Le savoir des Celtes en Romandie
Joëlle Chautems: «Le druidisme est une voie de paix et de poésie»

Une des rares druidesses de Suisse, Joëlle Chautems transmet le savoir pacifique des Celtes, souvent oublié, à travers des ateliers et des livres. Le dernier présente 56 lieux à haute énergie de Romandie, dont 40 nouveaux. Une démarche précieuse en ces temps troublés...
Publié: 16:52 heures
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Droguiste-herboriste de métier, géobiologue depuis 2005, Joëlle Chautems est l'une des rares druidesses de Suisse.
Photo: GABRIEL MONNET
Marc David
Marc David
L'Illustré

Ce matin-là, il fait déjà chaud et lourd dans la campagne neuchâteloise. Joëlle Chautems s’arrête, respectueuse. Elle observe le grand menhir qui se dresse à quelques dizaines de mètres, au milieu d’un champ vallonné aux foins coupés. «Je vais l’approcher en douceur», glisse-t-elle. A ses yeux, droguiste-herboriste de métier, instituée «druidesse d’Helvétie» un jour de juillet 2022 dans un bosquet sacré de Bretagne, le monument est un témoin du temps. Il traverse les époques comme un ancêtre préservé, un lointain parent un brin miraculeux. Parmi 56 «hauts lieux d’énergie de Suisse romande» de toutes sortes, il fait partie du livre qu’elle publie aujourd’hui, riche d’une vingtaine d’années de pratique du druidisme. En invitant à s’y ressourcer. 

Pourquoi ce menhir en couverture de votre livre?
C’est un lieu de connexion, un endroit où l’énergie de la compassion, de l’amour et du rassemblement se fait ressentir avec une intensité rare. Regardez comme il est beau et où il se situe, la configuration du terrain. On dirait qu’il est placé sur l’échine d’une bête. Il se trouve sur un lieu de force, comme beaucoup de sites sacrés très anciens. On retrouve ainsi des églises dans des endroits improbables, où on n’aurait pas eu idée d’installer un monument. Ici, cela se sent clairement. 

Qu’est-ce que c’est, un édifice sacré?
Il recouvre un sens plus profond que la vie quotidienne. L’espace profane concerne la vie de tous les jours. Avec la dimension sacrée, on ajoute une dimension spirituelle supplémentaire, plus vaste. Nos ancêtres considéraient que la Lune, le Soleil, certaines montagnes étaient déifiées. Ils les honoraient à un moment précis de l’année. Dans le druidisme, on ne fait pas que visiter un lieu: on le salue, on l’écoute, on entre en dialogue.

Oui, mais c’est l’homme qui a décidé de ces lieux sacrés, non?
Celui qui voit le sacré dans le lieu, c’est l’humain, oui. L’animal, lui, a une relation au monde extérieur complètement différente de nous. Par contre, on voit que les animaux aiment se tenir dans ce genre de lieux. Les végétaux y poussent mieux aussi. 

Par exemple?
On y trouve des espèces plus rares, certaines sortes d’orchidées. Quelque chose de spécial se passe dans ces endroits, une meilleure vitalité. Après, on peut bien sûr se demander si tout ne serait pas sacré dans l’absolu. Je pense que tout est relié à toute chose.

Comment repérez-vous ces lieux?
En me promenant dans la forêt, je sens les textures particulières. Cela dit, je crois qu’il arrive à tout le monde d’arriver dans un endroit et de se dire: «Oh, je pique-niquerais bien là.» Cette dimension m’habite depuis longtemps, je prends le temps de m’arrêter, d’étudier. Je m’intéresse à l’archéologie, je possède beaucoup de cartes de toute la Suisse. Je mène ainsi un travail de documentation, même s’il y a un mélange d’heureux hasards et de balades en forêt...

Quelle sorte de petite fille étiez-vous?
J’étais une médiatrice, j’essayais de défendre les plus faibles. Comme je suis hypersensible depuis toute petite, je ressens fort les autres, j’essaie toujours de prévenir les événements avant qu’ils arrivent. J’étais souvent en retrait, plutôt timide, mais très observatrice. J’avais tendance à me battre contre le harcèlement et j’étais toujours amie avec ceux qui n’avaient pas d’amis. Je crois que les personnes très sensibles développent très tôt une posture d’observation silencieuse. C’est une force discrète qu’on ne voit pas tout de suite.

