«C'est extrêmement problématique»
Des parents surveillent leurs enfants à leur insu avec des traceurs

De plus en plus d’enfants sont surveillés via montres et traceurs, y compris à l’école. Cette surveillance constante, souvent à leur insu, limite leur autonomie et responsabilité. Experts et associations plaident pour la confiance plutôt que le contrôle permanent.
Publié: 05:33 heures
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Dernière mise à jour: 05:42 heures
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Certains enfants sont surveillés de très près par différents moyens techniques.
Photo: Getty Images
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Andreas Schmid

L'histoire semble abracadabrante, mais reflète une nouvelle réalité qui fleurit dans les jardins d'enfants et à l'école. Une petite de cinq ans appelle sa mère avec sa smartwatch après une dispute à l'école. Seule une intervention de la maîtresse a pu empêcher la mère, inquiète, de débarquer en classe pour protéger sa fille. 

Thomas Minder, président de l'Association des directeurs d'écoles de Suisse alémanique, raconte cette anecdote. Il remarque avec inquiétude que de plus en plus d'enfants sont surveillés par des montres et des traceurs. «C'est extrêmement problématique», juge-t-il. Les enfants ont conscience que quelqu'un se tient, pour ainsi dire, toujours à leurs côtés. «Ils assument ainsi moins la responsabilité de leurs actes.» On leur fait moins subir de frustrations. Et Thomas Minder de souligner: «Les enfants devraient devenir autonomes, mais ils n'ont pratiquement plus la possibilité d'y parvenir.»

«Très peu de risques»

Les parents qui veulent savoir en permanence où se trouvent leurs enfants irritent les enseignants, notamment lorsque cela touche les sorties scolaires et les camps de classe. Les accompagnateurs racontent qu'ils découvrent des traceurs dans les sacs à dos et comment les élèves restent en contact permanent avec leur famille grâce à leurs montres. Certains parents exigent d'être informés de chaque pas de leurs petits. Tout le temps et partout.

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Avec Apple, il est très facile de surveiller quelqu'un à l'aide d'un autre appareil
Thomas Minder, président de l'Association des directeurs d'écoles de Suisse alémanique
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Cette mentalité de surveillance constante affaiblit le développement des enfants, alors que le gain en sécurité est minime, explique Thomas Minder. «Il y a très peu de risques que les enfants fassent de mauvaises rencontres avec des inconnus», ajoute le président de l'Association des directeurs d'écoles de Suisse alémanique. Le plus grand danger – en ce qui concerne les enlèvements ou les agressions sexuelles, par exemple – provient des parents et des connaissances.

Thomas Minder est également directeur de l'école primaire d'Eschlikon, dans le canton de Thurgovie. Dans son établissement, il a décidé d'imposer la mesure suivante: les enfants doivent remettre les «appareils perturbateurs» au début des cours. Ils les récupèrent à la fin de la matinée et de la journée. D'après lui, les parents qui surveillent leurs enfants sont minoritaires. Mais il admet ne pas être sûr que son estimation soit exacte. «Avec Apple, il est très facile de surveiller quelqu'un à l'aide d'un autre appareil», nuance-t-il.

Suivis à leur insu

Au cours de l'été 2024, une garderie zurichoise a voulu lancer un projet pilote. Elle désirait suivre les enfants dans l'enceinte de l'école à l'aide d'un bracelet. Les responsables avaient justifié leur intention en expliquant que cela permettrait aux surveillants de savoir à tout moment où se trouvaient les enfants, la garderie en question étant très vaste. Mais elle n'a pas pu mettre en place son projet. Cette annonce avait fait les grands titres des journaux. Les défenseurs de la protection des données ont notamment qualifié ce dispositif électronique de «disproportionné». Des critiques ont également été formulées quant au fait que ni les parents ni les enfants n'avaient été associés au projet.

Selon la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, les enfants ont droit à une sphère privée. A partir de 12 ans, ils doivent donner leur accord si leurs parents veulent les surveiller par voie électronique. Néanmoins, les experts estiment que les enfants sont souvent suivis à leur insu.

Utilisé en Suisse romande

En Suisse romande, certaines communes ont autorisé ce dispositif. Il est possible de suivre les enfants sur le chemin de l'école. Si ceux-ci ne montent pas dans le bus scolaire ou descendent au mauvais arrêt, les parents peuvent le savoir grâce à un système électronique. Cette mesure n'est toutefois pas obligatoire, tout le monde est libre d'y avoir recours ou non.

Outre les applications de surveillance, les systèmes d'échange de données sont également très répandus. Elles constituent une activité lucrative pour les fournisseurs. De nombreuses crèches, par exemple, informent les parents via une app' de la durée de sommeil de leurs bambins ou de ce qu'il a mangé. Quant aux parents, ils indiquent par voie électronique quand leur enfant est malade ou quand ils viennent le chercher. Mais ces outils techniques ne servent en aucun cas à suivre les petits.

Confiance plutôt que contrôle

Kibesuisse, la Fédération pour l'accueil de jour de l'enfant, estime qu'il n'est «pas nécessaire» de localiser en permanence ses rejetons. Les enfants doivent avoir la possibilité d'apprendre l'autonomie et la responsabilité. «C'est pourquoi l'association appelle les adultes à faire confiance aux enfants et à se concentrer sur l'établissement d'une relation profonde avec eux», résume Christine Traber, porte-parole. Elle souligne que, pour le bien-être des enfants, des personnes de confiance compétentes sont bien plus précieuses et utiles que des outils techniques.

La fondation Pro Juventute abonde dans le même sens. Elle considère le traçage comme une atteinte à la vie privée de l'enfant. De plus, la disponibilité permanente des parents réduit l'autonomie et la confiance en soi des enfants. Ceux-ci ont besoin d'espace et doivent avoir la possibilité d'acquérir eux-mêmes de l'expérience, explique son porte-parole Olivier Reber. Mais avant tout, les enfants ont besoin de sentir que leurs parents leur font confiance.

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