Notre épargne en actions suisses et nos 2ème et 3ème piliers vont-ils subir des pertes boursières, suite au choc des 39% de droits de douane imposés par Donald Trump? Jusqu’à mardi, les investisseurs étaient restés de marbre face aux événements.
Mais ce mercredi 6 août, Novartis a dévissé de 3,4% sur la séance, et Roche de 2,7%. En cause: les craintes suscitées par l’issue de la réunion de la dernière chance à Washington entre les conseillers fédéraux Karin Keller-Sutter, Guy Parmelin et Marco Rubio, le secrétaire d’Etat américain.
-7% depuis le 2 avril
L’annonce des 39% de taxes, qui date du 1er août, avait entraîné une perte initiale de 3% du Swiss Market Index (SMI), l’indice des plus grandes valeurs de la cote. Depuis le 4 août, l’indice avait légèrement rebondi, avant de rebaisser de 1% ce 6 août face aux incertitudes de la renégociation. Depuis le 2 avril dernier, et le premier choc des annonces douanières, l’indice des fleurons suisses a perdu 7%, n’ayant récupéré que la moitié de sa chute initiale de 15%.
Les géants pharmaceutiques comptent parmi les titres les plus exposés de la cote, tout comme Nestlé, le groupe de luxe Richemont ou le chocolatier Lindt & Sprüngli.
«Nous avons 30% de cash»
Réagissant à la perte de 3% de Novartis mercredi, le financier zurichois Stefan Kremeth, co-fondateur et associé d’Incrementum AG, raconte: «J’ai commencé à vendre l’action à un prix un peu plus élevé, il y a quelques jours. Jusqu’à hier encore, l'action résistait bien, mais je me disais qu'on ne savait pas ce qui se passait. Il valait donc mieux avoir une position plus petite. Après, on peut toujours regarder si l’on souhaite racheter».
Cet ancien chef de la salle des marchés de la banque Sal. Oppeheim à Zurich a plus de 30 ans d’expérience sur les marchés. «C’est comme au casino. Si vous mettez tous les chips sur la table, c’est le croupier qui est le chef. Je n’aime pas cela. A l'heure actuelle, nous avons beaucoup de cash pour les comptes privés de nos clients, plus de 30% de cash».
Menacées de droits de douane de 250% par Donald Trump, les pharmas sont mises au défi, par Washington, et par ricochet par la Berne fédérale, de baisser leurs prix sur le marché américain, faute de quoi les derniers espoirs de négociation réussie s’envoleront. Novartis, qui compte parmi ses actionnaires principaux UBS (5,4% du capital) et BlackRock (5%), perd 5% sur 6 mois. Roche, qui appartient à hauteur de 64,971% à la famille Hoffmann (le reste est coté en Bourse), a perdu 13% sur 6 mois.
Le secteur pharma représente 60% des exportations suisses vers les Etats-Unis. La Maison Blanche a exigé de 17 groupes pharmaceutiques du monde entier revoir à la baisse les prix de leurs médicaments sur le marché américain dans les deux mois à venir.
Joaillerie et café exposés
De son côté, le groupe Richemont, propriétaire notamment des marques Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, ou IWC, perd 26% à la bourse sur six mois et reste dans le rouge ces derniers jours. Pour ces marques, la clientèle aisée d'outre-Atlantique est l'une des plus importantes. La multinationale basée à Genève réalise près d'un tiers de ses ventes en Amérique.
Quant à Nestlé, l’action perd 8% sur six mois, et 21% depuis les annonces du 2 avril. Le géant de l’agroalimentaire basé à Vevey (VD) est très actif sur le marché américain. «Le groupe produit sur place au moins 90% de ce qu’il vend aux USA. Mais par contre, le café est produit en Suisse, et il est donc concerné par les droits de 39%».
Le connaisseur des marchés note par ailleurs que le Brésil, où le tiers du café américain est produit, sera taxé à 50%. «Dès lors, les Américains devraient commencer à boire du thé!». Nestlé compte parmi ses gros actionnaires UBS (5,6% du capital) et BlackRock (5%). Sa division «boissons en poudre et liquides», qui comprend les cafés (Nescafé, Nespresso, ainsi que les produits sous licence Starbucks), représente 27% des ventes du groupe.
Lindt: ralentissement en vue?
Du côté d’UBS, le géant bancaire suisse voit le cours de son action résister un peu mieux que les exportateurs de biens, car il n’est pas directement concerné par les droits de douane, qui touchent les importations de marchandises et non les services. Toutefois, ses clients sont concernés, comme l’a exprimé récemment le CEO, Sergio Ermotti: «Notre problème en tant que banque est que nos clients auront des problèmes à plus long terme. Mais nous sommes bien préparés.»
Stefan Kremeth note que le marché sera difficile aussi pour des valeurs comme Lindt & Sprungli. L’action du chocolatier de Kilchberg (ZH) perd 3,3% depuis cinq jours, mais reste richement valorisée. «Lindt a augmenté ses prix et avait une faible croissance déjà au moment de la dernière annonce de tarifs douaniers, mais ses actions restent valorisées en bourse comme celles d’un titre à forte croissance. Il y aura donc une correction suite à des baisses de marges ou de ventes. Je serais vendeur».
Clariant, Sika, K+N: bons plans?
Selon l’investisseur zurichois, le contraire est vrai pour le groupe chimique bâlois Clariant. «Dans un contexte très difficile, Clariant a augmenté ses marges et son chiffre d'affaires, ceci dans un secteur en déclin. Cela veut dire qu'ils ont réussi à augmenter leurs parts de marché. Là je serais acheteur.» Une opportunité si l'on sait que le groupe a fortement décliné en Bourse, perdant 23% sur six mois.
De même, Stefan Kremeth voit du potentiel dans Kuehne+Nagel et dans Sika, des groupes injustement maltraités par les investisseurs à la Bourse suisse. Sika, le groupe basé à Baar (ZG), actif dans la chimie de construction, «a l'avantage de produire localement l'essentiel de ce qu'il vend aux Etats-Unis». Quant à Kuehne+Nagel, le géant suisse de la logistique et du transport international de marchandises, cela pourrait être son moment, selon Stefan Kremeth. «Il devrait profiter des nouvelles conditions douanières, car l'entreprise s'occupe précisément des contrats de marchandises qu'il faudra refaire aux taux différents. C’est donc potentiellement une bonne affaire.»