«Je l'assume!»
Eurosceptique convaincu, cet agriculteur UDC reçoit des fonds... de l'UE

Christian Müller, président de l'Union agricole du canton de Schaffhouse et élu UDC, exploite des champs en Allemagne. Il bénéficie pour cela de fonds européens. Une contradiction qui lui attire de nombreuses critiques. Mais l'agriculteur reste droit dans ses bottes.
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Des agriculteurs suisses exploitent des terres acquises à bas prix en Allemagne et importent leurs produits en Suisse sans taxes.
Photo: Keystone
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Sven Altermatt

Le phénomène est connu: des agriculteurs suisses exploitent des terres de l’autre côté de la frontière et perçoivent à ce titre des fonds européens. En 2024, quelque 766’837 euros ont ainsi été versés à quelque d’exploitations, souvent basées dans la région de Schaffhouse, frontalière avec l'Allemagne.

Cette situation est rendue possible par un accord douanier, qui permet à des producteurs suisses de cultiver à moindre coût dans le sud de l’Allemagne, puis d’écouler leur récolte en Suisse aux prix du marché local. Mais, le fait qu’ils touchent en plus des subventions de Bruxelles irrite particulièrement les agriculteurs outre-Rhin

Christian Müller fait partie de ces Suisses qui travaillent des parcelles en Allemagne. Le président de l’Union agricole du canton de Schaffhouse dirige une exploitation familiale à Thayngen. Les Müller sont aussi actifs en politique: Christian siège pour l’Union démocratique du centre (UDC) au Parlement du Canton, tandis que son épouse, Andrea, préside la section cantonale du parti.

D'autres échanges favorables à l'Allemagne

Qualifier ces agriculteurs suisses actifs en Allemagne de simples «profiteurs» est trop réducteur, affirme Christian Müller à Blick. «Les échanges entre les deux pays sont étroits et amicaux dans de nombreux domaines, y compris l’agriculture. Certaines parcelles traversent même la frontière.» Son grand-père cultivait déjà des terres en Allemagne entre les deux guerres.

Christian Müller se dit prêt à répondre aux critiques venues du pays voisin. Que l’accord joue aujourd’hui en faveur des Suisses? «C’est vrai.» Il faut néanmoins adopter une vision d'ensemble, affirme-t-il. Selon lui, dans presque tous les autres domaines, ce sont les Allemands qui bénéficient des échanges.

«Dans certaines communes frontalières, près de 90% des habitants travaillent en Suisse, et environ 80% des recettes fiscales proviennent indirectement d’ici», avance l'élu local. Le commerce allemand profite également massivement du tourisme d’achat suisse, au détriment des commerces helvétiques. «A côté de cela, l’agriculture représente presque des cacahuètes.»

Christian Müller souligne enfin que chaque parcelle exploitée par un agriculteur suisse en Allemagne a d’abord appartenu à un propriétaire local «qui nous l’a vendue ou louée de son plein gré». Les exploitations suisses, assure-t-il, respectent toutes les prescriptions, paient les impôts locaux et sont impliquées dans les coopératives agricoles de la région.

«Nous pratiquons une agriculture traditionnelle»

Pour Christian Müller, le débat actuel renvoie à des enjeux bien plus profonds: «Nous pratiquons encore une agriculture traditionnelle, ce qui est devenu presque impossible dans de nombreuses régions d’Allemagne.» De nombreuses exploitations, explique-t-il, se consacrent désormais surtout au maïs destiné aux centrales de biogaz.

Selon lui, l’Allemagne doit revoir son cadre politique afin que les agriculteurs puissent de nouveau vendre à des prix couvrant leurs frais. «C’est là que l’action politique est urgente», clame Christian Müller.

Soumis aux règles allemandes

Il dit ne pas comprendre pourquoi certains agriculteurs allemands veulent priver les exploitants suisses frontaliers des aides agricoles européennes. «Ces terres se trouvent en Allemagne. Nous les cultivons et nous sommes soumis aux mêmes contrôles que tout le monde.»

Il s’agit, rappelle-t-il, d’un travail rémunéré: «Les fonds servent à financer des prestations définies, pas à être distribués au hasard.» Il souligne qu’aucun soutien supplémentaire n’existe en Suisse pour ce type d’activité, «alors même que le niveau d’aide serait théoriquement plus élevé chez nous».

Les versements européens sont faits en toute transparence. Christian Müller reconnaît d’ailleurs avoir récemment reçu un montant à cinq chiffres. «Je l’assume», dit-il. Mais n'est-il pas en contradiction avec son engagement politique au sein de l’UDC, un parti résolument anti-UE?

Opposé aux Bilatérales III

Ce qui est sûr, c'est qu'il se montre très critique vis-à-vis de Bruxelles sur de nombreux aspects et rejette les nouveaux accords européens, dénonçant une bureaucratie agricole trop centralisée. «Ce fossé entre l’UE et les citoyens est sans doute une partie du problème. Mais je n’y peux rien», ajoute-t-il. 

Dans le même temps, Christian Müller rappelle qu’il bénéficie d’un droit clair à une indemnisation pour les terres qu’il exploite en Allemagne. «Ce sont les autorités allemandes qui, à l’époque, ont décidé d’ouvrir d’elles-mêmes l’accès aux subventions européennes», souligne-t-il.

Les agriculteurs suisses avaient été explicitement invités à participer à la Politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne. Si ces fonds venaient à disparaître, estime-t-il, ce serait comme «un père qui donne chaque jour une barre de chocolat à son enfant et qui lui dit soudain: 'C’est terminé.'»

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