C’est un père désemparé que nous rencontrons à Genève. Privé de Jade et Ambre, ses deux filles de 3 et 14 ans, Alain Ahang est prêt à aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, s’il le faut, pour récupérer le droit de les garder en Suisse. En juillet dernier, son ex-compagne les a emmenées vivre avec elle en France, contre son gré. Depuis, il ne les a plus revues.
Le 8 août, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) a indiqué que la sortie des enfants du territoire suisse n’est pas autorisée en cas d’autorité parentale conjointe. Puis, l’Office fédéral de justice de Berne a confirmé que le lieu de résidence habituel des enfants était la Suisse. Le père a engagé une demande de retour auprès de la justice française.
Préjugés de genre et de race
Depuis, c’est le parcours du combattant. Les démarches légales s’avèrent longues et complexes, tant en Suisse qu’en France. «Je ne vis que pour cela, témoigne-t-il. Je ne mange plus, je ne dors plus, et quand je suis au travail, je peine à me concentrer.»
Actif dans le secteur des assurances à Genève, Alain Ahang travaille depuis 10 ans en Suisse. Il nous raconte comment, malgré ce jugement suisse favorable, les autorités françaises lui ont refusé le droit d’aller récupérer ses filles en France, où elles vivent désormais avec leur mère depuis cet été, sans son consentement. «Elles sont pourtant toujours inscrites à l’école en Suisse.»
Au cœur du problème, selon lui: des préjugés de genre et de race, lui est un Noir français, et son ex-compagne est blanche. «J’ai l’impression que la perception générale est contre moi. On se dit: 'si la mère est partie avec les enfants, c’est que Monsieur a fait quelque chose de mal'. J’ai ressenti cette suspicion de la part de la police, et même des amis. La mère, on se dit qu’elle ne peut faire de mal, même quand elle enlève les enfants.»
Autorités françaises réfractaires
La procédure traine dans l’Hexagone, alors que chaque jour compte. «En France, les autorités sont réfractaires, même si j’ai l’autorité parentale conjointe et que la résidence des filles est en Suisse. Jusqu’au 18 août, ils me disaient que les filles étaient sans doute en vacances. Sauf que la rentrée scolaire était le 18 août, et qu’elles ne sont jamais rentrées en Suisse.» Dès le 20 août, il a déposé plainte en France et en Suisse pour soustraction d’enfant.
Tout avait commencé ces derniers mois avec sa séparation d’avec leur mère. Elle était venue le rejoindre à Genève en 2022, dans le cadre du regroupement familial. Française d’origine italienne, elle disait ne pas être heureuse en Suisse, où elle ne trouvait pas de travail. Les autorités lui ont refusé le permis B. «A partir de janvier 2025, elle a émis le souhait de retourner en France. A l’arrivée des vacances, on a abordé le sujet de la séparation.»
La mère serait le pilier des enfants
C’est là que tout s’est gâté, car sa compagne s’est montrée déterminée à emmener en France leurs filles, dont elle s’estime le parent de référence. Dans une lettre qu’elle a adressée le 25 août à la justice, elle souligne: «J’ai toujours été le pilier de mes enfants: c’est moi qui ai assuré au quotidien leur éducation, leur scolarité, leurs soins et leur bien-être, et cela depuis leur naissance.»
Au père, qui refuse d’être séparé des filles, elle répond qu’elle n’a pas de travail à Genève et ne pourrait assumer le coût d’un logement, ce qui, en cas de séparation sur sol suisse, allait l’empêcher d’avoir la garde. Comme lui aussi voulait la garde des filles, il consulte un avocat. «Une démarche qu’elle prend comme une trahison», dit-il.
Puis, l’été 2025, la mère part en vacances en France avec les filles, tandis que le père doit travailler. Son avocat, Me Dushyantha Piyadigamage, le met alors en garde: «Si j’étais vous, M. Ahang, je ferais émettre une interdiction de sortie du territoire.» Mais il renonce à le faire. «J’ai simplement dit à mon ex que je n’étais pas serein qu’elle fasse un aller-retour avec les filles.»
