En un mois, les hôpitaux, les EMS et les médecins ont enregistré plus de 40 fois des problèmes d'approvisionnement en médicaments. Les responsables du système interrégional de déclaration des erreurs Cirrnet de la Fondation Sécurité des patients Suisse avaient lancé un appel au mois de mars pour signaler les problèmes de pénurie et les ruptures de stock de médicaments.
L'évaluation des déclarations montre que les médicaments manquants ont mis les patients en danger dans près d'un tiers des cas. Des thérapies ont dû être interrompues et des traitements alternatifs ont dû être définis. «Les médicaments de substitution ont entraîné des risques accrus pour les patients», explique Britta Gerloff, porte-parole de la Fondation Sécurité des patients Suisse. Par ailleurs, les ruptures de stock ont entraîné une augmentation des dépenses et des coûts. Parmi les autres effets observés: un stress accru et un sentiment d’insécurité tant chez le personnel médical que chez les patients.
Pas de solution rapide
Les messages recompilés indiquent par exemple que des médicaments ne sont plus disponibles sous forme de comprimés. Or, passer aux gouttes constitue un «grand défi» pour le personnel des soins à domicile, car il faut adapter les ordonnances médicales pour chaque patient et organiser l'approvisionnement liquide. Dans d'autres cas, le personnel soignant signale des retards de livraisons. Les médicaments commandés ne seraient arrivés qu'après plusieurs jours.
«Les difficultés d'approvisionnement sont dues à de nombreux facteurs et ne peuvent pas être résolues à court terme», explique Britta Gerloff. Ce problème, qui perdure depuis plusieurs années, mobilise actuellement deux groupes de travail de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), chargés de réfléchir à des mesures permettant de garantir la disponibilité des médicaments essentiels. Mais comme certaines propositions sont liées à des adaptations de la loi, leur mise en œuvre prendra des années. D’autres mesures, comme la distribution de quantités partielles de médicaments ou le remboursement des importations, ne permettent de résoudre qu’une partie limitée du problème.
Pour l'OFSP, les pénuries de médicaments s’expliquent notamment par la petite taille du marché suisse, associée à des conditions strictes, comme l’obligation de couvrir de grandes régions de vente. Cette situation pousse les fabricants à se tourner vers des pays qui ont des salaires plus bas, ce qui fragilise les chaînes d’approvisionnement, a analysé une représentante de l’OFSP devant un public de spécialistes. Pour remédier à ces lacunes, l’OFSP propose plusieurs pistes: simplifier les procédures d’autorisation pour les médicaments rares, instaurer des incitations pour les fabricants, et stabiliser les prix. Mais aussi une mesure plus radicale: la production de médicaments par la Confédération elle-même, en cas de pénurie grave.
Des centaines de médicaments en pénurie
L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays, chargé de la gestion des stocks de médicaments, recense quelques dizaines de médicaments manquants dans sa liste régulièrement mise à jour. Cette liste se limite toutefois aux produits indispensables à la survie des patients.
Mais une autre liste dresse un tableau bien plus alarmant. Depuis bientôt dix ans, Enea Martinelli, pharmacien-chef des hôpitaux de Frutigen Meiringen Interlaken, recense chaque semaine les médicaments en rupture de stock. Il collecte ses données directement auprès des fabricants et des grossistes. Une liste qui contient parfois jusqu'à... 700 médicaments manquants!
Ce décalage considérable par rapport aux chiffres officiels de la Confédération s’explique par une différence de critères: Enea Martinelli inclut également les médicaments dont la pénurie, sans être immédiatement vitale, représente néanmoins une menace pour la qualité de vie et la santé des patients. C’est notamment le cas pour les traitements de la maladie de Parkinson, de l’épilepsie ou des troubles psychiques.
Une initiative pour changer la donne
«On fait tout pour que personne ne soit mis en danger, mais ce n’est pas si simple», constate le pharmacien en chef. Selon lui, il n'est pas contradictoire qu'un pays riche comme la Suisse doive faire face à des pénuries de médicaments. La capacité financière d'un pays serait peu déterminante pour le stock des médicaments.
Le faible potentiel de vente entraîne une offre limitée, explique Enea Martinelli. «En plus de cela, nous assistons impuissants au rachat d’entreprises suisses par des investisseurs étrangers, qui les vident ensuite de leur substance», déplore-t-il. Résultat: en cas de crise, l’approvisionnement n’est plus assuré, et des médicaments essentiels, comme les ampoules ou les solutions injectables vitales, peuvent venir à manquer.
Enea Martinelli fait également partie du comité d'initiative d'un référendum déposé en octobre dernier. Le texte demande la «sécurité de l'approvisionnement médical». Selon les initiants, la population a droit au meilleur traitement possible. Or, la pénurie aiguë et croissante de médicaments rend cet objectif difficilement atteignable. L’initiative vise donc à transférer les compétences des cantons à la Confédération, à renforcer la place économique suisse et à établir des chaînes d’approvisionnement fiables à l’international.
Jugeant l'initiative «trop peu efficace», le Conseil fédéral a élaboré un contre-projet direct. Il propose par exemple un suivi centralisé de la situation de l’approvisionnement par la Confédération, ou encore que l’Etat produise lui-même – ou ordonne de faire produire – des médicaments essentiels.