Transplantée au CHUV à 35 ans, après un infarctus
«Avec le temps, je me suis faite à l'idée de vivre avec le cœur de quelqu'un d'autre»

Une année après la transplantation qui lui a sauvé la vie, Erna Blinova pose un regard ému sur son parcours. Cette jeune maman de 36 ans ose enfin avancer, pas à pas, pour reconquérir l'avenir qui a failli lui être arraché par un infarctus.
Publié: 05:31 heures
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Dernière mise à jour: il y a 14 minutes
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Il y a pile une année, Erna Blinova, alors âgée de 35 ans, recevait un nouveau coeur après un infarctus foudroyant.
Photo: DR
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

En croisant Erna Blinova dans le hall de notre rédaction, personne n’aurait pu croire que cette maman de 36 ans a reçu une greffe de cœur il y a pile une année. L’idée même semble absurde: comment cette jeune femme radieuse, avec sa cascade de cheveux blonds et sa démarche aérienne, a-t-elle pu effleurer la mort de si près, il y a si peu de temps? 

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Elle nous fait le coup à chaque fois: armée de son sourire à toute épreuve, Erna a le don extraordinaire de laisser le positif irradier, prendre le dessus et, irrémédiablement, remporter la victoire. Souvenez-vous. En mars 2024, elle se réveille d’une sieste avec d’importants vertiges et une sensation de froid dans tout le corps

Sauvée de justesse d’un infarctus foudroyant, elle est transportée en ambulance et opérée par les équipes du CHUV, qui lui implantent une assistance cardiaque en attendant la possibilité d’une greffe. A l'été été 2024, un appel fatidique la précipite à nouveau au bloc pour recevoir son nouveau cœur, celui qui bat dans sa poitrine depuis exactement une année. 

Si nous avons retrouvé Erna, c’était évidemment pour parler du premier anniversaire de sa greffe. Et pour discuter de son livre – «Je t’écris mon cœur» – tout juste publié, qui retrace sa bouleversante histoire. Les événements qu’elle y narre lui paraissent à la fois lointains et omniprésents: «Certains jours, je n’y pense pas du tout, partage-t-elle. Et d’autres, les souvenirs me poursuivent avec une clarté folle.» Comment se sent-on, en retrouvant un quotidien presque inchangé, après un tel ouragan? Elle nous raconte. 

«Je suis revenue à moi-même»

Physiquement, Erna va aussi bien qu’elle aurait pu l’espérer. Les rendez-vous médicaux s’espacent, si bien qu’elle se sent un peu «lâchée dans la nature», après une année caractérisée par rythme de contrôles très soutenu. La prise de corticoïdes est terminée, mais les immunosuppresseurs resteront ses alliés pour la vie. 

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Le fait de recevoir le cœur d’une autre personne est quelque chose de très difficile à accepter. Même mon mari ne pouvait comprendre ce que je ressentais, c’était à moi de trouver le chemin
Erna Blinova
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«Je crois que je suis revenue à moi-même, souligne la jeune femme. Juste après la greffe, j’étais aux prises avec de nombreux questionnements, différentes émotions s’enchaînaient sans arrêt. Mais j’ai appris à vivre avec l’idée que j’ai reçu ce cœur. Depuis le retour à la maison, la reprise de ma routine familiale, j’ai parfois l’impression que rien n’a vraiment changé.» 

C’est pourtant d’une épreuve colossale que revient la jeune femme. Durant le premier mois après la transplantation, fragilisée par les puissants médicaments anti-rejet, elle devait vivre recluse dans une pièce protégée, loin de ses deux enfants, Arthur, 8 ans, et Piotr, 5 ans. «On avait trop peur qu’ils me ramènent des virus, se souvient-elle. Je passais donc beaucoup de temps seule avec mes pensées. Et c’était important de travailler le mental à ce moment-là, car le fait de recevoir le cœur d’une autre personne est quelque chose de très difficile à accepter. Même mon mari ne pouvait comprendre ce que je ressentais, c’était à moi de trouver le chemin.» 

Dans son ouvrage, on découvre notamment son dialogue intérieur avec ce nouveau cœur. Il lui a toujours parlé, en quelque sorte, dès les premiers instants de leur cohabitation: «Après l’opération, je sentais ce cœur battre très fort, surtout au moment d’aller me coucher, raconte Erna. C’était comme s’il m’encourageait à avancer et à continuer de regarder devant moi. Puisque lui battait pour moi, je me devais de battre tout aussi fort.» 

