nous en sommes aujourd’hui au quatrième palier, enchaîne-t-elle. Le premier étant le plus basique, le dernier étant le Graal. À savoir la voiture qui se conduit toute seule, sans aucune intervention humaine.»

Que manque-t-il encore pour atteindre le dernier niveau? «La plupart des voitures autonomes aujourd’hui en circulation le sont sur des périmètres bien encadrés, bien définis, explique Morgane Delledonne. C’est pourquoi nous sommes au quatrième palier. Les voitures sont véritablement autonomes: il n’y a pas de conducteur, le volant et les pédales ont été enlevés, etc., mais elles n’évoluent pas librement dans toute la circulation.»

La cadre de Global X cite l’exemple des robots-taxis. Ces véhicules révolutionnaires, qui permettent d’effectuer des trajets prédéfinis, sont déjà en service dans certains endroits aux États-Unis et en Chine. «Grâce à leur fonctionnement simple et relativement peu coûteux, ils offrent une opportunité de croissance immédiate pour le secteur des voitures autonomes, assure-t-elle. D’ici 2030, un seul de ces taxis pourrait faire entre 30’000 et 85’000 francs de bénéfice par an.»

Des modèles vendus en 2025?

Cette perspective est vertigineuse et soulève bon nombre de questions. Mais ne nous emballons pas. Du moins, pas tout de suite. Malgré les investissements qui explosent, nous ne pourrons pas nous laisser porter dans le trafic les mains dans les poches et les yeux fermés avant plusieurs années. Car la voie vers l’autonomie complète est un chemin de croix. Tout comme convaincre Madame et Monsieur Tout-le-monde de la fiabilité de ce moyen de transport.

«Environ 275 millions de kilomètres de tests sont nécessaires pour que les véhicules autonomes puissent fournir des prestations et des réflexes semblables à ceux d’un être humain, afin d’être considérés comme aptes à circuler sur la route, embraye Morgane Delledonne. Cependant, on voit le bout du tunnel.» Vraiment? «Si vous m’aviez posé cette question il y a deux ans, je vous aurais répondu que beaucoup de route reste à parcourir. Aujourd’hui, je pense que les premiers véhicules seront commercialisés d’ici à 2025.»

Ce laps de temps paraît court, très court, au vu des expérimentations nécessaires. Sortons la calculette avec l'aide de notre interlocutrice. Pour parcourir ces 275 millions de kilomètres et collecter les données nécessaires, il faudrait que 100 voitures autonomes roulent 24 heures sur 24, 365 jours par an, à une vitesse moyenne de 40 km/h, pendant… plus de 10 ans! «La durée des essais peut être réduite en combinant les essais en conditions réelles avec des simulations de modèles 'dans la boucle', tempère-t-elle. Ces simulations consistent à faire passer les véhicules par des algorithmes qui couvrent tous les scénarios possibles afin de s’assurer que le système peut prendre les bonnes décisions.»

Les constructeurs appuient sur le champignon

Pas question de louper le coche. Depuis peu, certains constructeurs ont sérieusement appuyé sur l’accélérateur. Tesla, bien sûr, avec par exemple son projet de véhicule à partager entre plusieurs utilisateurs. D’autres font aussi crisser leurs pneus: General Motors, Audi ou encore Toyota. «La régulation reste le plus gros défi, analyse Morgane Delledonne. La majorité des gouvernements reconnaît que la législation est en retard sur la courbe de la technologie. Le processus est compliqué. Les autorités doivent mettre en place des schémas de régulation qui n’entravent pas la croissance et l’innovation tout en entérinant un cadre clair et sécurisant.»

La dirigeante de Global X étaie ses propos. Elle cite une recherche de KPMG, qui évalue l’état de préparation de 30 pays. Résultats: la Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas présentent un bon équilibre entre réglementation et innovation. D’autres États, comme Israël, qui affiche le score le plus élevé en matière de technologie et d’innovation, sont en revanche à la traîne en matière de régulation.

Le Conseil fédéral dans les starting-blocks

Quid de la Suisse? En novembre 2021, le Conseil fédéral avait transmis au Parlement une révision de la loi sur la circulation routière touchant un large spectre de domaines. Y compris celui des voitures autonomes. «De tels véhicules peuvent contribuer à améliorer la sécurité routière, à fluidifier le trafic et à réduire les émissions polluantes, notait le gouvernement dans un communiqué. Ils offrent également de nouvelles possibilités pour les milieux économiques et les prestataires de services de transport.» C’est pourquoi nos sept sages veulent progressivement leur ouvrir la voie.

Morgane Delledonne n’a pas de données suffisamment précises pour se prononcer avec certitude sur ce qui pourrait se produire sur le territoire helvétique. Reste que, d’après elle, la Suisse a toujours su s’adapter aux nouvelles technologies et les encadrer avec efficience. «Je ne vois donc pas pourquoi les choses se passeraient différemment que dans les autres pays à la pointe.»

«Le grand rêve futuriste en ville? Je n'y crois pas»

En Suisse, peut-on vraiment imaginer des voitures totalement autonomes dans la circulation en 2025, comme probablement dans certains endroits des États-Unis et de la Chine? Nicolas Leuba, président de la section vaudoise de l’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA-VD), ne se fait pas d’illusion: «Le grand rêve futuriste en ville? Je n’y crois pas pour l’instant».

