UBS se plie (plus ou moins) aux exigences renforcées en matière de capital en Suisse. Mais un départ vers les Etats-Unis fait partie des scénarios que la grande banque envisage actuellement. Daniel Zuberbühler a consacré la majeure partie de sa carrière à la surveillance bancaire en Suisse. Il a suivi de près les établissements financiers et leurs dirigeants, y compris UBS.
Daniel Zuberbühler, UBS envisagerait de déménager aux Etats-Unis. Nouveau régulateur, nouvelle chance?
Les Etats-Unis ne sont pas un paradis pour les banques. De nombreuses autorités s'y disputent les compétences, les litiges juridiques sont extrêmement coûteux, les avocats gagnent de l'argent à la sortie... et les procureurs agressifs exigent des amendes de plusieurs milliards. De plus, on risque l'arbitraire politique. Les entreprises américaines souffrent également des interventions de l'administration Trump. Qui voudrait s'y exposer volontairement?
UBS examine quand même l'idée. Que signifierait un départ de la banque vers les Etats-Unis pour la Suisse?
Une délocalisation ne serait pas réjouissante, mais pas non plus une catastrophe. Les activités suisses rentables – la banque de détail, le commerce et la gestion de fortune – resteraient sur notre territoire. Il n'y a pas de risque de pénurie de crédit, surtout pas pour les hypothèques, où la concurrence est vive.
Qu'aurait à perdre la Suisse?
Plusieurs milliers d'emplois seraient supprimés au siège du groupe. Malgré tout, les associations du personnel bancaire estiment que le renforcement des fonds propres de la maison mère en Suisse, exigé par le Conseil fédéral, ne sert pas les intérêts des employés.
C'est-à-dire?
Tant que la maison mère suisse reste – comme c'est le cas actuellement – le maillon le plus faible du groupe UBS, une crise de la banque touchera d'abord les collaborateurs locaux, et plus important encore: les créanciers. A l'inverse, les contribuables profiteront énormément si la Suisse n'est plus responsable des risques de la banque d'investissement. On pourrait laisser cette responsabilité aux autorités américaines en toute tranquillité, et ne plus être exposé à leur chantage pour un potentiel sauvetage, comme c'est le cas pour Credit Suisse.
Vous voyez d'autres avantages à une délocalisation d'UBS?
La Finma pourrait se concentrer sur les activités contrôlées depuis la Suisse: forte capitalisation, surveillance stricte, cloisonnement strict en cas de crise. Une approche à l’opposé de celle adoptée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne lors de l’affaire Credit Suisse.
Que gagnerait UBS elle-même à déménager?
Elle pourrait échapper au retrait de capital prévu par le Conseil fédéral. Mais ce principe internationalement reconnu – pas de double utilisation des fonds propres pour les risques de la mère et des filiales – s'applique également aux Etats-Unis si UBS transfère son actuelle maison mère suisse dans une holding américaine.
Aux Etats-Unis, la Fed pourrait tout de même venir en aide à UBS.
Oui, en cas de crise de liquidités, la banque centrale américaine viendrait en aide. UBS établit son bilan en dollars et a ses plus gros engagements dans cette monnaie au niveau mondial.
Existe-t-il des alternatives à cette délocalisation?
Oui. L'ex-président de la BNS, Philipp Hildebrand, a évoqué une solution: plus de la moitié du capital dépensé pour les filiales d'UBS se trouve aux Etats-Unis, dans la banque d'investissement et dans l'activité de gestion de fortune américaine. Mais ces deux secteurs rapportent peu. Les banques d'investissement des deux grandes banques suisses ont enregistré des pertes nettes pendant des décennies. La gestion de fortune américaine génère de maigres revenus... dont beaucoup vont directement aux courtiers. UBS devrait se demander si ces efforts en valent la peine ou s'il faut réduire ou vendre cette activité.
C'est une décision stratégique.
Exact. Mais au lieu de lutter contre la correction absolument nécessaire d'un Sonderweg suisse raté, UBS devrait enfin se constituer un capital et non pas verser des dividendes excessifs et procéder à des rachats. La maison mère a un trou dans le toit.
Une fusion avec une banque américaine serait également envisagée. Serait-ce une solution?
A peine. L'achat d'une banque américaine augmenterait les exigences en matière de capital en Suisse, car une nouvelle filiale s'y ajouterait. Une fusion serait bien plus complexe que le rachat de Credit Suisse. Et ce n'est qu'en cas d'absorption d'UBS – et non l'inverse – que la déduction de capital suisse changerait. Mais cela signifierait la fin de la «suissitude» de la banque... ce qui contredirait les affirmations d'UBS.
Quel rôle joue la licence bancaire complète américaine qu'UBS cherche à obtenir?
La reprise d'une banque américaine pourrait raccourcir le chemin vers la licence bancaire complète. Celle-ci autorise les opérations de crédit et de dépôt, mais entraîne également des exigences plus élevées en matière de capital et l'obligation de garantir les dépôts aux Etats-Unis.
Qu'est-ce qui pousse UBS à de telles réflexions?
Il est possible qu'elle espère obtenir des revenus plus élevés et se hisser sur le marché américain... sur un pied d'égalité avec les grandes banques américaines.