Dans ses ateliers, Joëlle Chautems ressent les participants «comme des bouteilles d'eau gazeuse qu'on aurait secouées».
Photo: GABRIEL MONNET

On ne vous embêtait pas?
Non, parce que j’étais un peu insaisissable.

Quel métier vouliez-vous faire?
Volcanologue. A cause du couple de scientifiques Krafft, mort en 1991 dans un nuage pyroclastique. J’ai toujours été fan d’eux. Les volcans, pour moi, c’est la puissance de la Terre, les forces brutes du monde, un jaillissement qui peut tout transformer d’un coup. Quand je suis près des volcans, je me sens super vivante, pleine d’énergie. A 18 ans, pour mon premier voyage avec mon copain d’alors, nous sommes allés à la Réunion. Un volcan venait d’entrer en éruption, on l’a découvert dans les gros titres en arrivant à l’aéroport. Alors on s’est approchés tout près, trop près, on a pris des risques. Les volcanologues nous faisaient de grands signes. On sentait le bruit, la chaleur, c’était fou.

Cela a-t-il eu une influence sur vos activités d’après?
Peut-être. Je pense que, depuis, je ressens autrement la puissance de la Terre, plus subtilement.

«
On refuse ce qui est de l’ordre de l’instinct, de la croyance. On perd de la magie à force de tout vouloir comprendre.
Joëlle Chautems, druidesse
»

Comment procédaient les Celtes, que vous étudiez si fréquemment?
Ils étaient très sensibles aux lieux. Ils en avaient besoin pour leurs rites, qui étaient nombreux tout au long de l’année. Ils étaient connectés à la nature par leurs travaux de chasse, de cueillette, d’élevage. Pour rythmer leur vie, ils avaient des calendriers associés à la Lune, au Soleil. Ils savaient observer la roue du temps, qui donnait un mouvement et une direction à leurs existences.

Pourquoi a-t-on oublié tout cela?
A cause du côté rationnel, scientifique. On refuse ce qui est de l’ordre de l’instinct, de la croyance. On perd de la magie à force de tout vouloir comprendre. Cela dit, mes grands-parents vivaient encore beaucoup ainsi. J’ai hérité d’eux un petit calepin. Ils y notaient les gelées, les premières neiges, les activités au jardin, le moment où tel légume arrivait à maturité. C’était une forme de rite, sans que ce soit forcément sacré. Ils s’assuraient d’une force à laquelle ils croyaient, pour les accompagner au courant de l’année. Je le fais aussi. Je note quand les hirondelles viennent, quelles fleurs poussent. Dans un monde qui va vite, j’essaie de garder vivant ce lien ancien, humble et lumineux, entre l’humain, la Terre et le mystère.

En quoi une druidesse est-elle différente d’une sorcière?
(Elle rit.) C’est un petit peu différent. La sorcière se rapproche de la guérisseuse, avec une connotation souvent péjorative parce qu’il y a une vision négative de ces actes de guérison. Beaucoup de femmes ont été condamnées pour sorcellerie alors qu’elles étaient des guérisseuses. Les druidesses, c’est une étude plus complexe, avec plusieurs sortes de druidisme. L’une d’elles cherche à s’adresser à la nature sous forme de poésie; c’est une façon de s’exprimer pour embellir ou pour activer des forces à travers le verbe. J’aime cette approche mais, comme je suis droguiste à la base, j’ai plutôt le côté herboriste, qui demande de connaître les plantes.

A quoi cela nous sert-il aujourd’hui?
Cela ramène de la beauté dans le lien à la nature. Une vision le cœur ouvert de ce qui nous entoure, une recherche profonde du lien avec toute chose. Quand on aime profondément quelque chose, on a envie de le respecter, d’en prendre soin. C’est un lien simple, dans le beau sens du terme. Une capacité que nos ancêtres avaient dans l’observation, l’écoute. Avec une volonté de préserver, sans imposer.

Comment faites-vous avec la violence du monde?
J’ai malheureusement peu de pouvoir sur la violence des hommes, mais j’essaie d’avoir un maximum de présence dans ce qui est à ma disposition. Je prends soin de ce qui m’entoure, ma famille, mes amis. Je ne cherche pas à m’occuper de ce qui me dépasse.