Selon le spécialiste de l'industrie des quatre roues, la technologie s’est effectivement beaucoup améliorée au fil des ans. Mais nous restons encore relativement loin du moment où il sera possible de faire la sieste au volant en toute sécurité: «Avant 10 ans, je pense qu’on ne verra rien arriver».

Mais, toujours d'après lui, les automobiles autonomes finiront bel et bien par débarquer sur le marché. Dans quelles conditions et pour quelle utilisation? «Dans un premier temps, je vois plutôt un usage pour des convois de camions utilitaires sur des portions d’autoroutes intelligentes, avec des capteurs intégrés dans les glissières pour assurer les relais», prophétise-t-il.

Un objectif «sain»

Pour Nicolas Leuba, cette technologie sert à la poursuite d'un but essentiel: gérer le trafic, en régulant la vitesse et les distances entre les véhicules afin d’éviter les bouchons. «C’est un objectif sain, commente l’ancien municipal (exécutif) libéral-radical de Pully. Mais il y a d’autres leviers à actionner en priorité.»

Par exemple? «Avec le Covid, le consommateur s’est rué sur internet pour passer des commandes, rebondit-il. Conséquence: le trafic des utilitaires a augmenté de plus de 30% pour effectuer des livraisons à domicile. Et cela entraîne son lot de problèmes en milieu urbain.»

Celui qui est aussi président de l’Association routière vaudoise cite notamment le manque de zones de stationnement pour les livreurs. «Les transporteurs sont aujourd’hui obligés de se garer où ils le peuvent à cause des suppressions de places de parc en ville, argumente-t-il. C’est un vrai changement de paradigme, que les autorités n’avaient pas prévu.»

En Suisse, peut-on vraiment imaginer des voitures totalement autonomes dans la circulation en 2025, comme probablement dans certains endroits des États-Unis et de la Chine? Nicolas Leuba, président de la section vaudoise de l’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA-VD), ne se fait pas d’illusion: «Le grand rêve futuriste en ville? Je n’y crois pas pour l’instant».

Selon le spécialiste de l'industrie des quatre roues, la technologie s’est effectivement beaucoup améliorée au fil des ans. Mais nous restons encore relativement loin du moment où il sera possible de faire la sieste au volant en toute sécurité: «Avant 10 ans, je pense qu’on ne verra rien arriver».

Mais, toujours d'après lui, les automobiles autonomes finiront bel et bien par débarquer sur le marché. Dans quelles conditions et pour quelle utilisation? «Dans un premier temps, je vois plutôt un usage pour des convois de camions utilitaires sur des portions d’autoroutes intelligentes, avec des capteurs intégrés dans les glissières pour assurer les relais», prophétise-t-il.

Un objectif «sain»

Pour Nicolas Leuba, cette technologie sert à la poursuite d'un but essentiel: gérer le trafic, en régulant la vitesse et les distances entre les véhicules afin d’éviter les bouchons. «C’est un objectif sain, commente l’ancien municipal (exécutif) libéral-radical de Pully. Mais il y a d’autres leviers à actionner en priorité.»

Par exemple? «Avec le Covid, le consommateur s’est rué sur internet pour passer des commandes, rebondit-il. Conséquence: le trafic des utilitaires a augmenté de plus de 30% pour effectuer des livraisons à domicile. Et cela entraîne son lot de problèmes en milieu urbain.»

Celui qui est aussi président de l’Association routière vaudoise cite notamment le manque de zones de stationnement pour les livreurs. «Les transporteurs sont aujourd’hui obligés de se garer où ils le peuvent à cause des suppressions de places de parc en ville, argumente-t-il. C’est un vrai changement de paradigme, que les autorités n’avaient pas prévu.»

Toujours selon elle, une chose est d’ores et déjà sûre: les premières automobiles du genre seront des biens de niche. «Seul un certain type de personnes pourra se les payer, car les premiers modèles seront chers, prévient-elle. Puis, petit à petit, ces véhicules se démocratiseront. La demande augmentera, les prix baisseront. J’imagine que la confiance des consommateurs se gagnera grâce aux transports publics. Ceux-ci seront très probablement parmi les premiers à sauter le pas.»

L’éthique, toujours l’éthique

Il n’empêche que beaucoup devront d’abord surmonter leur appréhension avant d’embarquer. Prenons par exemple l’avion. L’un des moyens de locomotion parmi les plus sûrs au monde. Tout le monde le sait. Pourtant, certains rechignent à s’envoler à cause du manque de contrôle sur l’appareil. Que dire, alors, des voitures autonomes…

Les angoisses ne s’arrêtent pas là. Les fabricants devront apprendre à leurs véhicules à se comporter dans des situations mettant des personnes en danger. Avec, entre autres, la question fondamentale: devant un choix de Sophie, comment réagira une automobile autonome? Par exemple, si cinq enfants inattentifs se jettent sous les roues de celle-ci, la voiture choisira-t-elle de les éviter quitte à foncer sur une mère avec une poussette sur le trottoir voisin ou poursuivra-t-elle son chemin?

A l'heure actuelle, impossible de répondre. «Les constructeurs avancent dans leur coin, en faisant la course aux brevets, décrit la cadre de Global X. Mais cela ne signifie pas que vous serez au final plus ou moins en sécurité selon votre modèle de voiture autonome. C’est le régulateur qui devra trancher ces points. Et, surtout, apporter une uniformité des règles.»

On se dit rendez-vous dans trois ans?

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