Séparation actée sur sol français
Il sait alors qu’elle souhaite que la séparation soit actée sur France, afin d’avoir des chances d’avoir la garde exclusive des enfants, mais il décide de lui faire confiance et les laisse partir. Mal lui en a pris. «Partis le 29 juin, ils devraient rentrer le 6 juillet. Ils ne sont pas rentrés», dit-il.
Angoissé, il propose alors de venir à Paris récupérer les filles. Il espère raisonner son ex-compagne. «Arrivé à Paris, j’ai dit à mon ex que j’allais récupérer les enfants, et qu’elle a le choix de rentrer ou non en Suisse.»
Mais cela ne se passe pas comme ça. «J’ai pu récupérer mes filles pour passer des vacances en France, tandis que mon ex a décliné l’invitation de venir dans ma famille, et a demandé une garde alternée même durant les vacances. J’ai refusé.» Le 15 juillet, la mère lui annonce qu’elle ne reviendra plus en Suisse, qu’elle va se redomicilier chez ses parents et reprendre une activité d’enseignante. La séparation est actée sur sol français.
Le policier laisse partir la mère
Alain Ahang réclame alors la garde des filles. Il a confiance que la justice tranchera en sa faveur. «Pour ma fille de 3 ans, sa résidence habituelle est incontestablement Genève. Celle qui a 14 ans est arrivée à Genève à 11 ans, mais c’est là qu’est son école, sa maison, ses activités.» A la fin des vacances en France, le père retourne en Suisse avec les filles, avec l’intention, cette fois, d’émettre l’interdiction de sortie du territoire. Trop tard.
A son atterrissage à Genève, le dimanche 27 juillet, son ex-compagne l’attend sur place. «On rentrait de Nice le jour convenu. Elle était là, au niveau des arrivées, et m’a arraché la petite des bras. Elle est venue au poste de police avec moi. Le policier s’est trouvé face à deux parents, et leurs enfants. Moi qui venais déposer une interdiction de sortie du territoire, et mon ex-compagne.» Celle-ci montre alors le document qui va tout décider: une lettre du service des migrations du 30 mai 2024 prouvant qu’elle n’avait pas encore de permis de séjour (permis B) en Suisse, ni ses filles, et qu’elles ont l’interdiction d’être en Suisse.
«Je montre alors mon permis C et j’explique que nous avons formellement contesté cette décision en novembre 2024, car les autorités suisses ne peuvent pas interdire le séjour aux filles si le père, donc moi, a le permis C.» L’erreur du service des migrations, suppose le père, serait liée au fait que le couple n’était pas marié.
Mais sur le moment, rien n’y fait: le policier opte pour laisser la mère, femme blonde de type européen, repartir en France avec les filles, malgré que le père ait montré son permis C et prouvé son lien de parenté. Depuis, Alain Ahang se sent injustement privé de ses enfants.
Plainte finalement déposée en France
Selon l’article 43 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), au terme du droit au regroupement familial pour les étrangers établis (permis C), les enfants de moins de 18 ans ont le droit au permis de séjour afin de rejoindre leur parent s’il est titulaire d’un permis C.
Aujourd’hui, Alain Ahang réclame la garde exclusive de ses enfants, avec un large droit de visite réservé à la mère. «A partir du moment où tout le monde constate que la résidence habituelle est chez moi, qu’est-ce qui m’empêche de prendre mes enfants en France et de les ramener?»
C’est là que les choses se compliquent: la justice française lui a refusé à trois reprises son dépôt de plainte pour enlèvement. «La commissaire d’un poste m’a dit: ‘on ne va pas aller contraindre Madame pour vous faire plaisir’. J’expliquais que mes enfants n’étaient pas sur leur lieu de domicile et devaient rentrer avec moi. La police française m’a répondu que si j’allais récupérer mes enfants, je me ferais arrêter. Ceci, poursuit-il, car ils n’arrivaient pas à qualifier l’infraction.»
