Lorsqu’on a demandé à Karin Keller-Sutter, vendredi, si les nouvelles exigences en matière de fonds propres pourraient pousser UBS à quitter la Suisse, la présidente de la Confédération a répondu froidement: «Qu'UBS reste en Suisse ou quitte la Suisse est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre.» Ce sont des décisions qui, en fin de compte, doivent être prises par la banque.
La réaction de la Paradeplatz ne s’est pas fait attendre: deux heures et demie plus tard, UBS publiait un communiqué en anglais, qualifiant la hausse proposée des exigences en capital de «draconienne». D’un ton défiant, la grande banque annonce vouloir continuer à restituer des milliards de capitaux à ses actionnaires. Et ce, jusqu’à l’entrée en vigueur définitive des règles, au plus tôt en 2027. Le ton du communiqué donne l’impression que Sergio Ermotti l’a lui-même écrit.
Des relations jusqu'ici symbiotiques
Vu de l’étranger, on peut se demander s’il est judicieux pour une banque de chercher une confrontation aussi ouverte avec son propre gouvernement. Mais le fossé entre le Palais fédéral et la Paradeplatz existe bel et bien – et il est plus large que jamais. Le 6 juin marque le point bas, pour l’instant, d’une relation qui, pendant des décennies, était considérée comme symbiotique. Dans la seconde moitié du 20e siècle, les relations entre le Conseil fédéral et les grandes banques étaient marquées par une coopération étroite et informelle. La place financière était alors perçue comme un pilier de l’économie suisse.
La politique se considérait comme une partenaire – et non comme une surveillante – des banques. Avec sa doctrine d’autorégulation, Berne a délégué de vastes pans de la surveillance au secteur lui-même, notamment à l’Association suisse des banquiers. Les interventions de l’Etat sont restées minimes. Le secret bancaire, introduit avant la Seconde Guerre mondiale, a continué à être défendu bec et ongles pendant des décennies, même si l’environnement international avait depuis longtemps changé.
L’intervention de Hans-Rudolf Merz est restée légendaire. En 2008, alors ministre des Finances, il s’était aventuré à prophétiser que l’étranger «se casserait les dents sur le secret bancaire» – moins d’un an avant son abolition. Dans les années 1990, Merz avait été président de la Banque cantonale d’Appenzell Rhodes-Extérieures, plus tard reprise par UBS. Les intérêts des banques ont toujours été surreprésentés en politique. L’un des derniers grands lobbyistes bancaires sous la coupole fédérale fut Ueli Maurer, qui a affaibli la Finma et accordé sa confiance aux dirigeants de Credit Suisse, jusqu’à la fin amère de la banque.
Cette attitude a ouvert la voie à des expansions insensées des grandes banques suisses dans la banque d’investissement américaine. On applaudissait lorsque Marcel Ospel voulait faire d’UBS le numéro un à Wall Street. Ou lorsque Rainer E. Gut, de Credit Suisse, rachetait pour des dizaines de milliards des banques d’investissement américaines qui avaient déjà largement dépassé leur apogée. L’influence et le pouvoir des grandes banques et de leurs banquiers ont conduit à une surestimation chronique de l’importance économique de la place financière, comme l’a un jour constaté l’historien de l’économie Tobias Straumann.
Un laisser-aller qui mène à la catastrophe
Les conséquences de ce laisser-faire ont rattrapé le pays, au plus tard avec l’effondrement d’UBS en 2008, qui a dû être sauvée de la faillite par des dizaines de milliards de francs. Par la suite, il y eut le recours au droit d’urgence concernant les données clients d’UBS. Et en 2023, la reprise de Credit Suisse orchestrée par le Conseil fédéral, avec à la clé 259 milliards de francs de garanties.
Depuis la crise financière de 2008, il est devenu de plus en plus évident à quel point le secteur bancaire dépendait de la politique et de la stabilité du pays. Les banquiers de la Paradeplatz pouvaient jusqu'ici se comporter comme bon leur semblait: les pompiers, les services de sauvetage et le travail de soin avaient été délégués à l’Etat, qui assurait les interventions d’urgence de manière fiable – et gratuite.
Tout cela est terminé. Le capital de confiance est épuisé. La nouvelle réglementation des grandes banques, dont le Conseil fédéral a présenté les grandes lignes vendredi, vise – selon Karin Keller-Sutter – à rendre la place financière plus stable et plus sûre. Cela nécessite, du point de vue du gouvernement, des interventions dans les programmes de bonus, des mesures d’intervention précoce par la FINMA, un régime de responsabilité pour les dirigeants ainsi que des exigences plus strictes en matière de liquidité – mais surtout, davantage de fonds propres. C’est désormais au Parlement de décider si c’est la bonne voie à suivre.
La principale nouveauté prévoit la déduction intégrale de la valeur comptable des filiales étrangères du capital propre de la maison mère. Cela signifie qu’UBS devra désormais couvrir la totalité de la valeur de ses filiales étrangères avec du capital dur. Jusqu’à présent, la banque bénéficiait d’un rabais: seuls 60% de la valeur comptable devaient être capitalisés – dont seulement 45% en capital dur, les 15% restants pouvant être des fonds étrangers (dettes).
Réaction positive de la bourse
Mais à quel point ces nouvelles règles sont-elles vraiment sévères? La Bourse a réagi positivement vendredi aux annonces du gouvernement: le cours de l’action a bondi temporairement de 8%. Cela s’explique d’une part par le fait que les chiffres sont désormais connus et que l’incertitude a disparu.
Il y a donc une clarté sur le pire scénario possible, et les règles pourraient encore être assouplies au cours du processus politique. D’autre part, le marché a sans doute été apaisé par la très longue période de transition que le gouvernement accorde à UBS. La banque dispose ainsi de jusqu’à huit ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, donc au plus tard jusqu’en 2036.
Une période de transition aussi longue permet à la grande banque de réorganiser tranquillement ses activités afin de devoir mobiliser le moins de capital propre possible — elle n’a donc pas à provisionner immédiatement les 26 milliards de dollars évoqués. Elle peut profiter de ce temps pour répartir plus efficacement ses ressources au sein du groupe. Un grand soulagement serait notamment la cession de son activité américaine, qui est de toute façon peu rentable.
Un bénéfice de 11 milliards de dollars
Mais même si elle ne change rien à son modèle d’affaires, le capital demandé peut être constitué rapidement. Les analystes financiers prévoient un bénéfice net annuel d’UBS de plus de 11 milliards de dollars en 2027. Si la banque doit finalement encore constituer entre 10 et 15 milliards de dollars — ce qui est plus réaliste que 26 milliards — elle pourra combler cet écart assez rapidement et sans douleur.
Ces réflexions devraient également être menées au sein de la banque. Mais à l'extérieur, on met en garde, on menace de partir ou d'être repris par des concurrents. Mais Karin Keller-Sutter s'attendait à ce que Sergio Ermotti s'oppose avec véhémence aux nouvelles règles: «Que le CEO de la banque défende ses intérêts est légitime!», a-t-elle déclaré vendredi. Point final.