Diagnostiqués d'un cancer en même temps
«Même dans la maladie, il me regardait toujours de la même manière»

Les destins de Delphine et Pierre, 42 et 45 ans, sont profondément liés. Tellement liés, que chacun d’eux a affronté le cancer en même temps. Aujourd’hui en rémission, le couple raconte cette épreuve vécue main dans la main.
Publié: 25.10.2025 à 10:09 heures
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Dernière mise à jour: 25.10.2025 à 12:00 heures
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Aujourd'hui, Delphine et Pierre sont tous deux en rémission et avancent, optimistes et confiants, aux côtés de leur fille, infiniment soulagée.
Photo: DR
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Leur histoire d’amour est parsemée d’un nombre incroyable de coïncidences. La rencontre, d’abord, orchestrée par un malicieux destin, obstiné à réunir leurs chemins. Pierre tient un bar à vin au cœur de Lausanne, Delphine gère des études cliniques au CHUV. Ils ne se connaissent pas encore, mais s’apprêtent à devenir voisins d’immeuble et sont présentés par un ami commun, qui endosse le rôle de Cupidon, le temps d’une soirée. La flèche fuse, trouve sa cible. «Je pense qu’on a vite compris qu’on allait finir ensemble, raconte Delphine. Je me souviens très bien du regard profond qu’il m’a envoyé, quand je suis entrée dans le bar.» 

Cette prémonition se révèle parfaitement juste. Quatre ans plus tard, en 2015, Delphine et Pierre se disent «oui» pour la vie sous le radieux soleil grec, riant encore de ces débuts à la «The Girl Next Door». Et les heureux parallèles se poursuivent: «Un an après, jour pour jour, nous avons accueilli notre fille, sourit Pierre. Elle partage son anniversaire avec la date de notre mariage, c’est quelque chose de plutôt rare!» 

«J’ai su que quelque chose clochait»

Mais il y a des coïncidences dont on préférerait se passer. En novembre 2024, Delphine remarque une grosseur dans sa poitrine. Or, à ce moment-là, il s’agit du cadet de ses soucis: «À peine de retour au travail suite à une phase dépressive très compliquée, j’apprends que mon entreprise va essuyer un licenciement collectif, se souvient-elle. C’était un immense choc émotionnel, je l’ai très mal vécu. Du coup, quand j’ai remarqué cette masse dans mon sein, j’ai pensé à un kyste et ne suis pas allée consulter tout de suite. En plus, mon contrôle gynécologique, réalisé six mois plus tôt, s’était avéré normal.»

En janvier 2025, forcée de constater que la grosseur est toujours présente, Delphine se décide tout de même à prendre rendez-vous. À partir de ce moment, toutes les dates sont restées gravées dans sa mémoire: «C’était un 10 janvier, je m’en souviens. Je suis allée réaliser des examens, dont une échographie suivie d'une biopsie. Quand la radiologue m’a conseillé de prendre rendez-vous chez mon gynécologue au plus vite, j’ai su que quelque chose clochait.» 

Le 14 janvier, Delphine se retrouve seule face à son médecin, tout emprunté: «Il peinait à articuler la mauvaise nouvelle, alors je lui ai dit 'Allez-y je suis prête'. Je savais. Étant du domaine, j’ai vite compris que j’avais un 'bon' cancer du sein, une tumeur pour laquelle il existe aujourd'hui de nombreuses armes thérapeutiques dont l’immunothérapie. Le médecin a été très surpris de ma réaction plutôt sereine. Et je suis rentrée à la maison à vélo.» 

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«On s’attend automatiquement au pire»

C’est alors que Pierre reçoit sans doute l’appel le plus difficile de sa vie: «Quand on entend le mot 'cancer', on s’attend automatiquement au pire, soupire-t-il. En vingt ans de carrière, je n’avais encore jamais manqué un jour de travail. Mais là, je suis rentré à la maison. Le fait d’être chez nous, avec Delphine, m’a permis de prendre du recul. Elle m’a assuré que tout irait bien.» 

Débutent alors les scanners complémentaires, la longue et insupportable attente des résultats: «Les examens d'imagerie ont révélé que mon cancer n'était pas métastatique, heureusement», précise Delphine. S'ensuivent les premières injections de chimiothérapie, qu'elle supporte plutôt bien, «sans doute aussi grâce aux soins prodigués par une amie guérisseuse, qui m'a énormément aidée à vivre les effets secondaires des traitements.» 

«
Le jour où ton médecin t’a appelé, tu t’es isolé dans une pièce pour répondre. Puis, tu es venu vers moi et tu m’as dit, 'same, same'!»
Delphine, 42 ans
»

Elle doit toutefois interrompre son activité professionnelle et prend la décision de raser ses longs cheveux, avant qu’ils ne chutent. «J’y suis allée avec ma fille et Pierre, on a testé plein de coiffures différentes et on a bien rigolé!». Le quotidien reprend le dessus, quoiqu’ombragé par la montagne à gravir. Pierre se prépare à porter un maximum de charges et de s’occuper de leur fille âgée de 8 ans, afin que son épouse puisse se concentrer sur sa bataille. Aucun d’eux ne s’attend à la prochaine coïncidence, qui les guette comme un fulgurant coup de tonnerre. 

«Ne me dis pas que toi aussi?!»

«Cela faisait plusieurs mois que j’avais remarqué du sang dans mes selles, explique Pierre. Je n’avais pas consulté, je ne voulais pas inquiéter ma femme, qui était fragile durant cette période. J'ai pensé à des hémorroïdes. En toute fin d’année, je suis finalement allé consulter mon généraliste, qui m’a conseillé une coloscopie. On m’a donné rendez-vous le jour où Delphine faisait poser son port-à-cath, un dispositif qui facilite l’administration de la chimiothérapie.» 