Il appelle alors le numéro incontournable en France pour ce genre de cas: les 116'000 Enfants disparus, de la Fondation Droit d’Enfance. «Quand j’ai raconté mon cas, ils m’ont dit: 'Vous n’êtes pas le premier dont la police refuse de recevoir la plainte'». Cet organisme a fini par mettre un tampon sur la plainte, et la 4ème fois, la police française l’a réceptionnée. Puis, le service lui a écrit: «Il vous faut rendre la décision suisse exécutoire en France.»
La mère réclame la garde et une pension
C’est ce à quoi s’attelle Alain Ahang depuis. Il attend que les permis de séjour soient accordés à ses filles, puis que la justice française reconnaisse les décisions suisses.
Aujourd’hui, il note avec amertume que la mère jouit de facto de la garde des enfants sans décision de justice, parce qu’elle est allée les chercher et a profité d’une zone grise liée aux migrations. Si trop de temps passe, craint-il, il y aura moins de chances de retour, car la mère pourra plaider que la résidence habituelle est désormais en France.
En effet, son ex-compagne a entre-temps saisi le juge aux affaires familiales en France, et demandé que le lieu de résidence soit fixé en France, arguant que ses filles font l’objet d’une interdiction de séjour en Suisse. Côté suisse, le temps de la justice est lent pour les régulariser, regrette Alain Ahang.
En outre, la mère réclame au père une contribution d’entretien de 500 euros par mois pour les deux filles. Si elle récupérait la garde, il aurait un droit de visite des filles à Vauréal, à 600 km de Genève, les fins de semaines paires du calendrier, ainsi que la moitié des vacances, ceci à sa charge. Ces requêtes sont actuellement pendantes aux décisions de la justice suisse, notamment le permis des enfants, ce qui changerait la donne.
Rapts à 75% commis par les mères
Les rapts parentaux sont, les trois quarts du temps, commis par des mères. En Suisse, un enfant est enlevé tous les deux ou trois jours, selon l’Office fédéral de la justice, qui a comptabilisé 154 cas d’enlèvements parentaux internationaux en 2024, à 75% commis par des mères.
Les statistiques sont similaires en France, où les mères sont auteures dans 70% à 75% des cas, selon l’Union nationale des associations familiales. D’après le Service Social International (SSI) – Section France, les mères sont impliquées dans 75 à 80% des cas transfrontaliers traités par leurs services.
«Des signalements ne sont publiés que quand ce sont les pères, dénonce Alain Ahang. Avez-vous déjà vu une affiche enlèvement où c’est une femme? Très rarement. Quand c’est un père? Toujours.»
Si les préjugés peuvent jouer contre le père, la mère n’a pu invoquer aucune violence de son côté, plaide-t-il. Il ne fume pas, ne boit pas non plus. Malgré cela, dit-il, il subit les préjugés. «La décision qu’a prise le policier à l’aéroport, si ce n’est pas basé sur un préjugé, qu’est-ce que c’est?»
L’ainée veut rester en France
Depuis le 15 août 2025, «la mère ne laisse pas les filles me parler», déplore Alain Ahang. Selon l’ex-compagne, c’est la fille aînée qui ne le souhaite pas. «Jade ne se sent pas écoutée dans son choix», explique-t-elle dans la lettre que nous avons pu consulter. L’ainée de 14 ans aurait clairement souhaité vivre avec sa mère.
D’après cette dernière, Jade aurait confié à plusieurs reprises son mal-être à vivre en Suisse. Dans la même lettre, la mère se dit surprise que le père souhaite la garde des enfants alors que, même avant leur installation en Suisse, c’est elle qui assumait pleinement «toutes les responsabilités parentales».
Reste que, comme le rappelle l’avocat du père, ce dernier a des droits et que son consentement est nécessaire. «La volonté des enfants est prise en compte par le juge en Suisse, mais elle n’est pas automatiquement déterminante, explique Me Dushyantha Le juge tranche en faveur de l’intérêt supérieur de l’enfant.»
«Cela fait deux mois que je n’ai aucune nouvelle, dit le père, qui ne peut retenir ses larmes. De quel droit me coupe-t-on le contact avec mes enfants? Même un criminel en prison a droit à des visites.»