Vous n’écoutez pas les nouvelles?
Si, mais j’essaie de ne pas me laisser toucher au point que cela m’atteindrait moi-même. Je trouve qu’il n’y a rien de plus triste qu’une humanité qui perd espoir. Le travail du druide est de mettre les choses en paix, à ma mesure.

Allez-vous tous les jours dans la forêt?
Oui. Je la vois comme une amie que je vais rencontrer. Donc, avant d’entrer, je lui dis bonjour. C’est une histoire de respect. Pas besoin de chichi ou de mille et une démonstrations, mais je la salue profondément et tous les êtres qui l’habitent.

Comment sentez-vous les gens qui vous accompagnent dans les ateliers que vous animez?
Ils sont comme des bouteilles d’eau gazeuse qu’on aurait secouées. Ils sont agités par la vie de tous les jours, leur organisation, leur charge mentale. Nous sommes tellement stimulés par plein de choses, les écrans, nos vies, notre travail, tout ce que nous devons réussir, les exigences du monde. Cela n’a rien de naturel.

Joëlle Chautems avec l'une de ses trois chèvres, avec qui elle se promène chaque jour.
Photo: GABRIEL MONNET

Comment faire?
Commencer par se calmer. Le druidisme l’enseigne. Il commence toujours par la nuit. La journée s’entame le soir d’avant, au moment du coucher du soleil, quand on pense aux projets du lendemain.

Est-ce pareil pour les saisons?
Oui, l’année druidique commence le 1er novembre, avec l’hiver. C’est là qu’on observe sa terre, qu’on tire des leçons du cycle passé. Les journées sont plus courtes, les gens rentrent dans leur maison, ralentissent. Alors que maintenant, autour du solstice d’été, j’arrosais hier encore mon jardin à 22 heures, sans fatigue... Nos ancêtres vivaient avec le cycle des saisons. Les respecter fait partie de notre nature profonde et instinctive. Or notre société, qui donne des horaires fixes à l’année, ne tient plus compte de la nature même de chaque individu. Le druidisme m’a appris à écouter mes cycles et à les respecter.

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Pour quelle raison est-ce que je me souviens de tout depuis que je suis toute petite? Je n’en sais rien.
Joëlle Chautems, druidesse
»

Avez-vous un don?
Tout cela est naturel. Pour quelle raison est-ce que je me souviens de tout depuis que je suis toute petite? Je n’en sais rien. Je ne peux pas dire que cela soit venu de mes parents, car j’ai grandi dans une famille tout à fait ordinaire à ce niveau-là, athée, nature, sportive, qui faisait beaucoup de montagne. C’est moi qui suis ainsi. Depuis toute petite, je cause avec les animaux, c’est normal pour moi de m’adresser à une plante.

Jamais de moqueries?
A l’adolescence, c’est normal. Adulte, j'ai appris à accepter. Les gens peuvent critiquer quelqu’un qui a une volonté de paix. Cela reste une noble valeur.

Les lieux malfaisants existent-ils?
Pas malfaisants mais, sur les sites funéraires par exemple, il se peut que les gens ne se sentent pas bien. Moi, ils ne me posent pas de problèmes, ma relation avec la mort s’est pacifiée. Avec le temps, je l’ai beaucoup travaillée, j’en avais très peur petite.

Que transmettez-vous à vos deux filles?
Rien de volontaire, mais elles baignent dans tout cela. Hier à midi, alors que nous mangions au restaurant selon un petit rituel à nous, la discussion a tourné autour de savoir si nous avions un destin, et si on pouvait le changer. Peut-être tous les parents n’ont-ils pas ce genre de discussion avec leurs enfants... Nous discutons de la mort, du sens des choses. Je remarque aussi que, si je leur explique un aspect, j’essaie de trouver le sens profond. Je ne peux pas leur dire non sans expliquer pourquoi. Le druidisme est une voie de paix et de poésie, qui nous apprend à vivre avec les saisons du monde... et celles de notre âme.

Un article de «L'illustré» n°27

Cet article a été publié initialement dans le n°27 de «L'illustré», paru en kiosque le 3 juillet 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°27 de «L'illustré», paru en kiosque le 3 juillet 2025.

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