Alors qu’elle subissait une intervention chirurgicale, toutes les pensées de Delphine étaient tournées vers Pierre. Et, cette fois encore, elle se souvient de la date: «C’était le 19 février et, à peine sortie de la clinique, j’ai appelé Pierre, qui avait eu sa coloscopie, suivie d'un scanner et de biopsies qui n'étaient pas prévus initialement. Nous avons dû une nouvelle fois faire preuve de patience et attendre ces résultats.»

Plongée dans le souvenir de l'attente insoutenable, elle se tourne vers son mari, le poids de cette épreuve encore perceptible dans le regard: «Le jour où ton médecin t’a appelé, on rentrait d’une balade en famille. Tu t’es isolé dans une pièce pour répondre. Puis, tu es venu vers moi et tu m’as dit, 'same, same'

Du tac-au-tac, Pierre répond, souriant: «Je ne voulais pas alarmer notre fille, qui était présente! Et toi, tu t’es immédiatement exclamée 'C’est pas possible, toi aussi?!'» Delphine rougit: «Je n’ai pas réussi à garder mon calme, je ne pouvais pas le croire. Mais notre fille s’est montrée incroyablement résiliente. Elle s’est souvenue d’un livre pour enfants à propos du cancer que nous avions lu ensemble, a sorti une feuille de papier et a dessiné les cellules 'gentilles' et saines en train d’affronter les cellules 'méchantes' cancéreuses. À côté, elle a écrit 'Papa et Maman gagné'. Elle nous a montré ce dessin, puis est passée à autre chose. Les enfants ont cette faculté miraculeuse.» 

«On craint plus de perdre un être cher que de mourir»

Les examens complémentaires montrent que la tumeur de Pierre avait lentement commencé à se répandre, pour toucher l’un de ses ganglions. «Mais cela restait localisé, précise-t-il. Avant un traitement de cinq semaines de radiothérapie, j’ai également reçu trois mois de chimiothérapie par intraveineuse. Delphine devait en recevoir pendant six mois. Donc, nous avons suivi ces traitements en même temps.» 

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Il me regardait toujours de la même manière, avec la même intensité, même quand je n’avais plus de cheveux, de cils, et de sourcils.
Delphine, 42 ans
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Dans les paroles de chacun, on perçoit l’immense inquiétude pour l’autre, au point de presque oublier sa propre santé: «On craint davantage de perdre un être cher que de partir soi-même, affirme Pierre. On se dit que si quelqu’un doit souffrir, autant que ce soit nous, plutôt que notre partenaire ou nos enfants. Et à postériori, on sait que cela aurait pu être beaucoup plus grave: on aurait pu laisser une orpheline en l’espace de quelques mois. Mais nous étions entre d'excellentes mains médicales et infirmières, nous sommes restés confiants et positifs tout au long des traitements. Nous avons aussi la chance d'être extrêmement bien entourés par nos amis et nos familles; un soutien inestimable.» 

Mortal Kombat et bonbons

Cette période est marquée par le repos, alors que le couple se retrouve à la maison, en arrêt de travail, avec du temps à foison. Quand l’un est épuisé, l’autre prend le relais, s’occupe des tâches ménagères et de leur fille. Ils passent leurs journées ensemble, agrémentées de sport, promenades et parties de jeu vidéo. Delphine raconte: «On est allé s’acheter 'Mortal Kombat' et on y a joué en mangeant des bonbons avant que notre fille rentre de l'école.»

Au niveau de leur amour, rien ne change: «On a su garder nos rôles, alors que l’un de nous serait probablement devenu proche-aidant de l’autre, si nous n’avions pas été malades en même temps», analyse Pierre. 

Delphine souligne en outre que l’attitude de son mari n’a jamais changé: «Il me regardait toujours de la même manière, avec la même intensité, même quand je n’avais plus de cheveux, de cils, et de sourcils.» Leur union était suffisamment robuste pour supporter cette épreuve, comme un pont en béton armé qui les lie constamment. Il suffit de le traverser pour retrouver l’autre et, en un instant, tout comprendre. 

«On a appris notre rémission en même temps!»

Les bonnes nouvelles affluent, dès la fin de l’été 2025. Delphine subit une mastectomie suivie d’une reconstruction et entame le parcours de la rémission. Pierre, de son côté, reçoit les mots que tout patient rêve d’entendre de la part de son médecin: «Je ne vois plus rien, la tumeur a disparu!». Dernière coïncidence en date, et peut-être la plus heureuse de toutes: «On a appris notre rémission le même jour, le 27 août, se réjouit Delphine. Nos traitements se sont terminés en même temps, un hasard de plus!» 

Aujourd’hui, Delphine et Pierre souhaitent parler de leur histoire, afin d’aider d’autres personnes touchées par le cancer à se sentir moins seules, à préserver la lueur salvatrice de l’espoir. Et à encourager tout le monde à consulter au plus vite, dès l’apparition de quelconques symptômes. Les contrôles médicaux et certains traitements restent encore fréquents, pour chacun d’entre eux, entravant encore quelque peu la vision du futur. Mais le couple vit avec optimisme et confiance, aux côtés de leur fille, infiniment soulagée. 

Peut-on s’aimer au point de partager même la maladie? Comme la science n’a pas encore de réponse à cette question, nous n’avons d’autre choix que d’accuser le hasard. Mais ne dit-on pas que le hasard est le plus grand des romanciers? 

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