«Je veux tourner la page»

Et puisqu'il n’existe meilleur moyen de clore un chapitre que de l’écrire, Erna a saisi la plume, encouragée par son mari, le navigateur français Alain Thébault: «Je ne suis absolument pas écrivain, donc je doutais beaucoup, admet-elle. Je tenais un journal durant tous mes séjours à l’hôpital, mais c’était uniquement pour moi, pour me souvenir de tous les détails de cette période. Ecrire un roman, c’est tout autre chose! J’ai donc reçu l’aide d’un ami journaliste philosophe, qui m’épaulait dans la structure du texte, en conservant mon style.» 

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J’ai tout donné pour écrire ce livre et, sur le plan émotionnel, c’était un peu comme si j’avais tout revécu
Erna Blinova
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Malgré l’immense fierté d’avoir mené ce projet à bien, la jeune femme d’origine russe n’a plus envie de revenir sur le texte, dans lequel ont été déversées toutes ses peurs: «C’était libérateur, mais maintenant, c’est fini. J’ai tout donné pour écrire ce livre et, sur le plan émotionnel, c’était un peu comme si j’avais tout revécu. Aujourd’hui, j’ai besoin d’un nouveau départ, je ne veux pas traîner cette histoire derrière moi, toute ma vie.» 

Au fond, Erna perçoit ce travail cathartique comme une manière de remercier les équipes du CHUV, auxquelles elle a d’ailleurs personnellement apporté des exemplaires. «Les médecins ne se contentent pas de soigner nos symptômes, leurs gestes quotidiens sauvent des vies entières, souligne-t-elle avec émotion. Dans mon cas, leur réussite était vraiment exceptionnelle.» 

«J’ai senti à quel point mes enfants étaient encore petits»

Au moment où je lui parle, Erna s’apprête à passer une semaine à Venise. «Je n’ose pas encore prendre l’avion pour aller très loin, car je dois quand même prendre mes médicaments à des horaires très précis, explique-t-elle. Cela requiert une certaine discipline et toute une organisation, quand on voyage. Je me sens tout de même fragilisée, je dois faire attention à ne pas tomber malade. Mais ça en vaut évidemment la peine!» 

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Dès que je me rends au CHUV pour un contrôle, mes enfants sont collés à moi, terrifiés que je ne rentre pas
Erna Blinova
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Car chaque moment passé en famille lui évoque un cadeau inespéré. Dans les semaines précédant la greffe, Erna affirmait déjà que la seule chose qu’elle voulait, c’était de voir grandir ses enfants. 

«Avant l’infarctus, mes fils avaient sept et quatre ans. Je me disais qu’ils étaient grands, que la période ‘bébé’ était derrière nous et que je pouvais commencer à refaire des projets pour moi. Mais maintenant, je réalise à quel point ils sont encore petits et qu’ils ont vécu quelque chose de très difficile, eux aussi. Dès que je me rends au CHUV pour un contrôle, ils sont collés à moi, terrifiés que je ne rentre pas. J’aimerais être là pour eux au maximum, parce que j’ai cette possibilité.» 

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Pour rattraper le temps perdu, la jeune maman met un point d’honneur à passer le plus de temps possible avec Arthur et Piotr. «C’est de ça que je rêvais, quand j’étais à l’hôpital, sourit-elle. Juste de donner la main à mon enfant.» 

Revivre les moments qui l’ont maintenue en vie

Des projets fous, Erna n’en a pas. Pour elle, le comble du bonheur revient juste à vivre ces moments quotidiens qu’on ne remarque pas assez quand tout va bien. Ces petits instants ordinaires qui ne révèlent leur valeur que lorsqu’ils menacent de disparaître. 

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J’ai perdu de mon insouciance. Quand on a trente ou quarante ans, on ne pense pas qu’on peut mourir demain. Mais cette notion du temps est désormais ancrée dans mes pensées
Erna Blinova
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«J’ai perdu de mon insouciance, remarque la jeune femme. Quand on a trente ou quarante ans, on ne pense pas qu’on peut mourir demain. Mais cette notion du temps est désormais ancrée dans mes pensées. Admettant que je puisse vivre environ vingt ans avec ce cœur, il faudra peut-être attendre une nouvelle greffe, ensuite. J’espère pouvoir accompagner mes enfants jusqu’à l’âge adulte.» 

Le voilà, son rêve: vivre tous les moments qu’elle imaginait pour se donner du courage, depuis sa chambre d’hôpital, le murmure de l’assistance cardiaque en tapis sonore. Des après-midis au soleil avec ses fils, des balades jusqu’à l’école, des gloussements et des conversations dans lesquelles les mots «greffe» et «opération» n’interviennent pas une seule fois. Ils ne sont plus invités à sa table. Ils y ont passé bien assez de temps, déjà. 

«Je veux juste les choses de base, la routine, tout ce qui est banal et ordinaire, avec ma famille», conclut Erna. S’il y a une raison pour laquelle ce courageux cœur continue de battre aussi fort, c’est bien celle-ci. 

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