«Nous ne pourrons jamais rembourser»
Ce couple de Neuchâtelois est pris au piège du surendettement

Alors que le Conseil fédéral veut donner une nouvelle chance aux personnes en situation de surendettement, nous avons rencontré un couple de Neuchâtelois qui doit près de 200'000 francs. Une famille qui survit avec le minimum vital et ne voit pas le bout du tunnel.
Publié: 15:00 heures
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Dernière mise à jour: 15:07 heures
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Les époux n'ont que l'amour pour tenir face à leur montagne de dettes respectives.
Photo: Julie de Tribolet
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Antoine Hürlimann
L'Illustré

C’est une petite phrase, pareille à un mantra, qu’ils répètent souvent. «Au moins, on s’aime.» Assis côte à côte dans le salon de leur appartement sans faste d’une commune lovée contre Neuchâtel, Susana et Xavier N’daka* débordent de tendresse l’un envers l’autre. Il faut voir leurs regards s’illuminer lorsqu’ils évoquent leurs deux enfants en bas âge! «Les plus belles choses jamais arrivées dans ma vie», glisse la solaire maman de 31 ans. «Mes raisons de vivre et de me battre», souffle avec douceur le papa de 37 ans. Ce dernier confie avoir trouvé son salut en la chair de sa chair.

Surendetté depuis des années, tout comme sa compagne, il avait creusé son désespoir au point de téléphoner à l’Office des poursuites pour menacer de s’immoler par le feu. La raison de sa détresse abyssale ce jour-là: des mois à assumer de coûteuses réparations sur la voiture familiale indispensable pour se rendre chaque jour au travail, malgré les saisies le serrant à la gorge.

Honte et préjugés

Comme dans la chanson de Jacques Brel, les époux N’daka n’ont que l’amour pour tenir face à leur montagne de dettes respective. Environ 110'000 francs pour Monsieur, qui exerce en tant que logisticien dans une entreprise publique de La Chaux-de-Fonds, et plus de 90'000 francs pour Madame, visual merchandiser (metteuse en scène d’espace de vente) dans une enseigne de prêt-à-porter mondialement connue. Alors que le Conseil national se penchera à la session d'hiver sur la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et faillites, tous deux acceptent de témoigner.

Ils consentent à mettre un visage sur le surendettement en Suisse, bravant la honte et les préjugés entourant l’engrenage qui plonge les meilleures volontés dans un tunnel sans issue. Avec un bémol de dernière minute révélateur: «Finalement, je préfère que nous ne donnions pas nos vrais noms et ne pas me montrer totalement, lance Susana. Je suis via mon emploi au contact de clients, et je ne veux pas être accusée en raison de ma situation si, une fois, il manque des sous dans la caisse. Quand les gens découvrent notre réalité, ils nous catégorisent très vite...»

«
En réalité, nous ne pourrons jamais rembourser nos dettes
Susana N’daka*
»

L’entrée de leur appartement ressemble à celle de n’importe quelle famille qui court dans tous les sens. Au-dessus des manteaux et des pantoufles, des piles de papiers remplissent un placard resté ouvert. Factures et poursuites, tout est méticuleusement classé. «Cela nous permet de voir plus clair dans ce qui est payé et ce qui ne l’est pas encore, commente Xavier. Depuis la naissance de nos enfants, nous sommes tant bien que mal à jour. L’arrivée de notre aîné a été notre déclic: qu’allions-nous laisser? On essaie de s’en sortir. Le problème, c’est que nous sommes dans une impasse. Nous avons des petits salaires, donc on ne peut nous ponctionner que quelques centaines de francs par mois. A ce rythme, il nous faudrait des décennies pour rembourser ce que l’on doit.»

Susana le corrige: «En réalité, nous ne pourrons jamais rembourser nos dettes. Car il y a les intérêts et, surtout, les impôts qui ne sont toujours pas comptés dans le minimum vital. La somme que l’on doit à l’Etat ne cesse d’augmenter. Malgré notre travail à tous les deux et le fait qu’on ne nous laisse que le minimum pour survivre. Nous sommes pris au piège.»

Compte d’apothicaire pour finir le mois

«Survivre», le mot prononcé par la trentenaire n’est pas prononcé à la légère. Le minimum vital est le montant dont une personne doit pouvoir disposer pour couvrir ses besoins élémentaires – nourriture, habillement... – et ceux de sa famille. Il se monte à 1200 francs par mois pour une personne seule, 1350 francs pour une personne seule avec enfants et 1700 francs pour un couple avec un ou des enfants. Pour les têtes blondes, il est de 400 ou 600 francs selon l’âge.

A cela, il faut encore ajouter des frais incompressibles: loyer modeste, chauffage, frais de garde et scolaires ou encore assurances maladie obligatoires. Au total, les N’daka disposent de 7305 francs par mois tout compris. «Le 5 de chaque mois, une fois que nous avons payé tous nos frais fixes et les premières courses, il nous reste, à nous deux, 200 francs pour nous débrouiller jusqu’au prochain salaire, calcule la mère de famille. Cela signifie que nous comptons chaque centime. Nous faisons nos achats dans différents supermarchés, car certains produits sont moins chers à Denner, d’autres à la Migros, d’autres à la Coop... Nous sommes toujours à l’affût des actions et des bons.»

Les Neuchâtelois font tous les efforts du monde pour sortir la tête de l'eau.
Photo: Julie de Tribolet

Les loisirs en sont forcément impactés. «Nos sorties ne se passent pas au restaurant, mais dans la nature, puisque c’est gratuit, lâche Xavier. Notre grand fils de 3 ans adore les animaux et aller au zoo. Mais cela n’est pas toujours possible selon le prix du billet... Heureusement, il est à un âge où un ballon de football et un cerf-volant lui suffisent.» Il sourit: «Ces temps, notre petit nous réclame constamment son parrain. C’est sûrement parce qu’il lui a offert un dinosaure en chocolat la dernière fois.»

Son épouse soupire: «Cela a aussi une incidence sur notre accès aux soins: on évite le plus possible le médecin et quand on y va, ce n’est jamais simple. J’ai eu une fois une rage de dents. J’ai dû attendre d’obtenir plusieurs devis avant qu’on ne m’autorise à aller me faire traiter. Puis j’ai dû avancer l’argent que je n’avais pas. Tant pis pour la douleur et mon budget.»

Une spirale sans fin

Vous pensez que si les deux Neuchâtelois en sont arrivés là, c’est qu’ils sont simplement de mauvais payeurs et que, dans le fond, ils l’ont bien mérité? Leur histoire est beaucoup plus complexe. Dès ses 18 ans, Susana se retrouve avec des primes d’assurance maladie impayées qu’elle ne peut pas rattraper. Apprentie décoratrice, elle gagne 300 francs par mois pendant sa première année de formation. «Un proche a mis sa voiture à mon nom. Mais il n’a pas payé les factures.» Désargentée, perdue, dépassée et découragée, elle prend régulièrement le bus sans ticket pour aller au travail faute d’alternative et accumule les amendes. Son CFC en poche, elle entame sa vie active avec un vertigineux trou de... 60'000 francs.

Xavier, lui, a été marié une première fois. La vie est paisible, celui qui a des racines gabonaises et françaises gagne confortablement sa croûte. Le ciel lui tombe sur la tête. Son ex-femme perd coup sur coup deux enfants in utero. Le couple ne résiste pas à ces terribles épreuves. «J’étais au fond du trou, carrément dépressif, et j’ai emprunté 20'000 francs pour acheter une nouvelle voiture, raconte-t-il. Ce qui ne devait pas arriver arriva: j’ai perdu mon emploi dans la foulée.»

«
Les procédures d’assainissement proposées par le Conseil fédéral nous redonnent espoir
Susana N’daka*
»

La restructuration est le mot magique. Au chômage pendant un an, il touche 30% de revenus en moins du jour au lendemain. Impossible de faire face aux mensualités de son crédit. Malgré tout, le prêt est augmenté – aujourd’hui, il s’élève à plus de 36'000 francs. A cela s’ajoutent une ardoise de cartes de crédit d’un total d’environ 20'000 francs, quelque 5000 francs d’arriérés de taxe d’exemption du service militaire et des dettes fiscales de plus de 50'000 francs.

Pour eux, la solution à leur malheur ne peut être que politique. «Les procédures d’assainissement proposées par le Conseil fédéral nous redonnent espoir, assure Susana. Si Berne les accepte, nous pourrons à nouveau envisager de vivre normalement. Je rêve de ne pas avoir l’impression de travailler pour rien, de profiter d’une vie sociale comme les autres, de pouvoir partir en vacances, de payer des impôts... Au-delà d’un simple confort matériel, ce que nous désirons de tout notre cœur, c’est retrouver une place ordinaire dans la vie des autres: regarder nos enfants sans avoir honte des dettes qui nous collent à la peau, accepter une invitation sans devoir anticiper la moindre dépense...»

Son mari acquiesce et s’autorise à rêver: «Si je gagnais à la loterie, j’irais devant l’Office des poursuites et je réglerais les dettes de tout le monde! Je vous promets que quand vous avez connu pareille situation, vous n’y replongerez pas si on vous offre une deuxième chance. C’est en tout cas notre souhait le plus cher. Nous sommes prêts à faire tous les efforts et tous les sacrifices qu’il faudra.»

*Noms connus de la rédaction

Un article de «L'illustré» n°39

Cet article a été publié initialement dans le n°39 de «L'illustré», paru en kiosque le 25 septembre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°39 de «L'illustré», paru en kiosque le 25 septembre 2025.

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